À l’aube d’un nouveau cycle politique, sa parole royale retentit comme un rappel au devoir, au discernement et à la mémoire. Dans un pays souvent traversé par les turbulences, le Bouganda, guidé par son Kabaka, entend résister aux sirènes de la division.
Alors que l’Ouganda entre dans une période électorale toujours plus tendue, le Kabaka du Bouganda, Ronald Muwenda Mutebi II, a prononcé un discours d’une rare fermeté à l’occasion du 32e anniversaire de son couronnement. Absent physiquement des cérémonies pour raisons de santé, le roi n’en a pas moins livré un message enregistré, à haute valeur symbolique et politique, dans lequel il alerte ses sujets contre les dérives, les manipulations et les corruptions qui menacent la stabilité du plus ancien royaume traditionnel du pays.
« Nous vous demandons de rester vigilants et de résister à toute tentative de ternir l’image du Royaume par des moyens illégaux, comme nous l’avons constaté à maintes reprises », a-t-il déclaré dans une allocution diffusée à la mosquée Kibuli de Kampala, où s’étaient réunis des centaines d’invités, dignitaires et notables du royaume tesl quela Nnabagereka, S.A.R. Sylvia Nagginda Luswata, les princes David Kintu Wasajja et Richard Ssemakookiro, la princesse Christine Gartrude Nabanakulya, ainsi que Nalinnya Beatrice Namika. Plusieurs chefs religieux, hommes politiques et représentants de la société civile étaient également présents.
Un monarque affaibli, mais toujours au centre de la vie politique
L’absence physique du Kabaka n’a pas manqué d’interpeller, d’autant qu’elle s’inscrit dans une série d’apparitions publiques annulées ces derniers mois. Le Katikkiro (Premier ministre) Charles Peter Mayiga s’est voulu rassurant : « Le Kabaka est dans son palais. Il règne, et il vous adresse ses salutations. » Avant de préciser que, selon ses médecins, « sa participation à de tels rassemblements reste encore prématurée », bien qu’il se rétablisse progressivement. Mais c’est précisément cette distance physique qui donne à ses mots une portée presque prophétique. Le roi, dont le rôle politique est officiellement consultatif dans l’Ouganda républicain, continue de s’imposer comme l’une des principales autorités morales du pays.
Le cœur du message du Kabaka visait clairement les tentatives d’instrumentalisation du peuple baganda dans la course au pouvoir. Il a dénoncé les agissements d’individus qu’il qualifie de « détracteurs », cherchant à exploiter les vulnérabilités du moment électoral pour porter atteinte au royaume. « Cette période électorale que nous traversons est l’une des principales failles exploitées par les détracteurs du Buganda », a-t-il alerté. « Je vous encourage tous à rester fermes et déterminés, et à vous méfier de ces personnes. », ajoute le souverain. C'est en janvier 2026 qu'auront lieu les prochaines élections générales qui devraient voir la réélection du Président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986.
Dans un style incisif, le Kabaka n’a pas hésité également à fustiger la corruption ordinaire qui accompagne trop souvent les campagnes électorales en Ouganda :« Travaillez plutôt que de pleurer et d’attendre ceux qui vous égarent en vous donnant des cacahuètes. », avertit le monarque. Par cette formule, il cible ouvertement ceux qui, dans les hautes sphères de l'État ou dans les partis politiques, usent de l’achat de voix et de promesses fallacieuses pour manipuler les populations les plus vulnérables.
Loin de se limiter à une dénonciation des dérives contemporaines, le souverain a également salué la résilience de son peuple, qu’il remercie pour son engagement sans faille à défendre les valeurs du Buganda. « Nous exprimons notre profonde gratitude aux habitants du Bouganda, dans les villages, les villes et les comtés, ainsi qu’à ceux qui vivent hors du Bouganda et en Ouganda. En ces temps difficiles, vous continuez à lutter ensemble pour préserver la dignité du Royaume. », s'est réjoui le roi Mutebi II. Il a également adressé ses remerciements aux institutions du royaume : « Nous remercions les dirigeants du Buganda à tous les niveaux. Vous avez fait preuve de courage face à toutes les difficultés que nous avons rencontrées. » Enfin, à l’égard de la communauté internationale, le Kabaka a exprimé sa reconnaissance envers « nos amis en Ouganda et à l’étranger, qui soutiennent le travail du Royaume ».
Le Bouganda, entre tradition et affirmation politique
Royaume précolonial structuré et influent, le Bouganda occupe toujours une place à part dans l’équilibre institutionnel ougandais. S’il ne dispose plus d’un pouvoir législatif ou exécutif, le Kabaka reste un monarque qui dispose de pouvoirs régaliens assez élargis. Fils du roi Frederick Mutesa II (1924-1969), dernier roi du Bouganda et premier Président de la République fédérale d'Ouganda, ses prises de parole sont scrutées à la fois par les pouvoirs publics, les partis politiques et la population. Son avertissement, formulé avec gravité et dignité, apparaît comme une tentative de recentrer le débat électoral autour des valeurs fondamentales de probité, d’unité et de responsabilité.
Le Kabaka Ronald Muwenda Mutebi II, par son discours, marque ici une étape importante depuis son couronnement le 31 juillet 1993, date de la restauration de la monarchie. En avril, il a fêté ses 70 ans, devenant ainsi le monarque le plus ancien des 600 ans d'histoire du Buganda. C'est en 1971 que le corps que le corps du roi Mutesa II a été rapatrié en grande pompe par le Président Idi Amin Dada. Ironie de l'histoire, c'est ce dernier qui avait conduit l'assaut contre le palais royal lors du putsch en 1966 qui a mis fin au régime du défunt monarque.