République ou couronne ? Le nouveau débat américain
République ou couronne ? Le nouveau débat américain
Accusé de se comporter en souverain plutôt qu’en président, Donald Trump ravive le spectre d’une « monarchisation » de la République américaine. Face à lui, le mouvement No Kings s’élève pour défendre l’héritage de 1776 et rappeler qu’en Amérique, il n’y a ni trône, ni couronne — seulement des citoyens. Pourtant, une partie des Américains rêve d'un retour à l'institution royale.
Depuis plusieurs mois, une partie de l’opinion et des mouvements civiques accusent le président Donald Trump de pousser l’Amérique vers un régime « à la monarchie » : rhétorique d’extra-légalité, mise en scène de cérémonies, recours systématique aux instruments exécutifs et aux pardons. Cette accusation — parfois figurée, parfois littérale — a donné naissance au mouvement No Kings, qui a organisé des rassemblements massifs et rivé le débat sur la fragilité des contre-pouvoirs aux États-Unis.
Mais peut-on sérieusement craindre une « monarchisation » de la République ? Qui sont les monarchistes américains ? Et quelle est, dans les faits, la probabilité d’une transformation constitutionnelle vers la monarchie ?
Un « roi élu » à la Maison-Blanche ?
« Nous n’avons pas fait la Révolution pour avoir un roi ! » ont crié, cet été, les pancartes brandies à New York, Boston ou San Francisco. Depuis son retour au pouvoir (2024), Donald Trump est accusé de se comporter moins en président qu’en souverain absolu. Décorations grandiloquentes, cérémonies militaires fastueuses, politisation des institutions (justice, forces de l’ordre), culte de la personnalité, usage extensif des décrets d’urgence : ses adversaires y voient les signes d’un exécutif qui rêve d'un trône. Le tonitruant leader des Républicaisn réfutent tout projet d'instauration de la monarchie à son profit, préférant tourner en dérision ses opposants dans un style qui le caractérise.
Le déclic a eu lieu le 14 juin 2025, date symbolique mêlant anniversaire du président et parade militaire à Washington. Ce jour-là, le mouvement No Kings a vu le jour. Parti d’un appel lancé sur les réseaux sociaux, il s’est transformé en l’une des plus grandes mobilisations civiques de la décennie et regroupe une coalition de groupes pro-démocratie, ONG et collectifs citoyens.. D’après les organisateurs, plus de 7 millions de personnes ont défilé dans quelques 2 700 villes à travers les États-Unis début octobre suivant. « Nous voulons rappeler que l’Amérique n’a pas de rois, seulement des citoyens », rappelle Sarah Jenkins, juriste à Seattle et porte-parole du collectif. Un slogan simple — No thrones. No crowns. No kings. — qui a cristallisé l’inquiétude d’une partie du pays : celle d’un président qui, à défaut de diadème, s’arrogerait les attributs du pouvoir absolu.
I was interviewed a few weeks back by a journalist from the London Times on Monarchism in America. I'm rather happy with how things turned out.https://t.co/REFspROAvv
Perception de la monarchie aux États-Unis : histoire et sondages
Les États-Unis sont nés d’une rupture avec la monarchie britannique. Au soir du 16 décembre 1773, trois navires britanniques — Dartmouth, Eleanor et Beaver — étaient amarrés dans le port de Boston, chargés de thé. Sous la conduite de Samuel Adams et de John Hancock, plusieurs dizaines de manifestants s’introduisirent à bord, déguisés en Indiens, et jetèrent dans la mer plus de 45 tonnes de thé, l’équivalent d’un demi-million de dollars actuels. L’opération se déroula sans effusion de sang, mais constitua un acte ouvert de défi envers la Couronne britannique et le premier chapitre de la future guerre d’indépendance (1775-1783) Un conflit auquel la France participera, qui trouvera sa conclusion avec la défaite des troupes du roi d'Angleterre.
La défiance envers les institutions monarchiques est donc ancrée dans la culture politique américaine (républicanisme constitutionnel, culte de l’élection). Historiquement, des figures isolées ont parfois évoqué des formes d’exécutif durable (on trouve des propositions de mise en place de la monarchie au cours des XVIIIe–XIXe siècles), mais il n’y a jamais existé de mouvement de masse sérieux en faveur d’une monarchie. Ils restent aujourd’hui marginaux. Plusieurs groupes et micro-partis se revendiquent encore monarchistes de nos jours (par exemple le United Monarchist Party of America ou divers petits collectifs dits « Monarchist Party »), mais leur présence est essentiellement symbolique ou subculturelle (sites web, pages Facebook, quelques réunions). Ils n’ont ni implantation électorale significative ni relais institutionnel sérieux. Sur le plan politique réel, aucun grand parti ou faction influente n’ouvre la route à la monarchie « Les monarchistes américains sont avant tout des intellectuels conservateurs nostalgiques d’un ordre stable », note l’historien Joseph Stewart, auteur d’un essai sur les utopies politiques américaines.
