Dans une Libye dévastée par quatorze années de guerre civile, la jeunesse relève la tête et bouscule les certitudes. À Tripoli, plus de 1 000 jeunes ont assumé un choix radical : remettre la monarchie constitutionnelle de 1951 au cœur du projet national. Entre lassitude du chaos et soif d’État, la génération Z veut reprendre le destin du pays en main.
Le 4 décembre 2025, à Tripoli, une conférence historique organisée sous l’égide du Forum national pour l’unité et la paix (FNUP) a rassemblé plus de 1 000 jeunes Libyens, issus de la Génération -Z, venus des quatre coins du pays. Un véritable succès inattendu y compris même de la part des organisateurs surpris par l'engouement suscité par ce congrès.
En effet, à travers ce rassemblement — le troisième en moins d’un mois après le meeting national du 15 novembre et la conférence des femmes du 22 novembre — les jeunes Lybiens ont exprimé un désir identique profond de retour à un ordre constitutionnel clair, stable, légitime : celui posé en 1951 sous la monarchie des Senoussis. Pas du goût de tous.
Une jeunesse qui se lève, épuisée par des années de guerre
Les délégués — jeunes de toutes sensibilités, de toutes régions — ont affirmé d’une même voix que les successions d’accords de transition signés entre les deux gouvernements rivaux n’ont jamais réussi à instituer une gouvernance unifiée et pérenne. Selon eux, seules des institutions solides, fondées sur un cadre constitutionnel accepté par tous, peuvent offrir à la Libye la stabilité qu’elle attend depuis 2011. L’idée phare : restaurer la Constitution libyenne de 1951 dans son intégralité — ce qui inclut la monarchie constitutionnelle, avec son chef légitime tel que défini à l’époque, issu de la famille Senoussi.
Pour beaucoup de participants, cette architecture constitue un socle d’unité nationale, neutralité institutionnelle, et garantie d’équité entre régions, tribus et sensibilités. Dans un discours suivi par les congressistes, le prétendant au trône, le prince Mohammed El Senussi (63 ans), a souligné l’importance d’une participation active de la jeunesse au « dialogue national », plaidant naturellement pour le rétablissement intégral de la Constitution de 1951 (incluant la charia), seule capable, selon lui, d’assurer « l’unité, la continuité institutionnelle et l’égalité des chances dans toutes les régions du pays ». Un des orateurs, le président du Parlement des jeunes libyens, a déclaré en retour : « Nous ne voulons plus hériter de l’instabilité. Nous choisissons une voie qui a fait ses preuves : une monarchie constitutionnelle fondée sur le droit, la responsabilité et l’unité nationale. ».
À l’issue de la conférence, un engagement collectif a été signé : la jeunesse réaffirme son rôle de moteur du renouveau libyen et se dit prête à soutenir activement toute initiative visant à restaurer l’ordre constitutionnel de 1951.
Un retour à la monarchie soutenu — mais contesté — depuis des décennies
La monarchie libyenne, incarnée par Idriss Ier, a été renversée en 1969 par le coup d’État des Officier Libres mené par le colonel Mu’Ammar Kadhafi. Ce putsch a supprimé la Constitution royale et instauré une république militaire et socialiste. Pour de nombreux Libyens, la chute de la monarchie a été le synonyme d’une longue période de centralisation autoritaire, d’oppression politique, de marginalisation des régions et des tribus, et d’érosion des libertés en dépit d’une économie faste durant des années (grâce à la manne pétrolière), effet « kiss-cool » du régime qui a fait la pluie et le beau temps en Afrique.
Après la chute du régime de Kadhafi en 2011, la Libye a sombré dans un cycle de guerre civile, de fragmentation politique, de milices rivales (parmi lesquelles des groupes islamistes) et de gouvernements parallèles, générant une porosité des frontières, abandonné par un Occident pourtant à l'origine de la fin du pouvoir des Kadhafi. Dans ce contexte chaotique, l’appel au retour à la monarchie a refait son apparition, vécu par une partie des libyens comme une aspiration à la légitimité, à l’unité nationale et à la stabilité. L’idée monarchique en Libye n’est d’ailleurs ni une lubie récente ni une nostalgie marginale. Des mouvements structurés se sont formés pour réclamer le retour à la Constitution de 1951, dernier socle légal issu de la souveraineté nationale. Sous la bannière du Movement for the Return of Constitutional Legitimacy, des militants ont maillé le territoire, de Tripoli à Misrata, de Zliten au Jebel Akhdar, investissant aussi bien la rue que les réseaux sociaux.
En 2017 déjà, près d’un millier de partisans s’étaient réunis à Gharyan pour appeler publiquement à la restauration de la monarchie constitutionnelle, organisant des manifestatios dans les rues des principales villes du pays. Mais le basculement est désormais politique. Le 5 août 2024, 75 des 145 membres du Haut Conseil d’État ont officiellement saisi le secrétaire général des Nations unies pour demander le rétablissement de la Constitution de l’indépendance et de la monarchie sous l’autorité du prince Mohammed El Senoussi. Un geste lourd de sens, qui traverse l’ouest, l’est et le sud du pays, et qui mesure l’étendue de l’épuisement national face aux gouvernements parallèles, aux milices et à l’effondrement de l’État.
Le prince héritier, de son côté, défend sans détour ce cadre comme le seul capable de refonder la Libye sur des bases solides : un État de droit, des libertés garanties — jusqu’au suffrage féminin dès les années 1950 —, une représentation démocratique équilibrée et une unité nationale au-dessus des factions. Pour ses partisans, parmi lesquels on compte des anciens ministres, la monarchie constitutionnelle n’est plus un symbole du passé, mais un ultime recours pour sauver l’avenir que refuse de considérer, les nombreux seigneurs de la guerre (comme le Maréchal Haftar) qui se disputent la gouvernance du pays et qui refusent catégoriquement de soutenir l'option monarchique.
Une chance pour la Libye ?
La conférence du 4 décembre à Tripoli pourrait pourtant marquer un tournant. En mobilisant la jeunesse — majoritaire dans la population — autour d’un projet constitutionnel défini, stable et consensuel, le mouvement monarchiste libyen entend s’imposer comme une alternative crédible à la guerre civile, aux divisions et à l’impuissance des gouvernements successifs.Le pari monarchiste reste cependant difficile à mettre en place .
Plusieurs obstacles sont majeurs : Sur le plan international, peu — voire aucun — État n’a officiellement soutenu le retour à la monarchie constitutionnelle. Même des alternatives temporaires évoquées par certains pays n’ont jamais mentionné un rétablissement effectif de la monarchie Le fait que nombre de Libyens n’aient pas connu l’époque monarchique rend le projet plus idéalisé qu’ancré dans la mémoire collective : certains voient dans l’option royale un saut vers un modèle importé ou même un retour vers un passé « colonial » ou « coutumier ». Enfin, l’équilibre entre modernité, pluralisme politique et tradition — dans un pays divisé, fragilisé, traumatisé — exige des garanties fortes : la monarchie doit convaincre qu’elle n’est pas un retour à un autoritarisme, mais une plateforme d’unité, de démocratie et de respect des libertés.
Le retour à la Constitution de 1951, avec la monarchie constitutionnelle — un temps disparu — n’est pas un simple rêve nostalgique, mais pour beaucoup un espoir concret de réconciliation nationale, d’unité et de renaissance institutionnelle. Avec l’engagement croissant des jeunes d’aujourd’hui, la Libye pourrait découvrir un chemin hors de la crise — si les obstacles internes et externes sont surmontés.
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