Les reines Modjadji, une monarchie matriarcale

Makobo modjadji VI, la reine de la pluieLe 12 juin 2005, sa mort dans des conditions mystérieuses a fait les principaux titres des médias sud-africains. Le décès inattendu de la reine de la pluie, couronnée deux ans auparavant, a provoqué une forte émotion dans cette partie de l’Afrique australe tant ces souveraines aux pouvoirs mythiques sont révérées. Aujourd’hui, sa fille Masalanabo Modjadji VII s’apprête bientôt à assumer ses fonctions royales. Qui sont donc ces reines africaines qui commandent au dieu de la pluie et aux hommes ?

Reine de la pluie. Son titre est digne d’un film d’Hollywood et renvoie aux plus grands fantasmes en tout genre, générés par des occidentaux en mal d’exotisme. Et comme beaucoup d’histoires en Afrique, tout commence par une légende. Elle raconte que cette maison royale descendrait d’une famille qui a régné sur la mystérieuse monarchie du  Monomotapa entre le XVème et XVIème siècle. Une cité située dans l’actuel Zimbabwe qui a donné lieu à diverses théories y compris raciales.  C’est un inceste consenti entre l’héritier au trône et sa sœur qui serait à l’origine de la fuite des Lobedus, cette sous-ethnie des sothos,  plus au nord du royaume. En guise de châtiment, le roi, leur père, aurait alors confié le pouvoir de faire tomber la pluie à l’enfant issu de cette relation contre le prix d’une vie éphémère pour elle et tous ses successeurs. La vérité historique est peut-être moins mystique que cela. Le royaume  n’a pas toujours été dirigé par des femmes mais bel et bien par des hommes avant elles. Le dernier souverain mâle aurait décidé de nommer sa fille comme direct sucesseur, influencé par un prophète, adepte de la déesse Mwari, la suprême créatrice. Les mythes ont la vie dure et lorsque l’empereur Shaka Zoulou déclenche son terrible Mfecane (déplacement), il force les Lobedus à quitter leurs terres, sans oser pour autant  annexer leur royaume tant il craint que  la souveraine-sangoma (sorcière)  Modjadji ne lui jette un sort.

La reine Modjadji ILa première des reines Modjadji, Maselekwane, va vivre toute sa vie, recluse dans la forêt. Nul n’osera approcher cette femme aux pouvoirs divins et que l’on disait descendre de la  Grande éléphante elle-même. Elle n’avait qu’un rôle, celui de faire tomber la pluie afin de garantir à ses sujets l’abondance des récoltes. L'Afrique du Sud est en pleine transformation et Maselekwane ignore que sur ses terres ancestrales, les blancs s'affrontent entre eux.  En 1854, elle se suicide de manière rituelle après un demi-siècle de règne comme l’exige la coutume qui précise que la reine se doit d’être aussi jeune que possible. Ici on se succède de femmes en femmes et on ignore les hommes autrement que pour de bas besoins sexuels de reproduction. Car bien avant que l’Afrique du Sud ne légalise le «mariage pour tous», chez les reines de la pluie, on n’épouse que des femmes qui auront la lourde charge d’enfanter des…héritières, dont l’une d’entre elles deviendra à son tour la prochaine reine. Une monarchie matriarcale unique en son genre. et toujours en exercice.

«La reine de la pluie est une personne sacrée» indique à France soir, David Copland, un anthropologue officiant à l'université du Wits, à Johannesburg. «Les pouvoirs que lui prête sa communauté sont comparables à ceux du pape sur l’Église catholique» ajoute t-il. Lorsque les premiers afrikaners rencontrent la reine de la pluie en 1890, c’est la déception. Ils avaient imaginé une sorte de reine blanche régnant sur un peuple antique d’amazones, pâle survivance des anciens pharaons. Face au général Petrus Jacobus Joubert, une vieille femme avec un bonnet de lain. Le futur héros de la seconde guerre anglo-boer croit qu’il ne s’agit pas de la véritable reine dont les afrikaners apprendront la mort que 4 ans plus tard et de la même manière que sa prédécesseur. Les Lobodus auraient –ils caché leur reine ? C’est probable. A la même époque, le livre «Elle !» de Sir Henry Rider Haggard va rencontrer un succès en librairie. Les rumeurs affirmant que l’auteur s’était inspiré de la reine Masalanabo Modjadji II pour croquer son héroïne. Un siècle passé, ce fameux mythe de la reine blanche persistera avec le film, «Sheena, reine de la jungle» sorti sur les écrans en 1984 où l’on peut voir une future James bond’s girl, Tanya Roberts, toute à son érotique blondeur chevaucher un zèbre en pleine savane et commander aux animaux et charmer les hommes. 

