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Zera Yacob, le dernier Lion de Judah : crépuscule d’un empire éthiopien

Dans l’ombre d’un trône disparu, le prince Zera Yacob incarne la survivance silencieuse d’une monarchie millénaire, jadis sacrée entre toutes. Héritier du dernier empereur régnant, Haïlé Sélassié Ier, il vit aujourd’hui entre souvenir et effacement, dans un pays qui interdit jusqu’à la mention du mot « monarchie » dans sa Constitution.

Dans les hautes terres où les nuages effleurent les plateaux comme des voiles sacrés, l’Éthiopie apparaît telle un royaume suspendu entre l’histoire et le mythe. C’est une terre où les montagnes semblent garder des secrets immémoriaux, où chaque pierre pourrait être un fragment d’épopée, et où le vent lui-même porte encore l’écho des anciens rois.

Pays des commencements, elle se raconte à voix basse, dans la langue millénaire du Ge’ez, sous la protection des anges peints sur les plafonds de ses églises troglodytes. Là, au cœur des roches ocre de Lalibela, des sanctuaires sculptés d’un seul bloc s’enfoncent dans la terre comme des énigmes laissées par une civilisation qui dialoguait avec le ciel. Sur les rives du lac Tana, la brume matinale enveloppe les monastères insulaires d’un halo irréel, comme si les moines veillaient sur un trésor mystique. Car c’est ici, murmure-t-on, que l’Arche d’Alliance trouva refuge — un objet si sacré que nul ne peut l’approcher, sinon le gardien unique qui lui consacre sa vie entière.

Plus au sud, les contreforts brûlés du Grand Rift abritent des légendes plus anciennes encore : celles des premiers pas de l’humanité, des reines guerrières et des esprits de la vallée de l’Omo. Dans ces paysages où l’ocre, le noir et l’or se mêlent, les traditions semblent surgir de la nuit des temps, comme si les ancêtres marchaient encore aux côtés des vivants. Et puis il y a les noms, qui résonnent comme des poèmes : Axoum, Gondar, Harar… Des villes où l’on croise des princes déchus, des marchands d’épices, des hommes-saints drapés de blanc et des conteurs qui parlent des empereurs descendus de Salomon et de la reine de Saba. C'est sur cette terre mystérieuse, visible sur toutes les cartes maritimes de la Renaissance, que le prince Zera Yacob voit le jour, le 17 août 1953.

Généalogie des Salomonides

Un prince aux origines bibliques

L’Éthiopie impériale se distinguait de toutes les monarchies africaines par la sacralité de son origine. La dynastie salomonide, fondée selon la tradition en 1270 par le roi Yekuno Amlak, se réclamait directement de la descendance du roi Salomon et de la reine de Saba. Son fils, Ménélik Ier, aurait rapporté à Aksoum les Tables de la Loi et l’Arche d’alliance, symbole du pacte divin entre Dieu et le peuple d’Éthiopie. Ce mythe fondateur n’était pas une simple légende : il constituait la légitimité politique du pouvoir impérial. Chaque couronnement s’enracinait dans cette continuité biblique. L’empereur n’était pas seulement un monarque, mais le « Lion conquérant de la tribu de Juda », protecteur de l’Église orthodoxe éthiopienne et garant de l’unité nationale.

Zer Yacob est le fils du prince héritier Asfa Wossen (1916-1997) , plus tard empreur en exil sous le nom d'Amha Sélassié Ier. Mais, il est également (et avant tout) le petit-fils du Négus Haïlé Sélassié Ier qui a modernisé un pays encore resté très tarditionaliste et féodal, qui a assuré à l'Ethiopie son indépendance en résistant aux Italiens venus envahir son pays en 1936. Zera Yacob va grandir à l'ombre d'un trône mencé par toutes les ambitions. Éduqué à Eton puis à Exeter College (Oxford), il est  nommé héritier présomptif par son grand-père, quelques mois avant que la révolution ne renverse la monarchie millénaire (1974).

Lorsque l’empire s’effondre et que le « Négus Négest » est arrêté par le Derg marxiste, le jeune prince poursuit ses études en Europe, loin d’une Éthiopie livrée aux purges de Mengistu Haïlé Mariam et aux exécutions d'aristocrates comme des membres de la famille impériale. Entre le Royaume-Uni et la Suisse, Zera Yacob vit dans une relative discrétion, se consacrant à la finance avant de rejoindre son père en Virginie ( États-Unis), alors que ce dernier est au crépuscule de sa vie. À la mort de ce dernier, en 1997, Zera Yacob devient le chef de la maison impériale d’Éthiopie.

