La Légitimité, son poids dans le royalisme

Livre sur le royalismeLa Légitimité, son poids, ses chiffres au sein du monarchisme français, une réalité ? D’abord appelé « carlisme », la Légitimité prend son nom actuel à la mort de Charles X, le dernier frère du roi Louis XVI à avoir régné sur la France entre 1825 et 1830. S’opposant à l’orléanisme « libéral, régicide et usurpateur » et au bonapartisme « césarien, référendaire et impérial », ses partisans vont être une des forces majeures de la fin du XIXème siècle avant de s’étioler après la mort du comte de Chambord, cet enfant du miracle qui fut à la croisée de deux mondes, l’ancien et le nouveau, un Bourbon, qui enfermé dans ses principes, contribua à plonger la France entre les mains de la République. Renaissant après la seconde moitié du XXème siècle, quelle est la réalité chiffrée du courant légitimiste aujourd’hui au sein du monarchisme français.

L’histoire de la Légitimité ne compte pas moins de 10 prétendants au trône, de 1836 à nos jours. De Charles X à Louis XX, chacune de leur biographie nous entraîne inlassablement à travers les tumultes d’un siècle agonisant, un autre marqué par deux guerres violentes qui voient s’affronter toutes les monarchies les unes contre les autres, parfois dépossédées de leurs droits par des révolutions. A la mort d’Henri V en 1883, ultime rejeton d’une dynastie douloureusement associée au visage sanglant de 1789, un conflit dynastique va profondément diviser la mouvance monarchiste française. Sans héritiers, le comte de Chambord n’a pas pris soin de son vivant de désigner son successeur. Et depuis cette époque, chaque camp avance ses arguments afin de faire valoir les droits de son prétendant au trône de France au détriment de l’autre, entre réalité juridique et mauvaise foi manifeste de part et d’autres. Pour les Légitimistes, que ses détracteurs appellent péjorativement « alphonsistes » ou « pépitistes » aucun doute possible, c’est à l’aîné des Capétiens qu’il reviendra un jour d’assumer cet héritage qui attend d’être à nouveau sacré à Reims, Chartres ou Saint-Denis. Et qui mieux pour incarner cet héritage que le prince Louis-Alphonse de Bourbon, 44 ans et père de 3 enfants. L’arrière-petit-fils du général Franco doit affronter toute la complexité de sa position et d’une généalogie qui se partage entre France et Espagne. Lorsque le comte de Chambord trépasse, loin de cette terre qui l’a vu naître et dont il a été l’un des rois les plus éphémères de France, le temps d’une signature, ses partisans ont acclamé son cousin espagnol, Jean de Bourbon, également prétendant à la couronne d’Espagne et qu’un Napoléon III avait espéré voir ceindre une autre plus mexicaine. Hors là réside toute la problématique d’une mouvance qui s’est réduite peu à peu à une peau de chagrin au début du siècle dernier pour finir par s’endormir, faute de princes plus intéressés par une couronne à Madrid (que son fils portera entre 1873 et 1876) qu’à Paris, oscillants entre franc-maçonnerie et cléricalisme, libéralisme et conservatisme.

Les princes cachés de la LégitimitéSi le Légitimisme du XIXème siècle « fut très diversifié » politiquement (absolutiste modéré, traditionaliste agraire, fusioniste ou libéral parlementaire), son alter égo d’aujourd’hui manque toujours singulièrement d’unité, de cohésion et d’une doctrine synthétisée, d’un chantre comme de militantisme. Le réveil de cette belle au bois dormant est indubitablement dues principalement aux prises de positions du comte de Paris, feu Henri d’Orléans, qui ont déçu une large partie des royalistes (plus enclins alors à voter pour le Front national (comme l’Action française) alors que le prétendant oscilla vers le socialiste François Mitterrand, soutenu par la Nouvelle action royaliste) et à une nouvelle réflexion de la part de catholiques traditionalistes, permettant ainsi à la Légitimité de s’imposer de nouveau dans le paysage du monarchisme français. «Parce que le prince déplaît, on en cherche un autre, parce que la modernité rebute, on en appelle à Dieu » écrivent à l’unisson les écrivains François-Marin Fleutot et Patrick Louis dans le premier tome consacré aux royalistes (« Les royalistes, Enquête sur les amis du roi aujourd’hui », 1989) et réalisé grâce à une enquête réalisé auprès de 1542 personnes. Une enquête similaire sera réalisé 20 ans plus tard auprès de 1738 personnes (publié dans un livre intitulé « le Royalisme en France, état des lieux »). Difficile de remettre en cause la crédibilité de ces deux études qu’une troisième a complété en 1994 (« Histoire des royalistes, de la libération à nos jours ») puisqu’elle a bénéficié des retours des principales figures du Légitimisme

