Le royaume Bapedi, une guerre de succession depuis deux siècles

La reine Manyaku ThulareDepuis le décès du roi Victor Kgoshikgolo Thulare III en janvier 2021, le royaume des Bapedis est agité par une violente querelle de succession. La nomination de la reine-mère Manyaku Thulare comme régente de cette nation, qui rassemble cinq millions de personnes réparties entre l’Afrique du Sud et le Botswana, n’a pas fait que des heureux. Une faction dissidente du Conseil royal a décidé de désigner immédiatement un nouveau souverain à la filiation douteuse et de le couronner Kgosi des Pedis. Une rivalité opposant la branche des Thulare à celle des Morwamohube  depuis deux siècles et qui n’a de cesse de secouer une monarchie traditionnelle reconnue pour avoir férocement tenue tête aux anglais et aux afrikaners du Transvaal au cours du XIXème siècle. 

Sekhukhune iLa nomination de la reine mère Manyaku Thulare comme régente des Bapedis a semé le trouble au sein de cette monarchie installée dans l’ancien Transvaal sud-africain depuis le XVème siècle. Puissant royaume traditionnel, la rencontre entre les deux peuples sera un choc des civilisations mais face au Mfecane (« Grand déplacement ») zoulou, le roi (« Kgosi »)  Sekwati n’a d’autres choix que de laisser les boers s’installer au sein de son territoire et de se mettre sous la protection de la nouvelle Zuid-Afrikaansche Republiek. Sa mort en septembre 1861 plonge le royaume dans une violente guerre civile entre ses deux fils, Sekhukhune I et Mampuru II. Officiellement, c’est le second qui a été désigné pour occuper le trône de son père mais le premier ne l’entend pas de cette oreille et souhaite redonner aux Bapedis toute leur gloire d’antan alors qu'afrikaners et britanniques menacent l’indépendance de la monarchie. Sekhukhune I est la figure centrale de cette nation répartie entre l’Afrique du Sud et le Botswana, comparable à celle de l’empereur Shaka pour les zoulous. Il encourage les jeunes pedis à travailler dans les mines des blancs avec pour seule préoccupation, celle de rapporter de l’argent qui lui permettront d’acheter des armes pour combattre les afrikaners. Agacé par le souverain, les boers décident de lui déclarer très officiellement la guerre en mai 1876. En dépit de leur alliance avec les swazis et d’une légion de mercenaires allemands (le Lydenburg Volunteer Corps), les boers sont piteusement défaits trois mois plus tard et le traité qu’ils sont obligés de signer va provoquer une crise politique au sein de la République, va propulser au pouvoir un certain Paul Kruger, futur héros de l’afrikanerdom. Une seconde guerre contre les anglais (1879) sera fatale au souverain qui est emprisonné à Pretoria pour une période de  trois ans.

Victor kgoshikgolo thulare iiiDiminué, il revient dans son royaume et c’est alors que son frère rival (qui rumine depuis des années sa défaite) décide de passer à l’action en le faisant assassiner le 13 août 1882. Ce meurtre est encore présent dans le subconscient des Bapedis et toujours source de l’actuelle division dynastique qui secoue cette monarchie.  Arrêté,  Mampuru II est pendu haut et court le 21 novembre 1883. C’est donc son neveu, Sekhukhune II, qui est couronné souverain d’une monarchie transformée en simple chefferie traditionnelle (« Paramount Kingdom »). Il tente bien de se rebeller durant la seconde guerre anglo-boer mais en vain. Battus, les Bapedis sont contraints de ranger sagaies et boucliers dans leurs greniers. Le trône Bapedi est un enjeu de taille dans cette partie de l’Afrique australe. Aucune succession n’est jamais passée en douceur. Vassalisé au régime de ségrégation raciale, les afrikaners ne se préoccupent guère de ce royaume exotique et de leurs querelles incessantes pour une couronne aux frontières toutes virtuelles. Bien que restauré dans ses droits en 1994, c’est désormais la justice qui légifère sur  toutes les successions au trône. En 2007, le roi Rhyane Thulare rend l’âme et son frère Kgagudi Kenneth Sekhukhune III revendique immédiatement le trône dont il est le régent depuis 1976. En effet, bien qu’il ait été le souverain titulaire et sans jamais renoncer à sa couronne, Rhyane Thulare avait décrété qu’il ne régnerait pas sur ses sujets tant que sa mère ne le « bénirait » pas. Son fils, Victor Kgoshikgolo Thulare, décide de faire bloquer cette prise du pouvoir par son oncle et porte l'affaire devant la justice. Il lui faudra attendre une décision de la Cour suprême pour être enfin sacré souverain en 2018 sous le nom de Thulare III. La pandémie de covid aura raison du jeune monarque qui décède à 40 ans, le 17 janvier 2021. Ses funérailles seront grandioses et le président sud-africain Cyril Ramaphosa n’hésitera pas à se déplacer pour lire un discours faisant l’éloge d’un prince mué par le sens profond de faire l’unité de son peuple. Une unité de façade car les dissensions internes ne SE sont pas tues pour autant. 

la reine mère Manyaku ThulareUne femme à la tête de la monarchie est impensable pour les tenants de la tradition et le Conseil royal se déchire sur cette question depuis deux mois. La semaine dernière, une faction séditieuse a décidé de nommer le prince Morwamohube Ernest Thulare (56 ans), demi-frère et beau-fils de l'ancien roi. Et pour justifier sa légitimité, les rebelles affirment même que ce prince est le fils aîné de Kenneth Sekhukhune III. Les deux branches rivales, Thulare et Morwamohube,  sont à couteaux tirés. S'adressant au quotidien « Pretoria News « samedi dernier, un porte-parole de la Maison royale, Ntoampe Mampuru, a rejeté fermement  les revendications de la faction dissidente, faisant remarquer  que c’était au décès du roi Rhyane Thulare «  qu’ils auraient dû agir puisqu’ils affirment avoir trouvé un fils de Sekhukhune III ». « La maison royale ne saurait souffrir d’une telle compétition. S'ils estiment que nous avons mal agi, ils doivent déposer une demande au tribunal. Et d’ailleurs quelles qualités possède-t-il pour revendiquer la royauté ? » demande Ntoampe Mampuru qui juge cette revendication au trône ridicule. « Quand nous parlons de la royauté aujourd’hui, nous parlons de l'ère Thulare. L'ère Rhyane est révolue, tout comme l'ère Sekhukhune » renchérit le porte-parole de la Maison royale. Rien qui ne saurait effrayer les séditieux. Le porte-parole de la  branche Morwamohube, Makoko Sekhukhune, a déclaré que la nomination de la reine mère était « insensée car elle était une vieille femme et incapable de porter des enfants ». « Selon notre coutume, c’est lui qui devrait être le prochain héritier du trône et il épousera la veuve du roi Thulare afin de semer sa graine » ajoute Makoko Sekhukhune qui est persuadé que les tribunaux vont statuer en faveur de son champion. « Ils prennent des risques avec nous » avertissent solennellement les partisans de la branche Morwamohube.

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Date de dernière mise à jour : 09/04/2021

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