Khesetoane modjadji iiiOn sait peu de choses du règne de sa nièce Khesetoane Modjadji III (1869-1959) et de la fille de celle-ci, Makoma Modjadji IV (1905 – 1980) mais en revanche, l’histoire est moins avare sur celui de Mokope Modjadji V. La souveraine vit loin les différents soubresauts qui traversent l’Afrique du Sud. Sorties de leur forêt depuis longtemps, les reines de la pluie résident aujourd’hui dans leur Kraal de Khetlhakone. Mais le rôle sacré qu’elle incarne va bien au-delà des frontières d’un empire modeste composé à peine de 150 villages. Nelson Mandela viendra en personne saluer la reine Mokope Modjadji en 1994, peu de temps après son élection …. Sans jamais la voir. Réfugiée dans sa case-palais, un voile pudique séparera le prisonnier de Robben Island de la souveraine de 58 ans et qu’il compare à Elizabeth II à la sortie de cet entretien royal particulier. Le président sud-africain lui achètera deux voitures mais n’obtiendra jamais pour autant le vote de son peuple. La reine refuse de lui donner le moindre soutien, l’accusant de vouloir réduire ses prérogatives alors que le précédent régime de ségrégation raciale (apartheid) lui avait garanti une pleine souveraineté. Loin d’être rancunier, Mandela lui accordera toutefois une pension annuelle.

La reine modjajdi vii jauneMokope Modjadji V meurt en 2001. Sa fille du même nom a 23 ans quand elle monte sur le trône ancestral. Elle est une jeune princesse qui entend révolutionner la coutume. A l’ère de l’internet, elle n’entend pas rester confinée dans un palais dont la principale case est surmontée d’un fétiche sensé scruter toute l'Afrique de son regard. Adieu Kirikou, elle porte des jeans, joue avec son portable toute la journée, regarde des soap-opéras et va même en discothèque. Un comportement peu royal qui atteint son paroxysme lorsque la reine tente d’imposer son propre conseil royal et son amant, David Mogale, fils d’un conseiller municipal local. Pis, lorsqu’elle décide de s’installer le prince de son cœur, au sein même du Kraal royal, c’est une tempête qui éclate au-dessus de sa tête. L’affaire va soudainement prendre un tournant inattendu. Admise soudainement en urgence à l’hôpital le 10 juin 2005, la reine meurt 2 jours plus tard. Son acte de décès ne précise pas les circonstances ni les raisons de sa mort (on a parlé de méningite foudroyante) mais tout porte à croire qu’elle a été la victime de la vengeance du conseil royal qui ne supportait plus ses frasques. Son frère, ayant disparu dans la nature (on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu) tout comme l'amant prié de quitter le royaume, ce qui ressemble à un coup d’état moderne place sur le trône sa fille, Masalanabo Modjadji VII, une enfant de quelques mois. 

La nouvelle reine des pluies va au collège à Johannesburg. Elle n’est plus cachée même si son regard est étrangement marqué par une constante tristesse. Son destin est scellé. Elle vit sous la protection du gouvernement qui entend la préparer à sa tâche (un régent a été nommé). Friande des réseaux sociaux, elle a cependant interdiction de parler aux journalistes et porte sobrement une couronne de perles nguni. Afin de sécuriser son pouvoir (contesté par une partie de sa famille), le gouvernement a pleinement reconnu en 2016 sa monarchie avec droits afférents à celle-ci. C’est en 2023 pour ses 18 ans qu’elle pourra pleinement régner. « Elle discute beaucoup avec mon épouse, de politique ou des traditions. Elle veut être bien préparée à son rôle. Elle veut donc être éduquée en conséquence pour correspondre à son temps » a récemment déclaré Mathole Motshegka,  vice-premier–ministre de la province du Gauteng, en charge de sa tutelle. Ce jour-là, durant toute l'interview,  la pluie était tombée sur les vitres de sa résidence. Un signe royal et divin, si il en est pour les Lodebus.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 19/05/2020

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