Un rapprochement inédit vient de s’opérer au Cap entre deux mondes que tout semblait opposer. En signant un accord de coopération culturelle, le mouvement afrikaner AfriForum et la monarchie traditionnelle des Bakgatla Ba Kgafela ouvrent la voie à un modèle inédit d’autonomie communautaire en Afrique du Sud. Une alliance aussi politique que symbolique.
Au Cap, une poignée de main historique vient d’être scellée entre AfriForum et Kgosikgolo Kgafela Kgafela II, chef suprême de la communauté culturelle Bakgatla Ba Kgafela. Singné fin juin 2025, cet accord de reconnaissance et de coopération marque un tournant dans le débat sud-africain sur l’autonomie culturelle et communautaire.
AfriForum est l’un des mouvements civiques les plus influents et controversés d’Afrique du Sud. Créé il y a deux décennies, ce lobby afrikaner se présente comme une organisation de défense des droits des minorités culturelles, principalement la communauté afrikaner, souvent perçue comme porte-voix de la minorité blanche sud-africaine, souvent accusé d'être des nostalgiques du régime défunt de ségrégation raciale. Fort de plus de 300 000 membres, AfriForum milite pour l’autonomie communautaire, la protection de la langue afrikaans, la sécurité rurale et la défense des droits de propriété, sur fond de tensions toujours vives autour de la réforme agraire et du passé de l’apartheid.

Vers la naissance d'un fédéralisme communautaire ?
Avec cet accord, AfriForum franchit un nouveau cap en élargissant ses alliances au-delà de la communauté afrikaner. En s’associant aux Bakgatla Ba Kgafela — une nation tswana établie au Botswana et en Afrique du Sud au cours du XIXe siècle— l’organisation met en pratique sa vision de « fédéralisme communautaire ». « L’Afrique du Sud, en tant que système centralisé, laisse tomber les communautés culturelles à bien des égards », souligne Kallie Kriel, PDG d’AfriForum. Pour lui, « la seule solution réside dans la coopération entre communautés autonomes ».
« La signature de cet accord de reconnaissance et de coopération entre nos communautés respectives est très significative, surtout compte tenu de notre passé marqué par les conflits et les tensions », a déclaré de son côté le roi des Bakgatla Ba Kgafela. De son côté, Kgosikgolo Kgafela Kgafela II, figure traditionnelle respectée, voit dans cette entente une réponse aux divisions héritées de l’histoire : « Ceux qui haïssent les Bakgatla Ba Kgafela et les Afrikaners redoutent depuis longtemps ce moment historique. Il s'agit véritablement d'un événement qui rendra désormais les haineux insignifiants dans nos vies. », a assuré le monarque. Les deux communautés se sont affrontés lors de l'épisode du Grand Trek avant d'être battus par les Afrikaners et les Anglais, soumis à leur domination par la suite. Le royaume Bakgatla Ba Kgafela recelant des mines des platine.
L’accord fixe plusieurs objectifs concrets : promouvoir l’autogouvernance, protéger l’identité culturelle et le patrimoine, garantir les droits fonciers, renforcer la sécurité communautaire, développer l’agriculture, et encourager l’éducation en langue maternelle. À l’heure où l’État sud-africain peine à répondre aux aspirations de nombreuses communautés, cette stratégie de fédéralisme culturel apparaît pour ses partisans comme une alternative à un État perçu comme centralisateur et inefficace.
Pour Barend Uys, responsable des relations interculturelles d’AfriForum, cet engagement est un prolongement d’une stratégie déjà amorcée avec d’autres communautés africaines :« AfriForum est honoré d’avoir les Bakgatla Ba Kgafela comme alliés et partenaires dans l’accomplissement de cette mission difficile mais honorable, qui consiste à être les pionniers spirituels de l’établissement d’une réalité où les générations futures pourront vivre côte à côte dans la justice et la paix. » Cet accord s’inscrit d'ailleurs dans une démarche plus large. AfriForum a déjà tissé des partenariats avec plusieurs maisons royales et communautés africaines : Les Zoulous, les Batlharo Boo Tokwana Ba Ga Masibi de Disaneng, dans le Nord-Ouest ; les Seleka Barolong de Thaba' Nchu, dans l'État libre ; l'organisation ndebele Vulamehlo Kusile Organisation (VUKO) ; et l'association des Royal Leaders of South Africa (ROLESA) Ces collaborations ont donné lieu à des projets de terrain, notamment en matière de développement agricole et de sauvegarde des langues autochtones.

Un nouveau concept d'autonomie culturelle
Dans un pays où la question identitaire reste sensible, cette alliance entre une organisation afrikaner et une communauté tswana pourrait bien redéfinir certaines lignes de fracture. Si ses détracteurs y voient une tentative de fragmentation du territoire et un repli communautaire, une volonté des la minorité afrikaner de contraindre le gouvernement à leur céder une province, ses promoteurs y lisent au contraire l’espoir d’un modèle de coexistence pacifique, fondé sur le respect mutuel et l’autonomie locale.
Reste à savoir si ce « fédéralisme communautaire » saura convaincre au-delà des cercles militants à l'heure où plance la menace de sécession en tout genre en Afrique du Sud, une nation en crise économique et identitaire. Mais pour les signataires, l’heure est à l’écriture « d’un magnifique chapitre d’amour », comme le résume poétiquement Kgosikgolo Kgafela Kgafela II — un message rare dans une Afrique du Sud encore marquée par les fantômes de la division. pour Kgosikgolo Kgafela Kgafela II, l’enjeu est clair : « La signature de ce traité renforce le nouvel ordre, fondé sur l’autonomie culturelle, que nous souhaitons voir se dessiner en Afrique australe. », a déclaré le souverain qui a été restauré sur son trône en 2020 après une longue querelle dynastique.
Reste à savoir si ce « fédéralisme communautaire » pourra devenir une réalité politique viable et inspirer une coexistence pacifique durable entre minorité blanche et majoprité noire. Pour l’heure, un nouveau chapitre, que ses signataires veulent « novateur », s’est écrit pacifiquement à l’extrémité sud du continent, loin des haines d'antan.
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