Le bicentenaire de 1969

La Corse sait  honorer et se souvenir  de ses enfants. Et parmi les nombreux héros de l’histoire de l’île de Beauté, Napoléon Bonaparte est sans conteste celui qui a fait rayonner la puissance de la France à travers toute l’Europe. Premier personnage préféré des français, cohabitant avec le général Charles de Gaulle et le roi-soleil Louis XIV, les corses rendent actuellement un hommage à leur aigle, né il y a 250 ans. Cérémonies ou expositions, l’île va vivre toute cette année à l’heure d’un empereur qui fascine toujours les français depuis des générations. Si le gouvernement semble avoir oublié à qui il doit la majeure partie des réformes qui régissent notre pays encore aujourd’hui, un demi-siècle plus tôt, la France du héros de la Libération avait rendu un hommage appuyé à l’empereur de la république française. Retour sur un épisode très impérial et méconnu de l’histoire républicaine.

Paris match du bicentenaire de napoleon« Entends l’orgueil et ton amour, la Sainte Famille est rentrée, les exilés sont de retour (….) ». Lorsque le chanteur Tino Rossi entame le premier couplet de « L’Ajaccienne », c’est  la chanson que tous reprennent en choeur dans la capitale corse qui s’est parée de drapeaux tricolores. C’est tout un peuple qui communie ensemble, d’une seule voix, derrière le nom prestigieux du plus célèbre fils adoptif de la nation française, Napoléon Bonaparte. La Corse est alors prise d’une soudaine frénésie autour de l’idée impériale personnifiée par son héritier, le descendant du roi de Westphalie, le prince Louis-Napoléon. Durant quelques jours, la France a un empereur qui s’apprête à recevoir  officiellement un Georges Pompidou, fraîchement élu à la tête de l’état, pour le bicentenaire de la naissance du vainqueur d’Austerlitz.

« De Gaulle voulait fêter le bicentenaire de la naissance de l’Empereur en 1969. Il était le seul à vouloir célébrer Napoléon. Il disait que c’était grâce à lui, et à sa légende, que des Français l’avaient rejoint à Londres » nous explique à propos de ces commémorations, lors d’une interview au Journal du Dimanche en 2012, l’académicien Jean-Marie Rouart. Entre les deux militaires  aucun antagonisme mais un parallélisme  évident pour Sudhir Hazareesingh qui s’en faisait l’écho dans « la vie des idées », en 2008: «il  (…) ne réside pas tant dans ce qu’ils accomplirent lorsqu’ils furent au pouvoir, que dans la manière dont les générations suivantes les ont imaginés et représentés. Car l’influence des Grands Hommes ne se mesure pas seulement aux blocs de granit  qu’ils laissèrent derrière eux : pour Napoléon, le Code Civil, la structure administrative de l’Etat, les grandes victoires militaires et l’enracinement de l’œuvre de la Révolution française (sans oublier le numérotage pair-impair des maisons) ; pour de Gaulle, l’incarnation de la Résistance, la constitution de la Ve République, l’achèvement de la décolonisation, la politique étrangère hardie et novatrice. Au-delà de ces grandes réalisations, c’est leur postérité qui scelle leurs véritables triomphes ; c’est elle qui les transforma en personnages mythiques, en hommes de légende ».

Pour ces festivités, la  république a mis « les petits plats dans les grands » comme en témoigne le rapport consacré à ce bicentenaire. Entre des visites au château de la Malmaison et un député envoyé à Sainte-Hélène pour déposer une gerbe de fleurs sur le dernier lieu de vie de l’empereur, on prévoit même de rapatrier les cendres de l’empereur Napoléon III, de l’impératrice Eugénie et de «Loulou », le prince impérial, tous 3 enterrés à l'Abbaye de Farnborough. Ce dernier projet n’aboutira pas  mais témoigne de la grandeur voulue pour cet événement par le général de Gaulle.

Les expositions se multiplient dans toutes les grandes villes de France marquées par la légende napoléonienne. « Cinquante émissions napoléoniennes seront diffusées au cours de l'année. M. Malraux [ministre de la Culture-ndlr], encore, qui, débloquant les crédits, demanda qu'à Paris trois grandes expositions célèbrent avec faste et magnificence le bicentenaire » nous décrit dans le détail, une édition de l’Express, qui consacrait hier un article sur le sujet. Elizabeth II, la Queen en personne, acceptera même de prêter l’acte d’abdication de Bonaparte et que détiennent toujours les britanniques, ultime trophée de la défaite de Napoléon à Waterloo en 1815 et qui sonnera définitivement le glas de l’empire. La maison impériale est mise à contribution et de nombreux objets sortent de Prangins, leur lieu de résidence, pour être montrés « aux français enthousiastes », de l’avis des articles des journaux. La nostalgie de la grandeur impériale fait oublier aux français, durant quelques mois, quelques jours, cette chienlit qui s’est emparée de l’Hexagone depuis 1968.