Les enquêtes d’opinion montrent d’ailleurs que la grande majorité des Américains ne souhaitent pas une monarchie. Selon ceux de YouGov (2022–2023), 60–70% des répondants jugeaient qu’une monarchie serait « mauvaise » pour les États-Unis ; seulement une faible minorité (environ 8–12% selon les vagues) se déclarait favorable à l’idée d’un régime monarchique à la « mode européenne ». L’idée ne séduit pas mais intrigue, voir porte au débat et touche diverses classes sociales (les plus jeunes montrent parfois plus d’intérêt théorique),
« Je suis un républicain avec un grand R parce que je suis membre du Parti républicain », déclare de son côté Eric Zurlippe, 21 ans, étudiant en sciences politiques à l'Université d'État de Caroline du Nord. « Mais je ne suis pas un républicain avec un petit R parce que je ne crois pas au républicanisme. », ajoute celui qui se présente comme l’idéologue des monarchistes d'Amérique. Zurlippe incarne ce qui semble être une tendance croissante, mais encore mineure, chez les jeunes Américains : la conviction que la démocratie est surfaite et qu'il est temps de la remplacer par une monarchie absolue et chrétienne de préférence.
En juillet 2025, l’institut de sondage JL Partners a publié une autre enquête affirmant que 19% des personnes interrogées se déclaraient prêtes aujourd’hui à « remplacer le président par un monarque britannique ».
Une monarchie constitutionnelle ? L’Amérique face à son propre miroir!
Sur le plan constitutionnel, la perspective d’un changement de régime est pure fiction. L’article V de la Constitution exige l’approbation des deux tiers du Congrès et la ratification par trois quarts des États — soit trente-huit sur cinquante — pour amender le texte fondateur. Autant dire un verrou infranchissable. « Instaurer une monarchie impliquerait non seulement de réécrire la Constitution, mais aussi de renverser la philosophie politique américaine », souligne la juriste Linda García, professeure à Georgetown. « La monarchie est l’antithèse de l’idée d’égalité républicaine qui structure tout le système. », ajoute t-elle, un brin amère.
Sur le plan pratique et politique, réunir ces majorités pour abolir le régime républicain au profit d’une monarchie est aujourd’hui hautement improbable : difficultés partisanes, contrôle des États, résistance culturelle et institutionnelle, risques de désordre social. L’histoire constitutionnelle montre que l’amendement est volontairement difficile — c’est un obstacle majeur. En revanche, les experts redoutent une dérive autoritaire sans réforme officielle : un président qui gouvernerait par décret, s’entourerait d’hommes-liges et saperait les institutions par la pratique. C’est cette nuance qui rend le débat si inflammable : en réalité, Donald Trump n’a pas besoin de couronne pour se comporter en monarque.
Dans les rues de Washington, au cœur du Mall, les banderoles de No Kings côtoient celles de partisans trumpistes brandissant « Make America Great Again ». Deux visions du pays s’affrontent : celle d’une République de citoyens vigilants, et celle d’un pouvoir fort incarné par un leader charismatique. « Nous ne voulons pas d’un roi, mais d’un président qui gouverne », nuance Tom Harrison, un électeur républicain venu d’Ohio. « Les démocrates ont crié à la dictature pendant quatre ans, mais ils oublient que c’est le peuple qui choisit. », d'après le trumpiste. Face à lui, Maya Collins, manifestante du mouvement No Kings, réplique calmement : « Les républiques meurent quand les peuples s’habituent à l’arbitraire. ».
La querelle du « roi Trump » ne se joue donc pas sur le terrain juridique, mais sur celui de l’imaginaire. Dans une Amérique fracturée, la couronne devient métaphore : celle du pouvoir absolu d’un homme sur les institutions. «Ce n’est pas d’un trône qu’il s’agit, mais d’un réflexe : celui d’un exécutif qui s’émancipe de tout contrôle. ». Le mot “monarchie” sert ici de miroir», note le politologue Elliot Abrams, spécialiste des institutions américaines. « Le paradoxe américain, c’est qu’en rejetant la monarchie, la République a fini par produire des présidents aux pouvoirs quasi royaux», note t-il. Et c’est cette tension — entre l’héritage des Pères fondateurs et la tentation d’un chef providentiel — qui traverse aujourd’hui la nation américaine.
« No thrones. No crowns. No kings. » La devise du mouvement résonne désormais comme un avertissement au président américain. Au-delà de la personne de Donald Trump, c’est la vigueur et la stabilité des institutions américaines qui se jouent. Le débat sur la monarchie n’est pas une farce : c’est un symptôme. Celui d’un pays qui doute de sa démocratie et qui, face au vertige du pouvoir, s’interroge encore sur les promesses de 1776.