Le monarchisme népalais

Depuis 48 heures, la presse népalaise se passionne pour l’événement majeur politique de cette semaine. Les principaux mouvements monarchistes se sont réunis afin de décider (ou non) de leur unification et devenir ainsi une force politique capable d’arriver au pouvoir. Ou de revenir au gouvernement. Car depuis la chute de la monarchie en 2008, les royalistes n’ont eu de cesse d’être des « faiseurs de roi » pour tout gouvernement de coalition qui entend diriger le pays. Avec l’ombre omniprésente de l’ancien monarque  Gyanendra Shah qui plane sur le pays, il n’est pas sans un mois sans que les népalais spéculent sur le retour de la monarchie. Derrière le souverain destitué, un homme. Kamal Thapa, un hindou ultra-nationaliste qui a fait du retour de la monarchie, une croisade personnelle.?

Partisans de la monarchieIl est né dans la province de Narayani, il a 63 ans mais en paraît 20 de moins.  Et si le nom de cette partie du Népal peut inviter tout un chacun aux fantasmes les plus divers, Kamal Thapa n’est pas de ceux qui se nourrissent de ces rêves aux senteurs de chanvre qui parfois inondent les vallées de son pays. Au sein de sa famille, on sert la monarchie des Bir Bikram depuis des générations, fidèlement sous l’uniforme militaire. Le royaume a donné ses meilleurs soldats à l’empire britannique, les fameux Gurkhas, mais lui se consacre rapidement à la politique du pays. En 1973, sa verve est telle qu’il est élu à la tête de l’organisation nationale des étudiants. Depuis un an, le roi Birendra est le monarque absolu d’un royaume aux neiges éternelles. L’Himalaya attire autant les passionnés  d’alpinisme et de sensations fortes que les hippies venus d’Occident pour s’abandonner dans les volutes d’encens  de la capitale Katmandou, Mecque auto-proclamée du saint « flower power ».

Et cette masse d’européens et autres américains qui débarquent au Népal irrite profondément Kamal Thapa qui n’y voit que décadence d’une société en faillite. Le roi Birendra est jeune, à peine dans la fin de sa vingtaine. Il est le douzième maharajadhirajas d’une dynastie qui a unifié le Népal en 1768 et on le considère comme un demi-dieu. La pièce est montée, le décor planté, l’absolutisme divin des Bir Bikram n’aura pourtant pas suffi à les protéger de la colonisation britannique ni de l’influence de la famille Rânâ  qui va gouverner comme premier ministre, de pères en fils,  le pays de 1847 à 1951 sans interruption. Le couronnement est fastueux, la couronne émeraude incrustée de pierres précieuses et orné de plumes d’oiseaux de paradis que l’on pose sur la tête de Birendra cache mal les tumultes politiques que traverse le pays. Dans l’assistance, face à face, l’hindou Kamal Thapa, le prince anglican Charles de Galles. 2 visions de la monarchie qui s’opposent, qui se regardent sans se connaître. Leur seul point commun ? La langue de Shakespeare que Kamal Thapa maitrise à la perfection.

Famille royale en 2001Il poursuit sa carrière et entre à la commission de réforme de la constitution en 1980. Il s’agit alors de préserver les pouvoirs du monarque que lui octroie le « panchayat ». On arrête plus ce fervent monarchiste. Ministre des finances de 1975 à 1978, il a été haut responsable de la fonction publique de 1969 à 1971, avant de devenir ministre des Affaires étrangères, du développement ou du logement. Y compris député entre 1986 et 1990 et de 1995 et 1998. Créé en mai 1990, le Rastriya Prajatantra Party (Parti nationaliste) est un mouvement affiché de soutien à la monarchie. Il recrute parmi ses membres parmi l’élite du « panchayat », devient le fer de lance de l’ultra-royalisme et s’impose aux élections de 1994 comme le 3ème parti du pays (avec 20 élus) au sein d’un parlement largement dominé par le Congrès népalais. Kamal Thapa va diriger le mouvement de 1992 à 2002. Il est devenu peu à peu indissociable de la vie politique monarchique népalaise dont il va lentement assister à la chute.

