«Je suis à la disposition du Portugal !»

Dom Duarte -Pio interviewé par Julia Pinheiro PêgoPrétendant au trône du Portugal, Dom Duarte de Bragance a été interviewé pour ses 75 ans par Julia Pinheiro Pêgo, présentatrice sur la Sociedade Independente de Comunicação (SIC), une chaîne privée locale. Il est revenu sur ses années d’exil, les relations de la maison royale de Bragance avec Antonio de Oliveira Salazar, sa jeunesse, sa carrière ou encore sa famille.

«Votre Majesté, c’est la révolution !». Dans la nuit du 3 au 4 octobre, la reine (Marie-) Amélie du Portugal est réveillée par Da Cunha, le chef de la maison militaire du roi Manuel II, son fils. La monarchie portugaise vacille, il ne lui reste plus que quelques heures à vivre. Le palais royal est bombardé par les insurgés, tout au plus une poignée, qui vont bénéficier de l’indécision du roi pour chasser les Bragance d’un trône qu’ils occupent depuis 1640. Rien n’aura été épargné à la maison royale depuis cette funeste journée de février 1908 où des anarchistes ont assassiné le roi Dom Carlos Ier et son fils aîné, Luis-Felipe. Le cadet n’a eu la vie sauve que grâce à sa mère et qui a écrasé son bouquet de fleur sur la tête de l’assassin. La reine Amélie prend le chemin de l’exil et part rejoindre cette autre branche des Bragance, déchue de ses droits après la brève prise de pouvoir au cours du XIXème siècle de son représentant, le roi Dom Miguel Ier. Pour le bien de la nation, les deux maisons rivales vont alors  se réconcilier  dynastiquement et politiquement (1922).

Les années Angolaises de Dom DuarteDom Duarte-Pio de Bragance est le produit de cette histoire dynastique. Il assume aujourd’hui les droits de sa maison au trône du Portugal et ne souffre guère de contestation. Ce capétien, père de trois enfants,  est à la tête de la Fundação da Casa de Bragança qui gère tous les biens administratifs et immobiliers de la maison royale. Elle a été créée en novembre 1933 à la demande du premier ministre Antonio Oliveira de Salazar et chef de l’Estado Novo. Ce franquisme à la sauce portugaise a pris contact avec les Bragance et ne va cesser de lui promettre une hypothétique couronne. Salazar et les Bragance ! C’est d’ailleurs une des dernières questions de Julia Pinheiro Pêgo à Dom Duarte –Pio qui tente de clarifier la situation. Les relations mi –figue, mi-raisin avec le dictateur est une tâche qui reste indélébile pour les Bragance qui ont cependant et toujours souhaité  se démarquer de ce régime, renversé lors de la révolution des œillets en 1974.

Dom Duarte -Pio de Bragance«Les biens de ma famille ont été confisqués en 1834 et lorsque nous avons été autorisés à revenir au Portugal [1953-ndlr], Salazar n’a pas souhaité nous restituer ce qui appartenait à ma famille, à la dynastie. Il a donc créé cette fondation, et parallèlement fourni une maison à mon père [Dom Duarte II Nuno-ndlr] à São Marcos, près de Coimbra» explique le prince Dom Duarte-Pio qui prend soin de respecter les règles de distanciation sociale. «En 1974, nous avons perdu la pension que nous octroyait le gouvernement et nous avons dû subvenir à nos besoins. Mon père est devenu consultant et moi je me suis spécialisé dans le soutien aux entreprises pour l’exportation» poursuit cet agronome de formation tout en démentant les critiques qui affirment que les Bragance ne travaillent pas et vivent de leurs rentes. Quand même bien, il reconnait que la famille royale tire avantage des loyers venus de ses biens immobiliers à Lisbonne, hérités de la reine Amélie, et de ceux de Petrópolis (Brésil), qui lui viennent de sa mère, la princesse Françoise d’Orléans-Bragance. Les images de sa jeunesse en Suisse, en noir et blanc, défilent alors à l’écran.

