Ancienne colonie française, l’île de Madagascar est aujourd’hui minée par une importante crise politique et la révélation de nombreuses affaires de corruption qui touchent l’entourage du président Hery Rajaonarimampianina. Avec une presse largement inféodée et contrôlée par les partis politiques, la prochaine élection présidentielle prévue en 2018 est classée par les experts internationaux comme étant à haut risque. Parmi tous les candidats qui rêvent de reprendre un strapontin qu’ils ont déjà occupé alors que plane toujours l’ombre de l’ancien dictateur, l’amiral Didier Ratsiraka, une autre voix tente de se faire entendre et ose réclamer l’impensable dans ce paradis de la vanille. Celle de la restauration du Fanjakan’i Madagasikara, la monarchie malgache.
C’est à l’hôtel Antaninarenina que Clovis Andrianasolo Ravelonanosy a annoncé à la presse locale la constitution d’un nouveau parti politique. Avec 140 partis officiellement recensés et enregistrés, la nouvelle aurait pu passer inaperçue si l’homme entouré de ses cadres, ce 14 janvier 2010, n’avait pas créé la surprise en réclamant ouvertement le retour de la monarchie mérina comme seule option viable à la crise qui perdure dans le pays depuis la chute en 2009 du Président Marc Ravalomanana. Les flashs crépitent, la nouvelle sera largement diffusée dans les quotidiens malgaches qui oscillent entre incrédulité et sérieux de l’information.
C’est au roi Andrianampoinimerina que l’on doit au XVIIIe siècle l’unification des quatre royaumes mérinas qui cohabitent avec d’autres peuples sur l’île de Madagascar. L’origine du nom de l’île reste un mystère. Elle est déjà évoquée comme telle par le géographe arabe de Roger II de Sicile ou Marco Polo qui en parlera lui-même dans ses récits mais nul n’a réussi pourtant à établir la souche étymologique de la grande île. Ses premiers habitants ? Certainement des polynésiens qui ont essaimé. Le mélange des cultures environnantes donnera naissance aux différents peuples malgaches sur lesquels les mérinas estiment avoir un droit divin de vie ou de mort.
En 1810 et 1897, six souverains vont occuper un trône où Français et Britanniques se livrent une guerre larvée pour obtenir la signature d’un traité de protectorat. Même les missionnaires, catholiques comme protestants, tentent de se rapprocher des différents souverains aux caractères différents afin de les convertir. Et Si Radama Ier (1798-1828) modernise le pays au contact des Européens qui se disputent son influence, c’est assurément son épouse qui va alimenter les fantasmes du vieux continent lancé dans la course à la colonisation de l’Afrique. Ranavalona Ière (1788-1861), que la presse française surnomme le « Néron femelle », se révèle une reine autoritaire qui n’hésite pas à se débarrasser de ses opposants. Et si les Britanniques avaient eu les faveurs de son mari, les Français auront les honneurs de son lit avec le commerçant Jean Laborde, Premier consul français à Madagascar. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle entend se faire mener par un vahaza (étranger). Si les Français tentent de s’arroger le droit d’occuper les côtes de son royaume, elle les combat avec une sauvagerie sans pareille. Si les missionnaires tentent d’évangéliser, elle les fait empaler et si on tente de la renverser, elle envoie en esclavage des peuples entiers. Accusé de brader son royaume, son fils Radama II sera assassiné, à 33 ans, par une conspiration d’andrianas (nobles) qui le font étrangler le 11 mai 1863, avec un fil de soie. Privilège des rois oblige ! Sa proximité avec les Français et ses mœurs sexuels peu prompts à renouveler les générations avaient généré une contestation de part des hovas qui avaient décidé de se débarrasser de l’encombrant souverain, ses jeunes compagnons compris. Entre mythe de la survivance du roi et une monarchie désormais sous la coupe de son gouvernement, la capitale Antananarivo, surnommée «Tana », se couvre de maisons bourgeoises. Trois femmes occuperont successivement le trône (Rasoherina de 1863 à 1868, Ranavalona II de 1868 à 1883 et Ranavalona III jusqu’en 1897) mais c’est le Premier ministre et époux des trois, Rainilaiarivony, qui exercera la réalité du pouvoir.
La société malgache a considérablement changé. Le christianisme est devenu une religion d’État, l’esclavage a fini par être aboli. Mais les demandes des Français se font de plus en plus pressantes et les humiliations envers les populations sont en augmentation. La reine proteste, le résident-général l’ignore et décide finalement du destin de cette île trop remuante et au goût prononcé pour la sorcellerie dont quelques vahazas ont déjà été les victimes. La conquête de l’île par une armée menée par un général Gallieni sera aussi foudroyante que le paludisme qui décime plus les troupes que les combats épars eux-mêmes. La monarchie est abolie, la reine arrêtée le 27 février 1897 au cours d’un coup d’État organisé par Gallieni. Exilée à la Réunion puis en Algérie, Ranavalona III devait y mourir en 1917 en pleine cinquantaine. Deux fois la France lui avait refusé de revenir à Madagascar, « faute d’argent » lui écrivait le gouvernement qui n’ignorait pas les soutiens dont elle bénéficiait sur l’île. Il y avait bien eu des tentatives de restauration de la monarchie en 1901 ou 1905 mais qui se souciait alors de cette reine à qui on consacra à peine dix-sept lignes dans un des journaux d’Alger, lors de son décès ?
