L'Empereur des Mossis Baongo II, médiateur de la paix au Burkina Faso
L'Empereur des Mossis Baongo II, médiateur de la paix au Burkina Faso
Souverain absolu, l'Empereur des Mossis est une haute autorité traditionnelle du Burkina Faso. Il est un arbitre naturel de la politique voltaïque. Nanan Baongo II a reçu une importante délégation du gouvernement venue lui demander de maintenir la cohésion du pays.
Une délégation gouvernementale, conduite par le ministre d’État Bassolma Bazié, a été officiellement reçue par sa Majesté le Mogho Naaba Baongo, Empereur traditionnel des Mossis, le 3 octobre 2024. Figure emblématique au Burkina Faso, cette visite s’inscrit dans une dynamique de renforcement des liens entre l'institution républicaine et cette monarchie traditionnelle afin de lutter contre le terrorisme qui frappe cette partie du du Sahel et promouvoir la cohésion sociale d’un pays, déstabilisé par de nombreux putschs à répétition ces dernières années.
Le Mogho Naaba : pilier de la stabilité et gardien de l’histoire
Le Mogho Naaba, chef suprême des Mossis, incarne une autorité historique et politique profondément enracinée dans la tradition burkinabè. C’est au cours du XIe siècle que cette monarchie absolue s’est imposée dans l’Afrique l’Ouest. Entre réalité et légende, les différents monarques ont contribué à agrandir leurs frontières et en faire un empire comparable à ceux que l’on pouvait trouver en Europe au cours de la Renaissance.
Régie par un droit de succession exclusivement par progéniture masculine, la monarchie a été secouée par diverses querelles dynastiques au cours de son histoire et de nombreuses guerres territoriales avec ses voisins, également membres de la puissante Confédération mossi. Son pouvoir s’est finalement progressivement affaibli au cours des siècles qui se sont succédé La première rencontre entre les Mossis et les Français a eu lieu en juin 1888. Louis-Gustave Binger, officier militaire et futur gouverneur de la Côte d’Ivoire, est reçu par l’Empereur Boukary Koutou (1850-1904) qui s’entiche très vite de ce blanc médaillé. Tant et si bien qu’il tentera vainement de le retenir auprès de lui en lui proposant un triple mariage avec des épouses que le souverain a préalablement choisi pour cette mission. L’anecdote est croustillante, Binger aura tout le mal du monde à trouver une solution pour ne pas devoir passer à l’église.
Une tentative d’instauration de la monarchie
Enjeu entre les Britanniques et les Français, la monarchie mossi est finalement conquise par Paris qui se débarrasse de cet encombrant souverain en 1897. Dès lors, la nomination des Empereurs mossis se fait sous le strict contrôle de l’autorité coloniale qui réduit considérablement leur regalia. Le Mogho Naaba Kom II (1890-1942) sera l’un des monarques les plus francophiles de l’histoire de cette dynastie et va fournir durant les deux Guerres mondiales des milliers de soldats à la France qui, reconnaissante, le décore de la Légion d’honneur. Si, son fils et successeur Sagha II est tenté par Vichy, il finira par se rallier à la France Libre quelques mois plus tard. Nationaliste, il défendra le point de vue de la Haute Volta (ancien nom du Burkina Faso) et transmet le flambeau au Naaba Congo Kougri, son fils de 27 ans.
À l’aube des indépendances, le nouveau souverain entend bien récupérer ses pouvoirs et régner sur le nouveau pays à venir. Membre de l’Union voltaïque (UV), une alliance de jeunes Voltaïques de formation catholique et de rois traditionnels créée par le gouverneur Albert Mouragues, dont le précédent Mogho Naaba fut le leader, l’Empereur Kougri brûle de s’imposer. Il ne veut pas entendre parler de République. Craignant de voir son ethnie réduite à sa simple expression, le monarque mobilise ses forces le 17 octobre 1958 et tente de s’emparer du Parlement avec ses partisans. Le gouvernorat français réagit rapidement et disperse les soldats de l’empereur. Un acte qui va être préjudiciable au Mogho Naaba. En 1962, deux ans après l’indépendance, il perd ses dernièrs pouvoirs et sera désormais considéré comme un chef traditionnel par le nouveau Président qui ne souhaite pas la mise en place d’un Etat hybride.