Mariage en 1995 du prétendant au trône du PortugalLe prince a fait ses classes au collège militaire de Lisbonne. Une partie de sa vie qu’il aborde avec émotion. «Un moment de camaraderie et de spiritualité fraternelle qui lui ont appris la discipline et les valeurs» précise Dom Duarte-Pio. Entre 1968 et 1971, il est intégré aux forces aériennes en Angola. C’est en Afrique qu’il débute sa carrière politique et qu’il s’oppose aux colons en étant sur une liste d’opposition. Il finira par être expulsé en 1972 par le gouvernement. Dom Duarte regrette qu’aucune initiative de réconciliation n’ait été initiée par la dictature et ses anciennes colonies afin de sauver ce qui restait d’un empire construit par ses ancêtres durant 5 siècles.

«Viva ao Rei !» Son mariage avec Isabel de Heredia, le 13 mai 1995, a été hautement médiatisé au Portugal. Présence de tout le gouvernement de l’époque et du Gotha, des milliers de monarchistes avaient fait le déplacement dans la capitale portugaise qui renouait avec ses fastes monarchiques d’antan. Au cours de l’émission, son épouse, son fils Dom Afonso (24 ans) qui le remercie de tous les conseils prodigués quotidiennement et des valeurs qu’il lui a inculqué, dom Dinis (21 ans) et Dona Maria Francisca (23 ans) apparaissent dans de courts enregistrements pour témoigner de leur affection à un père qui se dit très «fier de ses enfants et de leurs engagements actuels »

Julia Pinheiro Pêgo et Dom Duarte PioEt le retour de la monarchie dans tout cela ? Le mouvement monarchiste n’a pas disparu avec le départ de Manuel II et son histoire continue de se confondre encore aujourd’hui avec celle du Portugal. Il doit surtout sa survie à un héros de la colonisation portugaise, Henrique Mitchell de Paiva Couceiro, ancien gouverneur de l’Angola. Il s’est distingué lors de la révolution en infligeant de lourdes pertes aux républicains qui se gardent bien de le faire arrêter en dépit de sa démission fracassante du ministère de la guerre : « Je vous donne ma démission et je quitte le pays pour conspirer» déclare t-il au ministre, médusé. Le Portugal est divisé. Le Sud est à la république ce que le Nord est à la monarchie. Les tentatives de restauration de la monarchie se multiplient. En janvier 1919, c’est un vrai succès. De Paiva Couceiro proclame la restauration de la monarchie à Porto. Le Portugal sombre dans la guerre civile, des affrontements entre républicains et monarchistes éclatent même à Lisbonne. Un mois plus tard, c’est l’échec. Dom Manuel II a tardé pour venir et de Paiva Couceiro doit renoncer à la lutte armée. Le monarchisme portugais devient plus politique avec l’Intégralisme Lusitanien,«traditionaliste mais pas conservateur». Tout est dans la nuance. L’Estado Novo va profondément les diviser entre admiration et rejet d’un système qui manipule cette «force considérable» qu'est le monarchisme portugais. Un mouvement qui va éclore dans les années 80 avec son entrée au gouvernement et au parlement avec le Parti populaire monarchique (PPM). Aujourd’hui, il est implanté dans les campagnes avec un nombre important de conseillers municipaux mais ne parvient pas à convaincre dans les grandes villes. Et si les jeunes du Parti socialiste et du Parti communiste ont évoqué la restauration de la monarchie dans leurs débats, l’aura du prince n’est pas assez  suffisante pour qu’il la plébiscite avec ferveur.

Dom Afonso et son père Dom Duarte-Pio«Mon père m’a toujours élevé pour être à la disposition du Portugal, quel que soit le poste» affirme le prétendant au trône, toujours autant courtisé par ministres et députés. Mais à bonne distance tant ses interventions dans le débat politique sont scrutés et analysés par les médias. Si on estime à 30%, le nombre de portugais favorables au retour du roi, la république reste solide et n’entend pas rouvrir la voie à un référendum sur la question. L’avenir pourrait appartenir à la nouvelle génération de princes(ses) 2.0 qui fait l’unanimité des portugais et qui a réussi une nouvelle fusion des idées, celles du modernisme et du traditionalisme, avec un seul crédo :  «Servir le Portugal».  

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 24/05/2020

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