Ce n’est qu’en 1938 que seront ramenées ses cendres dans un enthousiasme populaire partagé entre nationalisme émergent et regrets de la grandeur perdue mérina que la République finira par balayer une fois l’indépendance obtenue. Pourtant, la nostalgie demeure et imprègnera fortement le nationalisme malgache. Le 15 février 1946, la revue Ny Fandrosoam-Baovao écrit : « Si Madagascar a perdu sa souveraineté, c’est par la force des canons […], le pays devrait recouvrer son indépendance perdue ». Allusion à peine voilée à la monarchie défunte et que confirme l’historienne Lucile Rabearimanana qui écrira dans les années 1980, à propos du soulèvement de 1947, violemment réprimé par les autorités coloniales (la France de Jacques Chirac ayant officiellement présenté ses excuses aux Malgaches en 2005) que « l’ancienne monarchie représent(ait) aux yeux de beaucoup de Malgaches » un symbole d’indépendance. Une minorité de hovas (parmi lesquels le prince Albert Rakoto Ratsimamanga (1907-2001), un des fondateurs du Mouvement?démocratique?de?la?rénovation?malgache et membre de la famille royale) n’était d’ailleurs pas hostile à la création d’un statut de protectorat similaire au Maroc avec un souverain mérina à sa tête. Un projet qui ne verra pas le jour.
Alors que Madascagar s’enfonce dans une énième crise politique qui perdure depuis des mois, le mouvement monarchiste tente de faire entendre sa voix au milieu des partis de la IVe République. Le 28 avril dernier, Clovis Andrianasolo Ravelonanosy a dénoncé dans une interview, ce « système républicain imposé en juin 1960 par les anciens colonisateurs » et réclamé que soit instaurée une chambre spéciale rassemblant tous ces princes et rois de l’île que « les politiciens ne consultent uniquement que lors des élections ». Le XXIe siècle semble signer le renouveau du monarchisme malgache. Et si en 2011, s’est officiellement constituée la Fédération des communautés royales traditionnelles malgaches (FCRTM), elle n’est pas réellement reconnue par l’État qui n’y voit qu’un simple « folklore local de chefs tribaux se promenant en lambawan rouge ». La réalité est pourtant plus subtile et la nostalgie d’exister dans le subconscient des Malgaches. Le pouvoir des différents rois malgaches reste incontournable pour ceux qui veulent se faire élire à un poste de député. Lors du premier congrès de la FCRTM, nombres de parlementaires avaient courbé l’échine devant ces rois comme aux plus beaux jours de la monarchie. Même le président Andry Rajoelina (2009 à 2014), un mérina des hauts-plateaux, fut accusé à diverses reprises de vouloir restaurer les usages de l’ancienne royauté défunte en organisant une marche triomphale en 2010 depuis le Rova dont la face a été inspirée par l’Arc de triomphe de Paris. Le journal La Nation accusera même le président de la Haute autorité de Transition de vouloir restaurer « la monarchie absolue ».
Si la famille royale est toujours présente, les royalistes ne désignent aucun candidat pas plus qu’ils n’ont déjà participé à une élection. La monarchie malgache était héréditaire mais l’aîné n’était pas forcément celui qui pouvait porter la couronne royale. Une couronne qui fait d’ailleurs elle-même aussi l’objet d’un mystère… Cadeau de la reine Victoria à Ranavalona Ière, elle a disparu mystérieusement du musée où elle était exposée, lors de la nuit du 3 au 4 décembre 2011. A ce jour, nul ne sait ce qu’il est advenu de ce trésor national, « en argent recouvert d’or, doublé de velours rouge grenat et orné de pierres précieuses, avec sept fers de lance symbolisant le pouvoir des reines de l’époque ». Les appels au « patriotisme » lancés par le gouvernement se perdront dans le bruissement des feuilles de baobabs couverts par nombreuses théories complotistes que la presse nationale distillait pour trouver une raison à ce vol. Pas plus que l’incendie du Palais Royal (le Rova) en 1995 ne trouvera d’explications. Et bien qu’il subsiste la couronne de Ranavalona III dans un musée de Paris, c’est une réplique à celle de Ranavalona Ière qui a été déposée en 2012 par la ministre de la Culture, Elia Ravelomanantsoa.
Sur l’île des vanilles, l’histoire continue de s’écrire inlassablement dans le temps ; les rois et reines de Madagascar n’ont jamais été oubliés et font aujourd’hui l’objet d’une pleine réhabilitation au nom d’un sentiment national qui cherche encore son symbole.
Coyright@Frederic de Natal
Publié le 09/12/2017