A Ajaccio, le prince Louis-Napoléon est l’objet de toutes les attentions. Il multiplie les interviews. Son parcours parle de lui-même. Il a dissout le mouvement bonapartiste (1939) afin d’éviter que celui-ci ne tombe entre les mains des allemands. Admirateur transi de l’empereur, le chancelier nazi essuiera un refus net du prince lorsqu’ il lui propose une couronne. Adolf Hitler devra se contenter d’organiser le retour des cendres de l’Aiglon, Napoléon II. Un événement qui ne mobilisera que peu de personnes et presque en catimini. Louis Napoléon, le VIème du nom selon l’ordre de succession des Napoléonides, s’engage dans la légion étrangère afin de contourner la loi d’exil, abrogée en 1951, qui lui interdisait de servir dans l’armée française. Un résistant reconnu par ses pairs. Une aura qui cohabite d’ailleurs avec le général de Gaulle. Ironiquement, l’armée se divisera lors des événements de mai 1958 entre ces deux héros avant que « l’homme du 18 juin » ne finisse par s’imposer naturellement. La France, cet empire !

Lors d’une interview organisé par l’historien Alain Decaux, le prince Louis Napoléon affirme « qu’il acceptera un trône, si les français en font le souhait et à la condition que l'union se fasse sous son nom ».

Sous ses déclarations sommes toutes anodines, une rancune tenace qui l’a éloigné un temps de De Gaulle, et qui trouve son origine dans  l’abandon de l’Algérie française. Un département en Afrique du Nord dont il avait réclamé son maintien au sein d’un empire, qui rappelait les gloires napoléoniennes, mais qui comme son ancêtre s’était considérablement désagrégé au cours de la précédente décennie. Entre deux images d’Epinal qui glorifiaient les grands moments de l’Empire comme le sacre impérial, des reportages de Léon Zitrone, le « Stéphane Bern »  de l’époque, qui nous raconte de manière incomparable, ce que fut entre 1804 et 1814, l’empire français.

La maison imperiale des napoleon en 1969En Corse, le Comité central bonapartiste (CCB) fait « la pluie et le beau temps » dans l’île. Si elle ne conserve que quelques municipalités de grande importance, elle reste un acteur majeur de la politique locale puisqu’elle a permis également aux militaires de réussir leur putsch d’Alger en 1958.  Les bonapartistes vont d’ailleurs apporter leur soutien au débonnaire Pompidou qui  débarque le 15 août dans la ville impériale. Le président de l’Assemblée nationale Corse, Achille Peretti, les 8 ministres (dont le premier ministre Michel Debré) se pressent autour du président Pompidou et du prince impérial qui multiplient les têtes à têtes. C’est d’ailleurs, le prétendant à la couronne qui est venu accueillir lui-même le président à sa descente de l’avion. Tout un symbole.

Le « Dio vi salvi Regina » est joué, l’hymne corse traduit  alors toute la fierté d’une population ancrée au cœur de la France. « L’immense intérêt avec lequel le public suit les manifestations organisées pour le 200e anniversaire de sa naissance prouve qu’il ne participe point de manière passive au protocole d’un hommage officiel, mais qu’il s’y associe activement par l’immense écho de sa voix innombrable » déclare dans son discours, le délégué de l’Académie française, Jean Mistler. L’institut national des archives a conservé un reportage complet de cette visite présidentielle restée dans les mémoires.

Dans la mairie d’Ajaccio, c’est quasi religieusement que les élus de la nation écoutent un Pompidou tout souriant, décliner son amour pour Napoléon Bonaparte : « un homme de ce génie, de cette taille qui (a) anobli par sa naissance, son action, toute une ville, toute une race et toute nation ».

Le discours final,  place du général de Gaulle, qui clôturera cette visite présidentielle », sera à la hauteur de l’hommage national rendu à Napoléon Ier. La conclusion logique de ces cérémonies qui avaient redonnées toute leur dignité à un homme « exceptionnel » qui « aura comblé la France de sa grandeur au point que depuis notre peuple ne s’est jamais résigné à la médiocrité (et) qui a toujours répondu à l’appel de l’honneur » déclare un Pompidou, drapé dans une posture gaullienne de circonstance. Un clap de fin impérial !  

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Publié le 24/06/2019

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