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Royaumes de Thaïlande-Cambodge : la frontière s’embrase

Ces dernières heures, le conflit larvé entre la monarchie du Thaïlande et celle du Cambodge a connu un nouvel accès de violence. Au cœur des tensions, une frontière contestée et des accusations mutuelles qui menacent de dégénérer en conflit ouvert.

Depuis la fin mai, le Cambodge du roi Norodom Sihamoni et la Thaïlande du roi Rama X, deux royaumes d’Asie du Sud-Est, se retrouvent enlisés dans une spirale de provocations et de représailles. À l’origine, un échange de tirs meurtrier dans une zone frontalière disputée, rallumant la mèche d’un différend territorial qui couve depuis plus d’un siècle. 

Mais ces dernières heures, le conflit a pris un tournant plus grave avec une attaque de roquettes meurtrière et de nouveaux affrontements au sol faisant une douzaine de morts et plusieurs dizaines de blessés.

Escalade militaire et ruptures diplomatiques

Il y a 3 mois, le décès d’un soldat cambodgien a mis le feu aux poudres et même provoqué un scandale politique en Thaîlande où la Première ministre Paethongtarn Shinawatra s'est retrouvée accusée de faiblesse vis à vis du Cambodge et de trahison nationale par les soutiens à la monarchie du roi Rama X.  Depuis, les deux armées s’accusent mutuellement de provocations et de violations territoriales. 

Le 24 juillet 2025, Bangkok a accusé le Cambodge d’avoir lancé deux roquettes BM-21 qui auraient frappé une communauté civile dans le district de Kap Choeng, dans la province thaïlandaise de Surin. Les autorités thaïlandaises ont dénoncé une attaque « ciblée » contre des civils, attisant l’indignation dans une opinion publique déjà chauffée à blanc depuis des années.

Quasiment au même moment, de nouveaux échanges de tirs ont éclaté à proximité de la frontière, dans une zone particulièrement sensible où se dressent de vieux temples khmers. Selon la version de l’armée thaïlandaise, des unités cambodgiennes auraient visé le flanc est du temple Prasat Ta Muen Thom, situé à seulement quelques centaines de mètres d’une position militaire thaïlandaise, après avoir déployé un drone sur la zone. Phnom Penh, de son côté, rejette cette version et affirme que ses forces n’ont fait que répondre à une « incursion armée » de l’armée thaïlandaise, invoquant le droit à l’autodéfense et la protection de son intégrité territoriale. 

Bangkok affirme également que Phnom Penh a posé de nouveaux engins explosifs dans la zone disputée, ce que le Cambodge rejette fermement, évoquant d’anciens champs de mines datant de la guerre civile. En réponse à ces incidents, la Thaïlande a expulsé l’ambassadeur cambodgien et rappelé le sien, tandis que Phnom Penh a abaissé ses relations diplomatiques avec Bangkok au strict minimum.

Sur le plan économique, les conséquences ont été immédiates : postes-frontières fermés, échanges commerciaux interrompus, blocage de travailleurs et de touristes, déplacement de milliers de civils. Le Cambodge a même cessé d’importer du carburant et des produits alimentaires de Thaïlande, et cette dernière a exhorté ses ressortissants à quitter le territoire cambodgien.

Des vieilles cartes à l’origine des tensions

Pour comprendre la profondeur de ce contentieux, il faut remonter au début du XXe siècle, à l’époque où la France dominait l’Indochine. Les traités signés en 1904 et 1907 avec le Siam (ancien nom de la Thaïlande) avaient redessiné la carte de la région : Phnom Penh retrouvait alors la souveraineté sur les provinces de Siem Reap, Battambang et Sisophon, perdues quelques décennies plus tôt. Une commission franco-siamoise va ensuite tracer la frontière sur des cartes dont la précision, limitée à l’époque, ne va cesser de s’avérer source de conflits durables.

Dès les années 1930, Bangkok conteste certaines sections de la frontière, notamment dans les montagnes de Dangrek, où se trouvent plusieurs temples anciens, dont Preah Vihear, joyau de l’architecture khmère classé au patrimoine mondial. Après l’indépendance du Cambodge en 1953, le différend se ravive : la Thaïlande occupe le site dès 1954, entraînant un premier contentieux international qui sera tranché en faveur de Phnom Penh par la Cour internationale de Justice (CIJ) en 1962. Politiquement, la Thaïlande décide de prendre position en faveur du régime de Pol Pot lorsque celui-ci est renversé en 1979 par les Vietnamiens intervenus au Cambodge. Le Khmer rouge trouvera souvent refuge dans la june thaïlandaise sans jamais être inquiété par Bangkok.

En janvier 2003, des émeutes éclatèrent à Phnom Penh après qu'un journal cambodgien eut rapporté à tort que l'actrice thaïlandaise Suvanant Kongying avait déclaré qu'Angkor Wat appartenait légitimement à la Thaïlande. Le 29 janvier, l'ambassade de Thaïlande est incendiée et des centaines d'immigrants thaïlandais quittent le pays pour échapper aux violences. Des Cambodgiens à Phnom Penh brûlèrent des photos du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) et des Thaïlandais à Bangkok manifestèrent parallélement devant l'ambassade du Cambodge, brûlant des drapeaux cambodgiens. Cela a conduit finalement le gouvernement thaïlandais à rompre ses relations diplomatiques avec le Cambodge. Le Premier ministre Hun Sen décide alors d'interdire les émissions et les films thaïlandais sur les chaînes de télévision nationale avant qu'elles ne soient rétablies plus tard.

Les tensions ne s’apaisent pas pour autant. Entre 2008 et 2013, de nouveaux affrontements meurtriers éclatent autour du même temple, causant la mort d’au moins 28 personnes et le déplacement de milliers d’habitants. La CIJ est à nouveau saisie et confirme la souveraineté cambodgienne sur le site. Malgré cela, la frontière reste poreuse et les zones contestées continuent d’alimenter les rancœurs nationalistes des dexu côtés des monarchies.

Arbitrage international et nationalisme croissant

Le Cambodge espère obtenir gain de cause une nouvelle fois devant la Cour internationale de Justice, où il a déposé une nouvelle requête le mois dernier. Mais la Thaïlande, qui conteste l’autorité de la CIJ sur ce dossier, campe sur ses positions.

Dans ce contexte tendu, Phnom Penh multiplie les signaux de fermeté sur fond accru de nationalisme : le Premier ministre Hun Manet a annoncé le rétablissement du service militaire obligatoire dès 2026, qui sera de 24 mois pour tout jeune âgé de 18 à 30 ans, tout en promettant une hausse significative du budget de la Défense. Une décision qui a toutefois divisé la société cambodgienne et loin de faire l'unanimité chez les concernés. 

Le conflit frontalier thaïlando-cambodgien illustre combien les cicatrices de la colonisation et les imprécisions du passé continuent de peser sur la stabilité régionale. À mesure que les roquettes succèdent aux mines, et que la frontière se ferme aux hommes comme aux marchandises, le risque d’un dérapage incontrôlé devient bien réel. Dans cette partie du monde où la diplomatie peine à contenir les passions patriotiques, la ligne entre rivalité et guerre ouverte n’a jamais semblé aussi ténue. Les deux monarques n'ont pas encore réagi à cette escalade préférant adopter une attidude neutre afin d'apaiser les tensions.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 25/07/2025