Un monarque qui s’impose comme médiateur neutre de la vie politique locale
En 1982, Naaba Baongo II monte sur le trône. Il a hérité du prestige de son père, gardien d’une histoire séculaire. Il n’a plus aucun pouvoir politique même s’il règne sur une population de plus d’un million de personnes. Son trône lui offre pourtant une position de médiateur privilégié. Lors de chaque crise politique qui éclate, c’est à lui que les nouveaux maîtres du pays font appel. Un appel au calme du souverain équivaut à un ralliement de la population au dirigeant du pays. « Il – même si cela ne plaît pas à tout le monde – parle très souvent au nom de tous les chefs coutumiers du pays et, voire même, au nom de ce que l’on appelle les autorités morales, c’est-à-dire ces autorités, à la fois coutumières et/ou religieuses qui ont joué un rôle majeur dans les situations de crise ou post-crise dans ce pays. C’est un rôle médiatique extrêmement important », explique à ce propos Benoît Beucher, docteur en histoire et en sciences politiques à l'université Paris-Sorbonne. En 2015, les militaires qui se sont emparés du pouvoir s’empressent d’aller le voir et de lui demander de jouer les négociateurs avec le gouvernement légitime. Une mission dont il s’acquitte avec brio puisqu’un accord est signé dans son palais de Ouagadougou, la capitale.
Depuis le putsch qu'il a organisé le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a bien compris toute l’influence que représente la monarchie mossi. La délégation gouvernementale,qu’il a envoyée auprès de l’Empereur Baongo II est importante. Elle témoigne de la haute considération que le nouveau dirigeant porte au monarque. Composée de hauts responsables, dont le ministre de la Santé, Dr Robert Kargougou, le ministre de la Justice, Me Edasso Rodrigue Bayala, et des représentants des forces de défense, ils sont venus présentés les félicitations du président Traoré pour le rôle joué par le Mogho Naaba dans la préservation de la cohésion sociale.
« Nous sommes venus transmettre les félicitations du chef de l’État à sa Majesté pour son investissement personnel dans la quête de la paix », a déclaré Bassolma Bazié. Le ministre a également appelé à une mobilisation accrue pour sensibiliser la jeunesse, souvent manipulée dans le contexte des conflits actuels, à s'engager en faveur des valeurs sociales et nationales.
Le Mogho Naaba exhorte à une refonte éducative
En réponse, le Mogho Naaba Baongho a salué l’initiative du gouvernement et renouvelé son engagement à œuvrer pour la paix. « Il est primordial que les autorités refondent l’éducation pour inculquer, au-delà de l’instruction, des valeurs civiques aux jeunes générations », a-t-il affirmé. Ce plaidoyer pour une éducation civique renforcée reflète une vision partagée avec le gouvernement : celle d’un Burkina Faso où la jeunesse joue un rôle clé dans la construction d’une nation pacifique et prospère. Face aux défis sécuritaires, Bassolma Bazié a appelé à une prise de conscience collective. « Celui qui est à l’extérieur doit comprendre qu’il a tout intérêt à revenir pour contribuer à la construction du pays », a-t-il martelé, appelant les Burkinabè à cesser les divisions et à s’unir pour éradiquer le fléau du terrorisme.
Cette rencontre souligne l’importance stratégique du Mogho Naaba dans la mobilisation nationale. Son rôle dépasse le cadre symbolique : il est un levier indispensable dans la lutte pour la cohésion sociale et le retour à la paix au Burkina Faso. Un dialogue qui marque une étape significative dans la collaboration entre les autorités politiques et monarchiques, et qui soulige l’urgence de consolider les bases d’une société unie face aux défis actuels. Preuve que les monarchies en Afrique continuent encore de jouer un rôle fort dans l'histoire des peuples de ce continent.