La légitimité surfe sur la nostalgie de la « grande épopée chouanne et vendéenne » mais si le voyage du prince Louis-Alphonse de Bourbon a été largement médiatisé en 2015, force est de contester que le mythe ne correspond pas à la réalité de terrain. La Bretagne comme le Vendée ont perdu toutes deux de leur vivacité royaliste pour se déplacer vers l’Est et l’Ouest ou l’Union des cercles légitimistes de France (UCLF) bénéficie de bon relais. 6.03% des monarchistes se réclameraient de la Légitimité traditionaliste. Un chiffre constant mais qui note aussi une large prédominance pour une adhésion en faveur du catholicisme, une question essentielle et majeure du monarchisme français notamment au sein de la Légitimité qui la rend indissociable du trône (plus de 80% même si l’athéisme et l’agnosticisme semblent prisés par une nouvelle génération de légitimistes soit 13%- Ce qui peut paraître contradictoire au vu d’une doctrine qui puise essentiellement son origine dans les écrits et manifestes catholiques d’Henri V).

Confinés dans un certain attentisme ou assujettis à la volonté de Dieu qui « pourvoira au trône » (certains se demanderont alors pourquoi il l’aura enlevé à ses légitimes propriétaires), le militantisme est quasi absent de la Légitimité (tout au plus se résume t-il à un certain activisme sur les réseaux sociaux, peuplés de photomontages de maigres prestations et agrémentés des paroles de princes assénées comme des paraboles de la Bible). 9.96% des partisans du prince Louis-Alphonse de Bourbon sont membres de l’Institut de la Maison de Bourbon (IMB), institution représentative officielle de la Légitimité aujourd’hui vieillissante qu’elle fut très active à ses débuts, véritable fer de lance du renouveau des droits au trône de Dom Jaime, fils d’Alphonse XIII. Et que l’organisation (ou plutôt le baron Pinoteau) rebaptisa Henri Jacques pour les raisons linguistiques que l’on comprendra. A cela, il faut encore ajouter les 5.97% de légitimistes qui affirment être membres de l’UCLF. Un chiffre à temporiser toutefois car cette organisation créée en 1979 souffrirait actuellement d’un manque d’adhérents, vivement critiquée pour sa dérive sectaire et ultra-catholique. Pourtant les chiffres en 20 ans n’ont semblent t-il pas avoir évolué. Rassemblés sous le drapeau blanc (immaculée conception et qui n’a eu d’existence officielle que sous la Restauration entre 1815 et 1830, se déclinant faussement avec des Lys d’Or), un regard avisé sur l’ensemble des groupements légitimistes nous donne un chiffre plus proche de la réalité. C’est 18,72% des monarchistes (soit 2/10) qui affirment soutenir les droits du prince Louis (à titre de comparaison, 67% des monarchistes reconnaissent ceux du comte de Paris). Une minorité seulement sur l’ensemble de la mouvance française (déjà assez éclectique en soi) mais un chiffre constant que donnait déjà François Marin Fleutot et Patrick Louis dans leur premeir ouvrage.

