Poutine Président ou Tsar ?

 Vladimir poutine sur un trone byzantin grecLa constitution de la Fédération de Russie interdit au Président Vladimir Vladimirovitch Poutine de se représenter.  Au pouvoir depuis 1999, les jeunes générations de la Russie post-soviétique n’ont quasiment connu que lui. Surfant à la fois sur la nostalgie de l’ancienne URSS et le traditionalisme tsariste, il est devenu une figure incontournable de la scène politique internationale.  Exit les Romanov qui pourtant le soutiennent, autour de lui des lobbys s’affairent activement afin de le persuader de se faire couronner Empereur de  toutes les Russies.

L’idée n’est pas nouvelle mais suffisamment plausible pour que le Wall Street Journal lui-même s’en fasse les échos tout comme la presse russe. «???? ????????? ?????????? ?????? ????? ???????????? ???????? » (le tsar Vladimir? Les partisans de Poutine veulent restaurer la monarchie) titrait hier « Inosmi ». En 2007, ce projet avait germé parmi les monarchistes mais était resté à l’état embryonnaire. Considérant que les Romanov ont failli à leur tâche en 1917, cette fraction minoritaire des monarchistes russes avaient appelé à un nouveau Zemsky Sobor (grande assemblée) afin de désigner un nouveau prétendant au trône. Le nom de l’ancien officier du KGB avait alors été proposé à l’unanimité. Dans un pays où un tiers des russes souhaitent le rétablissement de l’autocratie impériale, le président Poutine pourrait –il devenir le Tsar Vladimir Ier ?

Konstantin malofeyev« Nous ferons tout ce qui est possible afin de maintenir le Président Poutine au pouvoir ! ». L’homme qui fait cette déclaration n’est pas un inconnu. Il est à la tête d’une école, la Saint-Basile où dans chaque couloir s’étale les portraits de tous les empereurs Romanov, et qui forme déjà les cadres du futur gouvernement impérial. C’est un businessman réputé qui a des liens avec tous les mouvements d’extrême-droite, notamment en Europe. Il avait tenté entre 2014 et 2017 de mettre en place un Puy du Fou russe avec l’aide du vicomte Philippe de Villiers et  Bruxelles le suspecte d’avoir illégalement financé et armé les rebelles du Donbass. Konstantin Malofeyev est l’homme qui souffle à l’oreille du Président et entretient des rapports très étroits avec les milieux religieux orthodoxes comme ultra catholiques. C’est encore lui qui a été à la manœuvre du Congrès des familles en Moldavie, en septembre dernier, qui avait rassemblé tout ce que l’extrême-droite compte de « pro-famille »  versant dans l’intégrisme fondamentaliste et où le prince Louis–Alphonse de Bourbon avait pris la parole.  Aujourd’hui cet intime d’Elena Borissovna Mizoulina, une autre proche du Président Poutine et pasionaria du combat contre l’avortement ou l’homosexualité, elle-même présente au Congrès des Familles comme représentante du Kremlin, a une autre idée en tête. Celle de couronner Tsar de toutes les Russies, le deux fois président Poutine. A l’heure où celui-ci n’a toujours pas désigné de dauphin putatif, Malofeyev  pense qu’il est temps d’apposer une couronne bicéphale sur la tête de celui qui est craint des institutions européennes et que l’on accuse régulièrement d’être à l’origine de complots en tout genre (y compris celui d’avoir organisé le mouvement des « gilets jaunes «  en France). Toutes les spéculations sont d’ailleurs permises. Et Konstantin Malofeyev d’avoir réuni, il y’a quelque semaines, plusieurs membres de l’épiscopat russe afin de recueillir leur soutien. Un clergé qui n’hésite pas à flirter avec ce quadragénaire et qui en avait fait une de ses principales têtes d’affiche lors du centenaire des commémorations de l’assassinat de la famille impériale en 1918.

Logo du mouvement aige a deux tetesKonstantin Malofeyev a fondé un groupe monarchiste au nom évocateur, « l’Aigle bicéphale », qui compte pas moins de 50 sections dans le pays.  Et si encore nul ne sait quelle forme cette monarchie restaurée devrait prendre, constitutionnelle ou bien absolue, le débat fait rage. En témoigne la récente passe d’armes entre Yevgeniy Nikofoforov, directeur d’une station radio dédiée à la foi orthodoxe et Andrey Afanasiev, un des présentateurs de la Télévision Tsargrad ; télévision qui est la propriété de Konstantin Malofeyev. Le premier affirmant que la monarchie n’étant que synonyme de sang dans son histoire, tant il est vrai que peu de Romanov sont morts confortablement sur leurs trône et qui aurait peu de chances de revenir ou d’être acceptée ;  le second démentant fermement que cela puisse uniquement se résumer à la seule définition de barbarie.  Et si dans les veines du Président ne coule aucun liquide aristocratique, qu’il n’a que deux filles (la monarchie selon Malofeyev ne devant être que d’essence masculine « et paternaliste afin de renouer avec les vraies racines du pays »), son bilan parle de lui-même affirme Afanasiev. « Ce que la Russie a fait ces 30 dernières années, c’est reconstruire son empire et se choisir un empereur »  n’hésite t-il pas à dire. « Vous savez, vous avez différentes formes de monarchies comme de monarques » surenchérit Konstantin Malofeyev au journaliste du Wall Street Journal, sur un ton apaisé.