La démocratie ? Pourquoi diable le roi Birendra a-t-il accepté de troquer le système du « panchayat » pour un trône plus constitutionnel  à l’aube des années 1990, se demande Kamal Thapa !? Et c’est un sentiment qu’il partage avec Gyanendra Shah. Le prince est le frère de Birendra, un homme meurtri  par les événements de novembre 1950.  Confronté aux Rânâ, son père le roi  Mahendra a été contraint de fuir en Inde laissant derrière lui son cadet, couronné à la hâte nouveau roi. Avant que l’Inde ne finisse par intervenir militairement. Gyanendra gardera un traumatisme de cette période où il fut roi-enfant jusqu’en janvier 1951. Ils vont nouer une amitié qui perdure encore aujourd’hui même si il se défend d’être son homme de lige « Je ne suis pas la voix du roi mais plutôt celle de l’institution royale» affirme celui qui va vivre les heures les plus angoissantes de l’histoire du Népal, le 1er juin 2001.

Sous l’emprise de drogues et d’alcool, le prince Dipendra assassine au pistolet –mitrailleur une partie de sa famille dont le roi et son épouse, ses parents. Avant d’être blessé par les gardes du palais et d’agoniser 4 jours plus tard. On avait poussé le vice à le proclamer roi sur son lit d’hôpital. La monarchie est alors entachée du sceau d’un parricide qui va condamner une monarchie gangrénée par une rébellion maoïste, armée par la Chine depuis 1996Remonté sur le trône, Gyanendra tente de gouverner seul, la pièce va se jouer en 3 actes. Son coup d’état qui rétablit l’absolutisme en 2005, la nomination forcée d’une assemblée constituante en 2006 qui lui enlève ses pouvoirs, sa destitution deux ans plus tard et la proclamation de la république. Kamal Thapa, ministre et porte-parole du roi, n’aura pas pu arrêter ce désastre auquel a participé le Congrès népalais, allié à leurs ennemis d’hier, les maoïstes. 

Massacre de la maison royaleKamal Thapa va reconstituer le Rastriya Prajatantra Party auquel il adjoint le nom de Népal. Tout le programme d’un parti, miné par de multiples scissions, résumé dans son nom. Monarchie, nationalisme, hindouisme ne suffisent pourtant pas à convaincre les népalais de lui offrir un nombre suffisant de députés capables de porter la voix royaliste. Le temps va jouer pour lui. Dans certaines provinces, on acclame le roi qui fait preuve d’un certain lobby efficace au Népal. La république naissante sombre dans l’anarchie, les monarchistes font une entrée spectaculaire au parlement en 2013 avec 34 sièges. Le RPP-N est la 4ème force politique du pays et maintient une pression de tous les instants entre janvier et septembre 2015. Les royalistes s’emparent même du parlement par la force. Kamal Thapa négocie la paix, accepte le poste de vice premier ministre et le portefeuille des Affaires étrangères. Il le tiendra par trois  fois jusqu’en 2017 car au Népal,  la droite conservatrice et la gauche marxiste se renversent tour à tour au gré de leurs alliances, parfois « contre natures ».

En quittant le gouvernement,  la coalition formée entre le Congrès népalais et les royalistes a laissé une épine dans le pied du nouveau gouvernement marxisto-communiste. En faisant adopter comme fête nationale , le jour de la date de naissance du fondateur de la dynastie royale, Prithivî Nârâyan Shâh, la gauche est désormais contrainte de rendre hommage à la monarchie chaque année. Jusqu’ici aucun parti d’extrême-gauche n’a réussi à envoyer Gyanendra Shah devant le tribunal. Pis la famille royale bénéficie d’une totale liberté de mouvement et de parole jamais inégalée pour un monarque supposé être en exil,  reçu comme un chef d’état en Inde ou encore) flirtant avec les milieux nationalistes (comme en janvier dernier par le Premier ministre indien de l'état d'Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, le moine ultra-nationaliste). Kamal Thapa a cependant subi une lourde défaite aux dernières élections législatives, perdant plus de 95% de ses députés. La faute à la désunion des mouvements monarchistes pour les uns, à son autoritarisme pour les autres (il limogera brutalement un cadre de son mouvement, ministre de surcroît, qui avait eu l’outrecuidance de réclamer sa démission comme chef de parti).Kamal thapa

