L’émirat du Qatar, une monarchie ambitieuse et paradoxale

Souverain d'un émirat situé aux abords du Golfe persique, le sheikh Tamim ben Hamad Al Thani dirige son royaume depuis une décennie. Une monarchie wahhabite rigoriste sur laquelle tous les regards vont se poser durant la coupe mondiale de Football entachée par plusieurs polémiques. Menacée par ses voisins, proche des organisations islamistes, cette puissance économique émergente entend s’imposer sur la scène internationale. Elle a noué des liens très étroits avec la France, faisant fi des accusations d’ingérence et de discrimination en tout genre dont elle fait l’objet. 

Il n’était pas l’héritier présomptif de l’Émirat du Qatar et pourtant en quelques décennies, Tamim ben Hamad Al Thani, 42 ans, a su s’imposer au sein de cette monarchie musulmane dirigée par la même dynastie depuis trois siècles. Ancien sandjak ottoman, le Qatar doit son autonomie aux Britanniques qui décident en 1915 de reconnaître la famille Al Thani comme pleinement souveraine en échange d’un protectorat exclusif. La découverte de pétrole et de gaz va permettre à ces bédouins d’entrer de plein pied dans l’ère moderne tout en conservant leurs traditions séculaires. La monarchie ne tarde pas à se développer, sous le contrôle de Londres, sans échapper aux querelles de succession (1948), devenues une règle absolue.

 

 

Une monarchie marquée par de nombreuses crises de succession

L’indépendance en 1971 s’accompagne d’un coup d’État. Le sheikh Ahmad ben Ali Al Thani (1917-1977) a commis l’erreur de lire la déclaration d’émancipation de son pays depuis sa résidence suisse au lieu d’être dans son palais de Doha. Un an plus tard, il est déposé alors qu’il est à la chasse en Iran par un complot organisé par l’Arabie Saoudite et le Royaume-Uni qui place son frère et rival, le prince Khalifa bin Hamad (1932-1995), sur le trône. Une seconde vague de réformes est mise en place qui, cette fois, va largement profiter aux Qataris. Une nouvelle bourgeoisie émerge très rapidement et commence à faire son apparition sur la Riviera de Cannes. Un luxe qui étonne, qui fait rire, que l’on admire ou que l’on dédaigne. Le Qatar est devenu un allié de l’Occident et va devenir incontournable lors de la première guerre du Golfe en 1991. Quatre ans plus tard, en juin 1995, l’émirat est secoué par un violent coup d'État organisé par le prince héritier Hamad ben Khalifa. Khalifa ben Hamad s’enfuit aux Emirats Arabes Unis et organise un contrecoup d’État en février 1994. Deux visions idéologiques s’affrontent. Le nouveau souverain est un moderniste, le second un traditionaliste conservateur. Si la tentative de reprise de son trône par Khalifa ben Hamad est un échec, le royaume va hériter d’une constitution en 2003. Dans la réalité, le monarque conserve l’intégralité des pouvoirs au sein d’un pays qui va vivre un temps au rythme du « Printemps arabe » (la monarchie a soutenu le gouvernement des Frères musulmans en Egypte, Ennahda en Tunisie, des groupes islamistes en Syrie, proches d'Al-Qaïda, et réclamé que les Talibans s'inspirent d'elle pour la gestion islamique de l'Afghanistan).

 

 

Un régime autoritaire proche de la République française

Tamim ben Hamad Al Thani est une forte personnalité qui conserve l’image d’un souverain absolu islamo-centrée. La monarchie demeure un allié des États-Unis avec lesquels elle a passé des accords de défense. Une influence qu’elle a contrebalancée avec des traités similaires comme avec la Russie et d’autres pays européens comme la France qui demeure un de ses partenaires stratégiques depuis 1994. Près des trois quarts du matériel militaire qatari est, d’ailleurs, d’origine française. Très régulièrement, les deux pays organisent des manœuvres conjointes. Industriellement, l’Hexagone n’est pas en reste. C’est elle qui a remporté le chantier du métro dans la capitale Doha, piloté par la SNCF. Des contrats juteux que n’hésitent pas à revendiquer le Quai d’Orsay. « Sur les neuf premiers mois de l’année 2017, nous avons importé 432 millions d’euros et exporté vers le Qatar, un milliard d’euros » affirmait à cette époque le ministère des Affaires étrangères, cité par le quotidien Le Monde. Exit les accusations d’atteinte aux droits de l’Homme, d’esclavagisme [notamment avec les immigrés] ou d’homophobie d’État [les relations entre personnes de même sexe sont interdites et la peine de mort est applicable] au même titre que les activités LGBT) dont fait l’objet cette royauté sunnite. Acquise au wahhabisme, elle pratique et diffuse un islam intégriste (ce qui ne l’empêche pas de s’opposer à l’Arabie Saoudite pour autant) avec quelques nuances comme la reconnaissance du droit des femmes.

Une passion pour le football

Récemment, la France a renforcé ses liens avec l’émirat dans la lutte contre le terrorisme sous le quinquennat du président Emmanuel Macron qui n’a aucun intérêt que la polémique autour de la coupe du monde de football (du 20 novembre au 18 décembre 2022) se poursuive (les deux dirigeants se sont rencontrés pas moins de trois fois depuis 2017). La pétromonarchie a considérablement investi dans l’Hexagone. Elle possède 35 000 m2 de bâtiments sur l’avenue des Champs-Elysées, des multiples hôtels et casinos de luxe, le célèbre magasin « Le Printemps », détient 5% du capital de Véolia et autant chez Suez Environnement, Total, LVMH (le groupe de luxe) et même dans le capital du site en ligne « Vente-privée.com ». Mais la marotte de son dirigeant reste le football puisque la maison royale est détentrice du Club Paris-Saint-Germain et sa chaîne de télévision Al-Jazira détient une partie des droits sur les championnats de France de Football. Rien donc d’étonnant si l’équipe de France, qui se présente à Doha, a fait profil bas ces derniers temps, refusant de prendre des positions contre l’émirat dont l’influence a pénétré les couches musulmanes de France.

Marié à trois femmes, père de 16 enfants, l’émir Tamim ben Hamad Al Thani a personnellement supervisé la candidature d’organisation du mondial de Football à Doha (et accessoirement les Jeux asiatiques de 2030) que le Qatar a remporté de manière controversée (soupçons de corruption dans les instances de la Fédération international de Football association (FIFA) et d’espionnage). « Même aujourd'hui, il y a encore des gens qui ne peuvent pas accepter l'idée qu'un pays arabe et musulman puisse organiser un événement comme la Coupe du monde. Ces individus, dont beaucoup ayant des positions influentes, ont lancé des attaques d'une intensité inédite » a déclaré récemment l’émir, très irrité par les nombreuses accusations dont son pays fait l’objet. Une protestation pour la forme. L’émir le sait, c’est lui qui est désormais aux manettes de ce mondial qui plonge sa dynastie sous les feux des projecteurs et qui lui permet d’être un acteur international majeur. En prenant en otage de facto ses alliés, il les a obligé de courber l’échine et de fermer les yeux sur les nombreuses discriminations qui règnent dans cette monarchie à la fois ambitieuse et paradoxale.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 20/11/2022

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