Régulièrement scandé depuis le début des manifestations anti-gouvernementales, le nom de Reza Shah est devenu un cri de ralliement, un signe de défiance envers le régime islamique de Téhéran. Depuis la chute de la maison impériale des Pahlavi en janvier 1979, les ayatollahs vivent dans la crainte d’un coup d’état organisé par les mouvements monarchistes réfugiés pour la plupart avec le prince héritier aux Etats-Unis. Qui sont-ils, quelle sont leurs histoires et quels sont leurs liens avec l’actuel prétendant au trône ?
« Shah raft » (Le Shah a foutu le camp !). La radio de Téhéran martèle cette phrase comme un crédo ce 16 janvier 1979. Aux premières heures du matin, le palais de Niavaran s’affaire. On court partout, on ferme les valises marqué du sceau impérial. Un hélicoptère a mis en route son moteur prêt à décoller vers l’aéroport international de Mehrabad. A son bord, Reza Shah et la Shabanou Farah Diba. Leurs enfants ont déjà été exfiltrés vers Hawaï ou ont rejoint le prince héritier, alors élève pilote à la base de Lubbock au Texas. Sur le tarmac, ils sont quelques officiers et personnalités à attendre le couple impérial. Un adjudant se jette sur la main de l’empereur, se courbe et l’embrasse. Reza Shah peine à esquisser un sourire devant l’homme qui le supplie de ne pas quitter le pays. Le Shah le relève, le regarde, le visage embué de larmes. C’est la première fois que le Shah ne se contrôle pas, il sait que ce sera un exil sans retour, lui qui est atteint d’un cancer (il meurt en juillet 1980). La république islamique proclamée est entre les mains de l’ayatollah Khomeiny qui débarque dans la capitale le 1er février suivant. Il s’agit de faire vite, le pouvoir est encore fragile et les partisans du Shah peuvent encore le renverser. Pour les monarchistes, il s’agit de se réorganiser rapidement ou d’échapper à l’épuration qui frappe tous les dignitaires de l’ancien régime. Le 9 février, des affrontements ont d’ailleurs eu lieu entre les cadets de l’armée de l’air et la Garde impériale qui tente de reprendre le contrôle de la situation, en vain. Bien qu’hostile au régime des mollahs en devenir, les officiers vont respecter les ordres du Shah : « ne faîtes pas couler le sang ! ». Le dernier premier ministre de l’empereur, Shapour Bakhtiar, est démis de ses fonctions (il fuit à Paris), des exécutions de masse sont organisées sur ordre de Khomeiny. Tout ce qui a été proche du régime défunt ou qui a appartenu à la Savak, la police impériale tant redoutée, est arrêté et exécuté dans la foulée.
Le prince Shahriar Shafiq, neveu du Shah, prend la tête de la rébellion monarchiste qui sévit à l’intérieur du pays. De janvier à mars, il combat le régime qui prend soin de ne pas communiquer sur cette rébellion. Mais faute d’argent et d’armement, le prince doit bientôt partir en exil dès mars 1979 d’abord aux Etats-Unis puis en France. Devenu le porte-parole de la famille impériale, il est condamné mort par le régime des Ayatollahs. Le 7 décembre 1979, il est victime d’un assassinat (deux balles dans la tête) par un commando iranien. C’est sa sœur, la princesse Azadeh Shafiq (1951 –2011) qui lui succèdera au poste de porte-parole, organisant elle-même des manifestations anti –régime depuis les Etats-Unis. Depuis Paris, on s’active aussi. A la tête d’un mouvement hétéroclite, Shapour Bakhtiar va lui-même organiser une tentative de coup d’état le 9-10 juillet 1980 à partir de la base aérienne de Nojeh et avec l’aide de l’homme d’affaires, ancien agent de la Savak, Manucher Ghorbanifar et le colonel (monarchiste) Muhammad Baqir Bani-Amiri, C’est un échec total et la répression brutale (144 personnes sont passées par les armes). Le régime islamique va s’installer mais vivre dans la crainte d’un retour fils, Reza Shah II qui appelle déjà au renversement du régime depuis le Caire. Le Maréchal Bahram Aryana (1906-1985) a fondé dans la capitale française, le Mouvement de libération armée « Azadegan ». Si l’organisation revendique 12000 combattants (2000 selon différents services secrets occidentaux) et a des liens étroits avec la famille impériale, ce n’est qu’en juillet 1981 qu’elle attire l’attention des médias en s’emparant d’un navire de guerre dans le golfe persique. Partis du port de Marseille, la prise du navire marque l’apogée de ce mouvement qui va provoquer un sérieux incident diplomatique entre l’Iran et la France. En effet, une fois le navire entre leurs mains, les insurgés monarchistes revinrent avec celui-ci et l’amarrèrent à Cherbourg. Ce n’est que le 2 août après une médiation des autorités françaises que les 30 militaires du régime iranien capturés avec leur navire furent relâchés par les royalistes. « Un coup de com’» qui va attirer l’œil sur les monarchistes iranien. Mais « Azadegan » ne va pas survivre au décès de son fondateur qui avait pourtant réussi à rassembler dans son mouvement un large panel de la société iranienne, des modérés de gauche aux monarchistes les plus extrêmes. Le mouvement se déchire, se divise profondément avec un prétendant qui décide de s’éloigner de leurs activités tout comme sa cousine la princesse Azadeh Shafiq. Shapour Bathkiar (assassiné en août 1991 par des agents de la république iranienne. Son assassin a été relâché dans des circonstances troubles en 2010 et sur demande de l’Elysée) n’arrivera pas non plus à fédérer l’opposition républicaine qui rejette la figure du prétendant au trône (comme l’Organisation des moudjaheddines du peuple iranien (OMPI) de Massoud Rajavi (1948-2013 ?) et son épouse Maryam).