Le 21 novembre 2016, le RPP-N et son rival, ou allié de circonstance parfois, le RPP-Démocratique avait fusionné pour devenir un parti capable de paralyser les institutions parlementaires. Avant de se séparer dans la douleur en février 2017. Kamal Thapa a dû affronter par la suite une rébellion interne post-électorale  qui a conduit à une 3ème  scission. Mais l’heure n’est plus à la guerre des égos. « Processus en cours d'unification des forces démocratiques nationalistes et monarchistes », « Trois forces politiques monarchistes pro-hindoues proches de la fusion », « Les dirigeants monarchistes dissidents se réunissent pour décider de l'unification ou de la formation d'un nouveau parti », « les négociations continuent entre les partis monarchistes »… Les 3 leaders du Ratriya Prajatantra Party (RPP), du Rastriya Prajatantra Party-Democratic (RPP-D) et de l' Unified Rastriya Prajatantra Party-Rastrabad , Kamal Thapa, Pashupati Shumsher Rana et Prakash Chandra Lohani se sont rencontrés afin de mettre en place un nouveau processus de fusion des mouvements monarchistes qui devrait aboutir à la formation du plus grand mouvement monarchiste ultra-nationaliste. «Il est nécessaire de restaurer l’ordre » déclarait le 4 novembre dernier Kamal Thapa devant ses partisans. Le mouvement royaliste a perdu de sa superbe parlementaire (se maintenant à peine localement dans 4 provinces) mais pas sa force sur le terrain.

EnqftgouyauatljPour le leader royaliste, le Népal doit imposer l’hindouisme comme religion d’état. Une solution qui passe par la restauration de la monarchie auquel serait placé sur le trône le roi Gyanendra ou son petit-fils de 16 ans, Hridayendra, que l’on  voit désormais à ses côtés lors des cérémonies religieuses. Kamal Thapa compte sur une vague électorale favorable aux nationalistes indiens en avril prochain. Une victoire du BJP qui permettrait de redistribuer les cartes dans cette partie de l’Asie convoitée par une Chine qui a placé ses pions sur l’échiquier politique népalais mais qui a du mal à contenir les fractures au sein de la coalition de gauche.  Alliés au Congrès népalais, les monarchistes s’imposent de nouveau au Népal. Ils ont réussi à faire imposer une loi qui interdit toutes conversations de népalais à d’autres religions. Visés en particulier, les congrégations chrétiennes accusés par le RPP- N déstabiliser le pays et qui ont fait l’objet de divers attentats organisés par les milices monarchistes du Hindu Morcha Nepal qui tentent  d’empêcher les hindous d’être « contraints, trompés ou d’être attirés à l’écart de leur foi ancestrale ». Un projet de fusion qui a fait réagir immédiatement la coalition de gauche qui a annoncé qu’elle entendait limoger les ambassadeurs royalistes encore en poste dans 14 pays, leurs alliés du Congrès népalais avec.

« Les négociations sont très positives pour le moment » a déclaré le RPP-N à la presse. « Nous formerons une union monarchiste et nationaliste qui ne se défera pas cette fois «  a juré un Kamal Thapa qui multiplie les meetings qui font salle comble.  Le 12 octobre, il est venu présenter ses hommages au roi Gyanendra. Derrière lui une longue colonne de monarchistes venus le saluer. Et un monarque qui entend se placer au-dessus des querelles. « Partout où je vais ces jours-ci, les gens se plaignent que vous avez gâché les chances de retour de la monarchie et que vous l’avez affaiblie par vos divisions. Stopper vos querelles, fusionner, fixer vous un but et allez de l’avant ! » a t-il martelé aux représentants monarchistes qu'il avait convoqué dans sa résidence. Visiblement le roi a été entendu. Et obéi !

La monarchie sera de retour au Népal et restaurera l’unité nationale (en mars dernier à New Delhi, « l’India Foundation » a organisé sa conférence annuelle contre le terrorisme. L’un des sujets qui a été abordé de manière informelle, s’est porté sur la plausibilité et les possibilités de restauration de la monarchie au Népal) affirme Kamal Thapa.  Cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour l’ancien diplomate, Premier ministre en devenir !.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 08/11/2018

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