Louis de BourbonLe Légitimisme souffre également d’un manque de diffusion de ses idées autant que d’adhésion et à progressivement disparu du paysage monarchiste. 8.46% des légitimistes sondés affirmaient lire le défunt « Lien légitimiste » qui a mis la clef sous la porte, épuisé par les attaques incessantes venant de son propre camp. Un «sport » dont semble friand une infime catégorie de légitimistes, repliés sur eux –mêmes et plus promptes à critiquer leurs prochains si ceux-ci osent s’écarter des canons de la légitimité (dont ils se sont autoproclamé les « saints gardiens » sans que personne ne leur demande. Les mêmes qui affligent l’actuel chef de la maison de France ou d’Orléans de sobriquets tels que « Riton » ou « Egalité » [en référence au duc d’Orléans qui vota la mort de Louis XVI en 1793] ou qui décident qui est meilleur légitimiste qu’un autre) que d’œuvrer eux-mêmes au renforcement des idées ou de l’image du prétendant. Même le webzine Vexilla Galliae, qui avait jusqu’ici assuré l’intégralité de la couverture politique des déplacements et activités du prétendant au trône pendant 5 ans, ne produit plus rien de concret, laissant penser qu’il va disparaître un jour de la toile. Reste encore le site « Vive le Roy » qui reste la référence Légitimiste par excellence. La multiplication de groupes virtuels Légitimistes indépendants des uns et des autres, la plupart du temps générés par des Légitimistes qui tentent d’imposer des points de vues ultra –catholiques (l’Autel étant au cœur des sensibilités légitimistes) au sein du mouvement ont d’ailleurs brouillé le message initial du prince Louis qui reste absent de la France ( où il relativement peu connu de ses concitoyens français (exceptés quelques apparitions télévisuelles ou couvertures de magazines) , préférant aujourd’hui s’affirmer politiquement en Espagne (un mouvement carliste soutenant ses droits, il est probable qu’il recueille l’adhésion de la CTC à la mort du prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme) et laissant son secrétariat (ou ceux qui s’auto-proclament comme tels) gérer ses affaires) et qui ne cache plus son irritation de la situation à ses proches.

Politiquement, la Légitimité se situe nettement dans un courant issu de la droite ou de l’extrême-droite catholique (rejetant toutes idées dites ou supposées progressistes comme la laïcité, le mariage pour tous ou le droit à l’avortement) mais divisé entre parlementaristes et absolutistes (le prince refusant de prendre position, restant dans la ligne de son père (Alphonse II) qui avait toutefois condamné tout ralliement de ses partisans au Front national. Ce qui avait généré à l’époque une scission et la naissance du Parmisme). Il est donc ici difficile de quantifier le pourcentage d’adhésions des « blancs d’Espagne » que ce soit idéologiquement comme politiquement. Cependant une nette majorité d’adhésion au parlementarisme semble se dégager des discussions sur les réseaux sociaux, conflit de générations oblige face à des partisans d’un absolutisme d’ancien régime qui tendent à se radicaliser ou faire désespérément l’autruche face à une réalité qui s’impose à eux. Refusant toute participation à la vie politique républicaine, ils sont cependant 5 à 8% à affirmer être engagés au sein d’un mouvement connu.

« Affirmation de la Légitimité de l’aîné des Bourbon et catastrophisme tempéré par la seule espérance d’une intervention divine », tel est le crédo de la Légitimité actuelle qui refuse toujours la création d’un parti politique représentant leurs idées mais qui « reste possède assurément de fortes capacités de mobilisation » (entre 400 et 700 personnes chaque 21 janvier) lors de commémorations du souvenir écrivait en 1994 l’écrivain Patrick Louis, en guise de conclusion. En 2018, la Légitimité semble toujours figée dans le temps et l’histoire, restant minoritaire au sein du mouvement monarchiste et véhiculant par le bais d’une infime partie agissante, une image très fermée et caricaturale, malgré elle parfois. Un constat qui jouera indubitablement contre le prince Louis-Alphonse de Bourbon, chef de la branche aînée des Bourbon, en cas de restauration de la monarchie en sa faveur si La Légitimité n’accepte pas de faire son auto-critique rapidement et de se doter d’un secrétariat capable de la moderniser tout en lui conservant un dose de traditionalisme, le cœur de son idéologie.

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Publié le 07/08/2018

Commentaires

  • Grégoire Legrand
    • 1. Grégoire Legrand Le 22/06/2022
    Une excellente présentation des choses. Merci aux rédacteurs du site !
    Par contre, je regrette le titre : parler de la "légitimité", de "légitimistes", etc, c'est déjà se placer en-dehors de la neutralité, volontairement ou pas. Car c'est supposer une continuité entre l'ancien légitimisme du XIXe siècle, celui de Charles X et du Comte de Chambord, et le néo-légitimisme post-1883, celui qui passa inaperçu jusque dans les années 60-70.

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