Décès de l’émir de Gusau, figure respectée du Nord du Nigeria
Décès de l’émir de Gusau, figure respectée du Nord du Nigeria
L’émir Ibrahim Bello de Gusau s’est éteint. Il était le dernier pilier d’une dynastie enracinée dans l’histoire haoussa du Nigeria, une figure hautement respectée de l'Afrique de l'Ouest.
C’est une figure centrale de l’aristocratie traditionnelle nigériane qui vient de disparaître. Ibrahim Muhammad Bello, émir de Gusau, s’est éteint vendredi 25 juillet 2025 à Abuja, à l’âge de 71 ans, des suites d’une longue maladie. Avec lui s’efface une autorité morale, un technocrate rigoureux devenu chef coutumier, mais aussi un héritier direct d’une lignée prestigieuse née des soubresauts du djihad fulani au XIXe siècle.
Dans un communiqué empreint d’émotion, le gouverneur de l’État de Zamfara, Dauda Lawal, a présenté ses condoléances à l’ensemble de la population : « J’ai appris avec une profonde tristesse le décès de notre père, Son Altesse Royale, le Dr Ibrahim Bello. J’adresse mes plus sincères condoléances au Conseil des chefs de l’État de Zamfara, aux familles immédiates et élargies du défunt émir, à l’émirat de Gusau et à l’ensemble du peuple de l’État de Zamfara. » a déclaré l'élu.
Il a salué un chef traditionnel engagé, « un confident et un guide dont la sagesse éclairait nos décisions ».
Héritier d’une lignée fondée par les disciples de dan Fodio
Né le 12 juin 1954 à Wonaka, dans la municipalité de Gusau, Ibrahim Bello est un descendant direct de Mallam Muhammadu Sambo Dan Ashafa, disciple éminent du réformateur soufi et djihadiste Usman dan Fodio (1757-1817) . Ce dernier a ancré son nom dans l'histoire ouest-africaine après avoir lancé une vaste conquête des royaumes haoussa à la fin du XVIIIe siècle. Fondateur du sultanat de Sokoto, Usman dan Fodio va unifier sous son sceptre tous les émirats avoisinants.
Celui de Gusau, fondé en 1799 par Sambo Dan Ashafa, va devenir l’un des bastions majeurs de ce califat islamique. l'émir Ibrahim Bello est ainsi le 15e souverain de Gusau, et le neuvième issu de la maison Sambo Dan Ashafa. Sa filiation est d'ailleurs doublement oyale : son père, Mallam Muhammadu Mustapha, était le fils de Sarkin Katsina Murtala, lui-même petit-fils de Sambo. Sa mère, Fadimatu, descendait également de cette même lignée, rattachée à Muhammadu Gide, Sarkin de l'émirat de Katsina.
Avant son intronisation en 2015, Ibrahim Bello était un haut fonctionnaire respecté. Expert en santé publique, il fut successivement directeur de l’École de technologie de la santé de Jega, directeur exécutif de l’école Sultan Abdurrahman de Gwadabawa, puis directeur des soins primaires au ministère de la Santé de Zamfara. Il accéda au poste de secrétaire permanent de la fonction publique de l’État de Zamfara entre 1998 et 2002, et fut brièvement commissaire à la Santé animale en 2011. Son parcours le prédisposait naturellement à des fonctions plus hautes. Marié et père de famille, il était profondément enraciné dans les terres de ses ancêtres, alliant modernité administrative et tradition ancestrale.
La maison royale a connu quelques soubresauts dynastiques sous la colonistaion britannique. Destituée de ses regalia en 1917, il faudra soixante-sept ans pour que la lignée retrouve sa dignité émirale, avec la montée sur le trône en 1984 de Muhammadu Kabir Danbaba, frère aîné d’Ibrahim Bello, mais en tant que chef de district. C'est en juillet 1997 qu'elle retrouve son titre d'émir sur décision du sultan de Sokoto, haute autorité traditionnelle dont Gusau reste le vassal. Il fut élevé au rang de deuxième classe en 1998, puis de première classe en 2007, consolidant le prestige de l’émirat, selon la classification des souverains du Nigeria, établie depuis l'indépendance acquis en 1960.
Gusau, une ville à l’histoire séculaire
Ville-carrefour au passé prestigieux, Gusau a connu des transformations profondes sous la colonisation britannique. Dès le début du XXe siècle, les Britanniques construisent routes, chemin de fer, écoles, infrastructures modernes et... mettent en un impôt sur le bétail : le fameux Jangali, instauré dès 1907. Pour autant, Gusau reste avant tout un centre agricole important, vivant au rythme de ses cultures de saison et de son commerce local. La société y demeure fortement structurée par l’élevage et l’agriculture, notamment dans la zone de Damina, réputée pour son rendement.
Durant ses dix années de règne, le Dr Ibrahim Bello incarna avec dignité les valeurs de continuité, de tempérance et de dialogue. Il était respecté non seulement à Zamfara, mais dans tout le Nord nigérian, pour sa pondération dans les affaires publiques et sa discrétion dans un contexte souvent troublé par les conflits communautaires et les crises sécuritaires. Le gouverneur Lawal, qui le considérait comme un père spirituel, a rendu un vibrant hommage à « un émir dont la foi et le dévouement ont guidé sans relâche le destin de son peuple ».
La mort d’un émir n’est jamais seulement celle d’un homme : elle marque la fin d’un cycle, d’une mémoire incarnée, d’une page d’histoire vivante. Avec Ibrahim Bello, c’est une figure d’équilibre, enracinée dans la terre haoussa, qui s’efface. Mais la dynastie de Sambo Dan Ashafa, elle, perdure — témoin silencieux de plus de deux siècles de transmission, de foi et de résilience- à travers son successeur qui devrait être connu dans les prochains jours.