En 1994, l’ancien Parti monarchiste constitutionnaliste d’Iran est reformé. Il entend par des moyens démocratiques faire pression sur les gouvernements internationaux afin que ceux-ci supportent le retour de la monarchie en Iran notamment avec par la voie d’un référendum. Crée par le journaliste Daryoush Homayoun (1928-2011) qui fut aussi bien un critique du régime des Pahlavi que celui de l’Ayatollah Khomeiny, il a été aussi un ancien soutien au Premier ministre kadjar Mohammed Mossadegh qui avait renversé le Shah entre mars et août 1953, avant que celui-ci ne soit rétabli par la CIA. Le parti (reconstitué) Rastakhiz (Renaissance) fondé en 1975 par le Shah continua ses activités en exil et tenta en vain de fédérer en son sein les différentes mouvances monarchistes. Mais sa réputation d’ultra monarchisme sous le régime impérial lui vouait, même en exil, quelques inimités de part et d’autres au sein des monarchistes y compris de la part de la famille impériale qui se désolidarisa officiellement de ses actions (il est aujourd’hui basé en Suède et dirigé par le journaliste, le docteur Masoud Khoshnood). Au plus fort des événements de 2009, l’Association royaliste d’Iran (Tondar ou Tempête), financée par Washington, va tenter d’exploiter la colère des iraniens, réunis au sein du mouvement vert. Basée à Los Angeles et crée au début des années 2000, elle a actuellement soutient de l’administration Donald Trump qui organisé son dernier congrès en juillet dernier. Ce mouvement royaliste s’est fait surtout connaître en piratant les radios d’Iran et lancé plusieurs appels au renversement du régime théocratique. Les ayatollahs soupçonnent fortement ce groupe monarchiste d’avoir organisé un attentat dans une mosquée de Shiraz au sud du pays, faisant 14 victimes et 200 blessés en avril 2010. L’assemblée royale d’Iran (ou Anjoman-e Padeshahi-e Iran), autre branche du Tondar, fut également accusée d’avoir participé à cette tentative de déstabilisation (ses membres avait organisé le 17 juin 2005 un sit-in sur le tarmac de l’aéroport de Bruxelles). Régulièrement, le régime islamique dénonce des complots monarchistes et fait arrêter des étudiants. Ainsi les monarchistes Mohammed Ali-Zamani (né en 1972) et Arash Rahmanipour (né en 1990) furent arrêtés et exécutés le 28 janvier 2010 en dépit d’une forte campagne en faveur de sa libération mise en place sous la houlette de la Conférence monarchiste internationale et diverses organisations humanitaires.
Depuis le déclenchement des émeutes en décembre 2017, les mouvements monarchistes sont très actifs sur les réseaux sociaux, publiant des vidéos et photos de manifestations en faveur du prince héritier, inondant de tracts les principales villes du pays, relayant tous les communiqués de Reza Shah Pahlavi II qui s’est rapproché de ses mouvements. En effet, jusqu’ici celui qui a été le porte-parole et leader du Conseil National Iranien de 2013 à 2017 et qui a créé sa propre télévision sous le nom d’Ofoghiran. (Horizon en farsi), avait toujours pris soin de ne jamais adouber la moindre organisation monarchiste afin de rester au-dessus des partis et rassembler tous les partis autour de lui (une décision qui lui a été beaucoup reprochée par les royalistes et qui explique aussi pourquoi il ne fait pas l’unanimité au sein de l’opposition. En 2013, un sondage organisé au sein de la diaspora irano-américaine avait montré qu’ils n’étaient que 20% à soutenir son retour sur le trône, les monarchistes étant très divisé sur sa personne d’autant qu’il a toujours affirmé vouloir laisser le choix aux iraniens, son refus de soutenir une intervention armée ou changer la loi de succession au trône en faveur de ses filles).
A l’heure d’une révolution qui ne dit pas son nom, le mouvement monarchiste apparaît très divisé (d’ailleurs, dernier arrivé des mouvements monarchistes le mois dernier et né de la contestation actuelle, le Front de Libération Pahlavi qui se charge de relayer toutes les interviews et déclarations de la maison impériale.), ce qui l’affaiblit considérablement avec un prétendant qui entend plus rassembler que d’être le porte-parole d’une seule idéologie.
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Publié le 18/08/2018