Depuis une décennie déjà, on évoqueavec empressement et dans toute la presse russe, cette possibilité de voir la monarchie être restaurée en 2024. Soit la fin du terme du mandat présidentiel. La question divise les russes mais passionnent les jeunes qui seraient plus de 30% à la plébisciter selon les sondages qui ont été effectués depuis sur cette question. Lorsqu’il avait été interviewé par le producteur Oliver Stone en juin 2017, l’américain avait demandé au président Poutine les suites qu’il entendait donner à ce projet, objet de tous les fantasmes.Et si on érige partout dans la fédération, des statues à l’effigie des Romanov, que l’on rebaptise des rues ou bâtiment publics à leurs noms (le dernier était l’aéroport de Mourmansk qui va prendre le nom de aéroport Nicolas II après un référendum d’initiative populaire organisé en partenariat avec l’oblast et activement soutenu par la député monarchiste Natalia Vladimirovna Poklonskaïa) , Vladimir Poutine avait toutefois balayé la réponse par une phrase laconique : « ce n’est pas en ce moment sur mon agenda ».

Konstantin malofeyev parle a ses partisans /TsargradLes choses ont-elles alors changé ? Pour le Lieutenant-général Leonid Reshetnikov, vice –président du mouvement de Konstantin Malofeyev et ex membre des services secrets soviétiques, il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’idée à « séduit » le président Poutine. Et s’il craint néanmoins de voir une période de flottement économique après le sacre, il affirme avoir eu en ce sens un entretien avec Poutine qui lui aurait confié qu’il trouvait ce projet assez « beau ». Exaspéré par ce tapage monarchiste autour du président russe, c’est encore une fois le fidèle Dimitry Peskov, porte-parole du Kremlin, qui a été chargé de doucher froidement les partisans d’un retour de la monarchie. « Le Président poutine n’a pas l’intention de ramener la monarchie » ni en sa faveur, ni en faveur de qui que ce soit. Les Romanov apprécieront, eux qui jouissent d’un statut non –officiel en Russie mais qui bénéficient d’une aura certaine dans un pays qui a redécouvert en 1991 qu’il existait des survivants d’une maison qu’elle croyait décapitée par la fureur des bolchéviques ou emportée par le froid sibérien.

Et Leonid Reshetnikov de s’empresser de préciser que son commentaire avait été sorti de son contexte et que sa conversation avec le président russe n’aait été qu’un une leçon d’histoire avec lui. Quand même bien, selon le Wall Street Journal, il avoue qu’il souhaiterait voir  le leader de Russie Unie être couronné Empereur. Dans les milieux ultra nationalistes, l’idée est plus que séduisante et on voit au-delà de la Russie d’autant que Konstantin Malofeyev est « la passerelle entre le pouvoir russe et les mouvements d’extrêmes –droite européens » selon le Figaro, y compris monarchistes où des officines s’affairent activement. La France n’y échappe pas et si elle est plus discrète (mais tout aussi efficace) dans le milieu orléaniste, elle est plus visible dans le milieu légitimiste qui ne cache pas sa proximité et son admiration de la Russie éternelle. «  La chrétienté (entendre catholicisme ici-ndlr) et l'Orthodoxie, ce sont deux religions très proches l'une de l'autre, mis à part quelques nuances, qui sont importantes en Europe (...) et qui devraient faire force et front commun. L'Europe de l'Ouest gagnerait à travailler avec la Russie pour son potentiel humain, logistique et territorial » avait d’ailleurs déclaré le prince Louis-Alphonse de Bourbon en juin 2017, lors d’un voyage à Moscou.

Congres monarchiste du mouvement aigle a deux tetes/ Tsargrd« La période la plus heureuse et la plus brillante de l'histoire du peuple russe a été celle de la monarchie » déclarait en novembre dernier lors d’une interview, Konstantin Malofeyev. « Nous rassemblons des personnes qui partagent avec nous cette  conviction que la monarchie autocratique est le seul état rationnel, traditionnel et naturel de la société humaine.» qui sied à la Russie avait martelé l’homme d’affaires qui n’avait pas hésité à accompagner ses déclarations  d’un bilan  élogieux du règne de Nicolas II.

Et si le principal intéressé n’a toujours pas donné publiquement son point de vue sur ce projet, de nombreux membres du mouvement de  l’aigle bicéphale (comme dernièrement le député Vladimir Jirinovski, leader de l’extrême-droite russe) ne cachent pas leur désir de le persuader d’accepter cette nouvelle couronne. Un projet qui irrite les partisans de la monarchie des Romanov qui rappellent qu’il existe une maison impériale ayant des droits que l’on ne peut bafouer ainsi. Pas sûr que Vladimir Vladimirovitch Poutine ne s’embarrasse de tels détails s’il devait accepter un trône, héritier de l’empire byzantin.

Personne ne sait ce qu'il va décider. « Le Poutine, d’il y a cinq ans, est différent du Poutine d'aujourd'hui, et personne ne peut dire s'il va  changer d'avis ou non » », a déclaré la journaliste de Tsargard, Elena Sharoykina.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 15/12/2018

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