Au Yémen, la paix passera t-elle par le retour de la monarchie ?

Le roi Muhammad al badrDepuis six ans, la patrie de la reine de Saba est en proie à un violent conflit armé et une crise humanitaire sans précédents, un Yémen devenu le  jouet d’une guerre larvée et indirecte entre le royaume wahhabite d’Arabie Saoudite et la République islamique d’Iran. S’estimant marginalisés par le gouvernement fédéral, les Houthis ont pris les armes et réclament la restauration de  l'imamat zaïdite, cette royauté abolie en 1962 à la suite d’un coup d’état. Face à l’incapacité de la communauté internationale de mettre fin à un conflit qui a déplacé plus de 100 000 personnes, l’option monarchique est devenue une solution pour certains anciens petits états dont les prétendants respectifs tentent de retrouver leurs trônes perdus dans un pays, esclave de ses démons tribalistes et religieux. Décryptage. 

Palais royal de dar al hajarLa monarchie mutawakkilite du Yémen a été abolie en 1962 après quatre décennies d’existence officielle. Terre de naissance de la reine de Saba, le sud de cette partie de la péninsule arabique a été longtemps occupée par les turcs ottomans. Face à eux, au nord, l'imamat zaïdite qui profite de la Première guerre mondiale et l’affaiblissement de la Sublime Porte pour s’ériger en véritable état monarchique. Premier souverain du royaume mutawakkilite et proclamé « chef suprême de tout le Yémen », Yahya Mohammed Hamid ed-Din réussit à stabiliser les frontières du nouvel état,  déjà menacées par une Arabie Saoudienne en plein devenir et avec lequel il va entrer en guerre brièvement en 1934. Sa volonté de moderniser sa monarchie va se retourner contre lui. Revenus d’Irak où il a envoyé se former des jeunes yéménites, ces derniers vont être l’avant-garde d’une contestation à son règime autoritaire, jugé trop proche des juifs. Le 17 février 1948, sa limousine est prise dans une embuscade organisée par une tribu rivale (les Alwazirs) qui souhaitent s’emparer du pouvoir. Il est assassiné avec un de ses petits-fils, 3 de ses 14 enfants et son conseiller. Ahmad bin Yahya Hamidaddin qui lui succède sera tout aussi autocrate que son père. Le nouveau souverain, qui est sous constante morphine pour calmer des rhumatismes qui le font souffrir, ne supporte pas la contradiction  et sombre rapidement dans la paranoïa. L’objet de son ire, la colonie britannique d’Aden voisine, une tache indélébile sur la carte de son royaume, qu’il accuse d’avoir orchestré l’attentat de son père et de vouloir unifier certains roitelets locaux afin créer un nouveau protectorat qui va en effet  naître sous le nom de Fédération d'Arabie du Sud. 

Le roi ahmad ben Yahya hamid al dinCette animosité conduit Ahmad bin Yahya à se rapprocher de l’Arabie Saoudite puis de l’Egypte peu de temps après un putsch raté dans lequel ses propres frères ont trempé (1955). Le panarabisme nassérien fait son entrée de plein fouet dans le royaume et les idées républicaines qui vont avec.  Un attentat en mars 1961 va le paralyser alors que les tensions s’exacerbent dans le pays. Son agonie va être longue et lente. Lorsque son fils Muhammad al-Badr (32 ans) monte sur le trône le 19 septembre 1962, le royaume mutawakkilite sombre doucement dans la guerre civile. Une rébellion menace Sanaa et c’est finalement le commandant de la Garde royale, Abdullah as-Sallal, qui s’empare du pouvoir dix jours plus tard, contraignant le jeune roi à fuir vers le nord du Yémen. Royalistes (soutenus par l’Arabie Saoudite) et républicains (soutenus par l’Egypte) vont s’affronter durant 8 ans avec leur chiens de guerres chacun. Pour le roi Muhammad al-Badr, ce sera le célèbre mercenaire Bob Denard qui lui assure ses services entre 1963 et 1964. Le conflit s’éternise, jette les fondements du séparatisme avant que Ryad ne finisse par abandonner le monarque prié de partir en Angleterre où il meurt en 1996. Le Sud et le Nord acceptent de s’unifier mais la lune de miel va rapidement laisser place à une odeur de fiel et dans les années 1990, le sud tente vainement une nouvelle fois de se séparer de sa consœur régionale. Riche en ressources pétrolières, le pays devient la nouvelle proie d’un conflit où les puissances européennes (France, Etats-Unis) et arabes (Iran, Irak, Arabie Saoudite, Jordanie)  tentent d’imposer leur influence sur les belligérants afin de mieux les contrôler.  L’émergence des Houthis (une branche dissidente du shiisme) remet au début de ce siècle la question du retour l’imamat zaïdite au centre du jeu politique yéménite. 

