Pourquoi la reine Elizabeth II a-t-elle un trône au Nigeria ?

Elizabeth II et Edidem Ekpo Okon Abasi Otu vLorsque Donald Duke décide de faire rénover le musée national de Cross River et de créer un second musée dédié à l’histoire de l’esclavage, ce gouverneur de cet état situé au Sud du Nigeria tombe sur une étrange correspondance entre la reine Victoria Ière et le roi Eyamba V. Des échanges fournis qui laisseraient sous-entendre que la « reine de tous les blancs »  aurait épousé secrètement ce monarque calabar,« roi de tous les hommes noirs ». Entre fiction et réalité, qu’elle est la part de vérité que recèle ce mythe qui perdure au sein du peuple Efik. Lequel a placé au centre du palais royal, un trône vide pour sa descendante, « Queen Elizabeth II of Nigeria ».

Roi CalabarC’est l‘un des plus grands ports esclavagistes de l‘Afrique de l’Ouest et la capitale de l’état de Cross River, situé au Sud du Nigeria. A Calabar, des centaines de milliers d’africains sont passés par cette ville qui a fait la richesse des rois (Obong) du peuple Efik. Lesquels n’hésitaient pas à imposer des taxes aux navires européens venus « collecter » leur tribut humain (principalement issu des Igbos) réparti dans les différentes colonies d’Amérique du Nord. Le tout sous l’œil de missionnaires chrétiens venus les évangeliser. Des prêtres qui mettent à la pratique de mise à mort immédiate de jumeaux à leur naissance et qui développent un système éducatif comparable à celui des meilleurs établissement européens. Tant et si bien qu’à la fin du règne de la reine Victoria, les Efik étaient un des peuples le plus occidentalisé du continent. Entre cette monarchie africaine et celle du Royaume-Uni, une longue histoire d’amour qui se poursuit encore, entourée d’un mythe qui perdure parmi les Efik qui attendent patiemment que la reine Elizabeth II vienne s’assoir sur un trône qui lui revient de droit et de part le mariage de la reine Victoria avec son alter-ego, le roi Eyamba V. 

« J'en ai entendu parler pour la première fois vers 2001, alors que je passais par le musée et que j'ai vu cette correspondance très intéressante entre la reine Victoria et le roi Eyamba ». Ancien gouverneur de Cross River de 1999 à 2007, Donald Duke a effectué d'importants travaux de rénovation sur le musée national et aussi créé un musée de la traite des esclaves, un sujet qui intéresse particulièrement ce sexagénaire. « Je pensais qu'il est important que nous documentions notre histoire et pour cela nous avons donc fait beaucoup de recherches pour le musée » explique ce candidat malheureux à l‘élection présidentielle de 2019 et qui entend résoudre cette énigme : La reine Victoria a-t-elle épousé l’Obong Edem Ekpenyong Offiong Okoho Eyamba V, un des deux monarques de la ville côtière de Calabar qui a régné entre 1834 et 1847 ?   

Victoria Ière« Les rois étaient très riches, les familles devenues importantes. Il ne faut pas oublier qu’ils contrôlaient le plus grand centre d'esclaves de tout le continent » rappelle Donald Duke dont le nom de famille est associé à cette période.  «  Elle a écrit une lettre au roi Eyamba en lui demandant d'arrêter le commerce des esclaves et de ne vendre que des épices, de l'huile de palme, de la verrerie et d'autres choses » explique l'ancien gouverneur au journaliste de la BBC. Une lettre  signée de « Reine Victoria,  reine d'Angleterre », qu'un interprète local a mal traduit et répercuté ainsi : « Reine Victoria,  reine de tous les blancs ». «  C’est ainsi qu’est né le mythe du mariage du roi avec cette souveraine qui lui proposait simplement la protection de son royaume » s'amuse  Donald Duke. 

Musée national de CalabarLe roi Eyamba V a répondu « qu’il acceptait volontiers la protection d'une femme mais que la tradition exigeait qu’ils se marient. Il le lui a clairement dit dans sa réponse écrite, signée en retour : « roi Eyamba, souverain de tous les hommes noirs ». Si on ne peut qu'imaginer la réaction de la reine Victoria à la lecture de la lettre du roi Eyamba, il n’en demeure pas moins qu’elle n'a pas explicitement décliné son offre et lors de la signature du traité d’alliance, Eyamba V a pris fait et cause qu’il était désormais le mari d’une reine avec laquelle « ils gouvernent ensemble le monde ».  « Elle a pris acte de la lettre du roi et a dit qu'elle avait hâte d'avoir de bonnes relations commerciales avec lui » précise toutefois Charles Effiong Offiong-Obo. « Sa lettre était accompagnée de quelques cadeaux - y compris une cape royale, une épée et une Bible - un geste de bonne volonté que le roi Eyamba a interprété comme une acceptation de son offre de mariage » ajoute l’actuel scribe officiel de la cour du roi Efik. Les sujets du roi se sont convaincus eux-mêmes de ce mariage. D’autant que lorsque le roi Archipong III est couronné souverain en 1878, c’est avec des régalia offerts par la reine d’Angleterre en personne que se fera ce sacre et dont les détails feront même l’objet d’un article complet dans le New York Times de cette époque. 

Prince Michael de Kent à Calabar Photo@Barbara etim james« Il était important comme logique que la reine Victoria ait eu les rois de Calabar aux côtés de son empire » affirme Donald Duke qui a fait exposer des copies de cette correspondance entre la reine Victoria et les rois Eyamba au Musée national de Calabar, un bâtiment qui a été autrefois le siège de l'administration coloniale britannique du sud du Nigéria. En 2017, l’Obong Edidem Ekpo Okon Abasi Otu V a appris la visite du prince Michael de Kent dans la ville de Calabar et s’est précipité à la rencontre du cousin de la reine qu'il a rapidement consacré du titre d’ « Ada Idagha Ke Efik Eburutu ».  « Lors du séjour du prince Michael, à chaque occasion, il lui a rappelé qu'il était le beau-frère du peuple anglais. Même lors de la cérémonie, ils lui ont tous à nouveau raconté cette histoire qui a beaucoup amusé » le prince Michael de Kent comme le rapporte un des témoins de cette rencontre inédite. 

Lors du sacre de chaque Obong, deux trônes sont placés côte à côte. Un des deux reste toujours inoccupé puisqu’il s’agit de celui exclusivement réservé aux descendants de la reine Victoria. Et pour les Efik, maintenant que  Queen Elizabeth II est veuve, plus rien qui ne saurait empêcher qu’elle rejoigne enfin son royaume Calabar pour réaliser « l’union entre la reine de tous les blancs et le roi de tous les hommes noirs » déclare avec sérieux Donald Duke. Le Nigeria, un pays que connaît bien Elizabeth II pour y voir effectué de nombeuses visites officielles depuis 1952.

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Date de dernière mise à jour : 29/05/2021

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