Échec à la reine !

«Nos compatriotes (…) se sont sentis abandonnés, insuffisamment entendus, insuffisamment soutenus ». 75 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, le roi Willem-Alexander des Pays-Bas est revenu le 4 mai, lors de son discours, sur les persécutions dont été victimes les juifs néerlandais, ravivant le débat sur le manque de soutien à cette communauté par son arrière-grand-mère, la reine Wilhelmine.

La reine Maxima et le roi Willem -Alexander des Pays-Bas persgroep 1C’est en compagnie de son épouse, la reine Maxima, que le roi Willem-Alexander des Pays-Bas a déposé une gerbe de fleurs, sur la place centrale d’Amsterdam et devant le mémorial érigé en hommage aux victimes de la Seconde guerre mondiale, vide de tous néerlandais, crise du coronavirus oblige. Retransmis à la télévision nationale et suivi par 6 millions de néerlandais, le monarque a surpris plus d’un de ses sujets lors de la lecture de son discours. Le fils de la reine Béatrix a salué la résistance des néerlandais face aux nazis avant de se fendre d’une critique sur l’action de son arrière-grand-mère, la Wilhelmine. «Mes compatriotes, nos concitoyens dans le besoin se sont sentis abandonnés, insuffisamment entendus, insuffisamment soutenus. (…). Également de Londres par mon arrière-grand-mère, malgré sa résistance inébranlable [au nazisme]» a déclaré le roi Willem-Alexander,  qui a reproché à sa prédécesseur ne pas avoir suffisamment fait pour protéger le royaume et les juifs du pays. Il n’en a pas fallu moins pour que la presse nationale s’empare du sujet et provoque un nouveau débat de mémoire.

La reine wilhelmineWilhelmine de Nassau monte sur le trône des Pays-Bas en 1880. C’est la première fois qu’une femme est couronnée souveraine de cette ancienne puissance maritime et coloniale. Elle n’a que 10 ans mais déjà confronté aux tumultes de politique locale. Son accession provoque la scission du Grand-duché de Luxembourg régit par la loi de succession par primogéniture masculine.  Le royaume des Pays-Bas, en pleine transformation sociale, rivalise avec les autres empires européens. C’est une des rares monarchies à soutenir ouvertement les républiques Boers qui luttent contre les britanniques et avec lesquels la régence négociera pour évacuer le président du Transvaal, Paul Kruger. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, une histoire commune et passionnée pour l’Afrique du Sud. Puis vint le temps de prendre époux. Ce sera le duc Henri de Mecklembourg-Schwerin. La pression allemande avait été forte et le Kaiser poursuivait sa politique de pangermanisation de l’Europe par de multiples mariages dynastiques. Le mariage fut malheureux. Doté d’un fort caractère, la reine humilia quotidiennement son mari qui elle rappelait sans cesse sa pauvre particule et tenait drastiquement les cordons de la bourse. Son destin sera marqué par deux guerres mondiales. En mai 1940, les Pays-Bas sont envahis par les allemands. C’est l’hallali, les néerlandais opposent peu de résistance face à la rapidité des Panzers qui ravagent les polders. La famille royale est exfiltrée : la reine part Londres, sa fille héritière Juliana dont le mariage avec l’allemand Bernhard von Lippe-Biesterfeld n’avait pas été sans critiques (le chancelier Adolf Hitler parlera de lui comme d’un « idiot patenté » dans ses carnets personnels), vers le Canada.

Et c’est ici que la polémique commence. La reine organise la résistance, fonde une radio «Orange», nomme son gendre commandant en chef des armées (ce qui mettra en colère le premier ministre britannqiue Winston Churchill qui rappelle que Bernhard von Lippe-Biesterfeld avait été proche un moment des nazis –il a été membre du parti de 1933 à 1936) et renvoie son premier ministre qui a osé négocier avec Herr Hitler. « On ne pactise pas avec le diable, l'ennemi de l'humanité » déclare la reine. Hors sur 48 discours prononcés par la reine Wilhelmine, seuls 3 mentionnent le cas de la communauté juive qui fait l’objet de ségrégation, rafles vers le camp de Buchenwald quand leur magasins ne sont pas saccagés dans le Jodenbuurt («quartier juif») par les pro-nazis locaux. 75% des juifs néerlandais mourront dans les camps de concentration. Parmi lesquels, une jeune néerlandaise du nom d’Anne Franck dont le journal est depuis passé dans la postérité.

 Le roi Willem Alexander des Pays- Bas«Maintenant que les derniers survivants sont encore parmi nous, je présente aujourd’hui mes excuses (…) pour l’action des autorités à l’époque ». En janvier dernier, c’est le premier ministre Mark Rutte qui avait présenté les excuses officielles du royaume aux rescapés de l’Holocauste. La reine a-t-elle vraiment fait preuve d’indifférence pour les juifs néerlandais durant le conflit mondial ? La question divise les historiens qui notent toutefois que c’est la première fois qu’un souverain néerlandais prend de front un sujet qui a fait longtemps l’objet d’un certain ostracisme d’état. Dans les années 1990, l’historienne Nanda van der Zee avait accusé publiquement la reine de «négligence grave ». Son livre avait suscité un débat au sein de la société civile. Kysia Hekster, chroniqueuse royale, reconnaît volontiers que la persécution des juifs durant la Seconde guerre mondiale n’a jamais été abordée par la reine Wilhelmine. «Ils ne se sont jamais sentis soutenus pendant la guerre car la reine n’a pas condamné officiellement ces persécutions » explique-t-elle. « Encore aujourd’hui, la communauté juive blâme encore l’attitude de Wilhelmine » renchérit-elle.

Radio oranje . Wilhelmine, reine des Pays-Bas en 1942Pour Gert-Jan Segers, président du groupe parlementaire Union Chrétienne, le message du roi est une » reconnaissance saine et généreuse qui efface du silence de la reine (…) ». Frank van Vree, directeur de l'Institut néerlandais d'études sur la guerre, l'holocauste et le génocide (NIOD), a également remercié le souverain pour cette prise de parole «très authentique et qui montre qu'il ne veut pas se dérober à sa propre histoire familiale ». « Il y a deux histoires sur Wilhelmine. L'une est celle de la reine belligérante, autoritaire, mais inflexible etl'autre qui souligne le fait qu'elle s'est enfuie à Londres, a quitté le peuple néerlandais et est restée largement silencieuse sur le sort des juifs néerlandais. Elle n'a jamais explicitement appelé les Néerlandais à les défendre pendant la guerre. Même après la guerre, elle est à peine revenue sur la tragédie vécue par les juifs» surenchérit Frank van Vree.

«Nous ne devons pas détourner le regard, ne pas le justifier pas, ne pas l’effacer, ne pas oublier et ne pas rendre normal ce qui n'est pas normal» a déclaré le roi Willem-Alexander qui a également évoqué les atrocités commises par les nazis dans le camp de Sobibor, en Pologne. Principal concerné, Eddo Verdoner, président des institutions juives locales, a trouvé le discours du roi « très impressionnant et puissant ». 

Ayant renoncé au trône en 1948, la reine Wilhelmine décéde en novembre 1962. Vingt ans auparavant, sur la Radio Orange, la souveraine avait condamné ce «traitement inhumain, l'extermination systématique de nos compatriotes, qui ont toujours vécu à nos côtés ». Un discours oublié, une tâche sombre sombre sur le tableau idyllique de la monarchie Nassau.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 10/05/2020

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