Abdullah bin essa al afar lexpressLa monarchie est-elle la situation qui permettrait au Yémen de retrouver son unité ?  En novembre 2014, le  retour au Yémen du prince Sayyid Mohammed bin Abdullah bin al-Hassan bin al-Imam Yahya Hamidaddin, fils du défunt monarque, est passé quasiment inaperçu dans la presse. D’ailleurs, il s'est juste contenter de déclarer qu’il était revenu « rechercher la paix, la prospérité, la justice et la démocratie pour et pour le peuple yéménite » au magazine « Diplomate » sans que cela n’émeuve ses compatriotes. Il est même assez difficile  de savoir si  les Houthis, une fois au pouvoir, restaureront l’ancienne dynastie ou mettront au pouvoir la famille de leur défunt chef, Hussein Badreddine al-Houthi. Le trône vacant aiguise les appétits d’autres souverains déchus qui tentent de retrouver le leur depuis la proclamation de la république. Le prince Abdullah bin Essa al-Afar est le fils du dernier sultan de Mahra et Socotra dont la monarchie a été abolie en 1967 après que son état ait été envahi par les pros marxistes du sud-Yémen. « Ce n'était pas notre volonté d'être intégrés au Yémen, nous avons été contraints de le faire » avait expliqué le prince héritier au quotidien « Al-Monitor » (2019) et qui dénonce l’ingérence saoudienne qui occupe  le deuxième plus grand gouvernorat du Yémen. La coalition dirigée par l'Arabie saoudite a perdu son chemin au Yémen et est devenue une force d'occupation » renchérit ce prétendant au trône qui réclame l’indépendance du sultanat, connu pour avoir donné à la France son corps de chameliers méharistes et à Citroën, sa célèbre voiture Méhari.

Tribus yéménitesDepuis, Abdullah Bin Essa Al-Afar semble avoir perdu sa position incontestée de chef titulaire du Conseil général du peuple d'Al-Mahra et de Socotra et cet héritier aurait  été renversé par son parent Mohammed Bin Abdullah Al-Afrar après une décision jugée trop favorable à la prise de contrôle de Socotra par les Émirats arabes unis (nouveaux venus dans le conflit, rival d’Oman qui lorgne sur cet ancien état stratégique commercialement)  au détriment des intérêts locaux et de l'autonomie gouvernementale durant l’été 2020. Dans un pays déchiré par une guerre civile où chaque camp politique, chaque tribu tente de tirer la couverture vers elle,  les voix du prince Sayyid Mohammed bin Abdullah bin al-Hassan bin al-Imam Yahya Hamidaddin ou celles du prince Abdullah Bin Essa Al-Afar se perdent dans le bruit des bombardements qui s’abattent régulièrement sur les villes du Yémen. Privée de réels soutiens, il est peu probable que la monarchie revienne à court terme au Yémen et dont la paix dépend désormais de la volonté de la maison royale des Ibn Saoud et de la République islamiste d’Iran, toutes deux prises au piège d’un conflit qui s’éternise au prix de dizaines de milliers de morts.  Les deux princes sont d'ailleurs retournés en exil, le premier à Londres, le second à Abou Dhabi, en attendant des jours meilleurs.

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Date de dernière mise à jour : 27/03/2021

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