Amha Sélassié ( gch) et Zera Yacob (milieu et droite) @ECM

La monarchie dans le cœur des Éthiopiens : entre nostalgie et oubli

Zera Yacob n’a jamais revendiqué activement le retour au trône. L’homme, marqué par l’exil et la tragédie familiale, semble s’être retiré du tumulte politique. Certains le disent indifférent, d’autres lucide. En 1991, à la chute du régime de Mengistu, des voix s’élevèrent pourtant pour réclamer la restauration de la monarchie impériale. Mais toutes les tentatives politiques ou même armées échouèrent rapidement : les monarchistes sont rapidement marginalisés et exclus du nouveau pouvoir, bien qu'ils aient aidé la rébellion à faire chuter le tombeur du Negus.

« Selon l'ancienne loi, le prince Zera Jacob doit maintenant accéder au trône », réclamait dans un entretiien The Independent, Fitawrari Gabre-Hiwot. « Malgré toutes les vicissitudes politiques, j’aimerais voir la dynastie éthiopienne remonter sur son trône et suivre le modèle de la monarchie britannique.», espère cet ancien collaborateur d’Haïlé Sélassié, résumant l'espoir de milliers d'Ethiopiens, très actif sur les réseaux sociaux.  Mais Zera Yacob n’a jamais cherché à incarner ce rêve. Ses relations avec son cousin, le prince Ermias Sélassié — président du Conseil de la Couronne d’Éthiopie depuis 1993 — sont d’ailleurs tendues. Tandis qu’Ermias Sélassié œuvre à l’étranger pour raviver l’aura de la monarchie et maintenir la flamme, Zera Yacob s’enferme dans un mutisme que ses proches décrivent comme « mélancolique » et qui surprnd les nostalgiques de la période impériale. 

Aujourd’hui, Zera Yacob vit discrètement dans la capitale éthiopienne. Les années ont blanchi la crinière du « Lion de Judah ». Il ne menace pas la république actuelle, n’intervient pas dans les débats publics, s'occupe de sa famille, se garde de tout communiqué officiel, se contentant de gérer la Fondation éthiopienne pour la paix.  L’homme, dit-on, se consacre à la prière et aux œuvres caritatives, loin des intrigues d’une couronne dont il ne reste que l’ombre. Un proche le décrit comme « un fantôme vivant, arpentant les reliques d’un empire disparu ». Peut-être est-ce là la plus belle métaphore de son destin : celui d’un prince sans royaume, gardien d’une mémoire impériale que l’histoire a reléguée au silence !?.

Une nostalgie palpable dans le pays du Lion de Judah

À Addis-Abeba comme à Shashamane, ville sainte du mouvement rastafarien, le souvenir du  Négus  reste vivace. Pour beaucoup, il incarne encore la dignité africaine et la réalité du panafricanisme. Un sondage réalisé par Ethiopian Insight (2022) révélait que près de 42 % des Éthiopiens considéraient encore la monarchie comme un symbole d’unité nationale et de stabilité, face à un État fédéral fragilisé par les guerres ethniques. Parmi les jeunes générations, la figure d’Haïlé Sélassié, longtemps diabolisée par le régime marxiste, connaît un regain d’intérêt : sa mémoire est réhabilitée dans les manuels scolaires, et son effigie réapparaît dans certaines célébrations religieuses. 

Mais la nostalgie n’équivaut pas à un désir de restauration. Dans un pays où la Constitution de 1995 interdit toute mention de la monarchie, un retour institutionnel semble aujourd’hui improbable. Le politologue éthiopien Dr. Getachew Mekonnen souligne d'ailleurs  dans une étude parue à l’Université d’Addis-Abeba (2021) : « La monarchie éthiopienne appartient désormais au patrimoine symbolique du pays. Elle survit dans les rituels, les commémorations, les chants liturgiques. Mais elle n’est plus une alternative politique réelle. ».

Mais dans le regard de ceux qui croient encore au retour du Lion de Judah, Zera Yacob demeure plus qu’un héritier : il est le dernier témoin d’une Éthiopie éternelle, celle qui se rêvait fille de Sion et compagne du Très-Haut.

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Date de dernière mise à jour : 26/11/2025