Iran : restaurer la monarchie sans perdre la souveraineté ?
Iran : restaurer la monarchie sans perdre la souveraineté ?
Peut-on « restaurer » l’Iran par la monarchie ? Christian et Pierre Pahlavi, membres de la dynastie du même nom, se sont confiés sur la nostalgie que suscite l’institution impériale en Iran et l’enjeu d’un tel retour sur la radio Europe 1.
Dans un Proche-Orient fracturé, l’Iran des mollahs fait figure d’exception idéologique. Pourtant, depuis l’exil du Shah en 1979, la figure royale n’a jamais disparu du cœur des Iraniens. Le prince Reza Pahlavi incarne aujourd’hui une possible réconciliation entre tradition, modernité et démocratie. Deux membres de la famille impériale, Christian et Pierre Pahlavi, livrent une réflexion sans langue de bois sur les conditions d’un retour de la monarchie et les périls d’une transition mal conduite.
La monarchie comme structure identitaire d'une nation
Christian Pahlavi est âgé de 84 ans. Historien de formation, auteur d’une thèse sur la « Révolution Blanche » iranienne (dirigée par Hélène Carrère d’Encausse), il a connu les grandes heures de la monarchie impériale après avoir été adopté par le prince Ali Reza Pahlavi (1922-1954), frère du dernier souverain d’Iran. « En dehors de tout rapport avec des accointances familiales que j'ai avec Reza, je suis un chaud partisan de la monarchie en Iran. L’histoire de la Perse prouve que, pour l’Iran, le Shah, c’est un peu ce qu’est le pape pour le Vatican. Un Vatican sans pape serait bien vide et l'Iran, 50 ans d'histoire, le prouve a vraiment eu besoin de la royauté, d'un roi, d'une couronne quelle que soit la dynastie … », affirme cet ancien secrétaire de rédaction à Nice-Matin, où il a officié durant 30 années,
Derrière cette formule, un constat historique : depuis 2 500 ans, la figure royale structure la mémoire et l’identité iranienne. Christian Pahlavi rappelle que le peuple iranien lui-même donne sens à cette continuité, presque sacrée : « Les Iraniens ont une formidable nostalgie envers leur histoire ; Il suffit de le voir puisqu’ils fêtent le début de l’année devant le tombeau de Cyrus le Grand.», assure-t-il. Un sentiment qui est cependant difficile de mesurer actuellement. A l’heure où le régime des mollahs semble sur le point de vaciller, le nom des Pahlavi est pourtant scandé par une jeunesse avide de liberté, qui réclame la fin des interdits religieux et qui a fini par romantiser la monarchie, devenu le symbole d’indépendance et de résistance.
Ne pas réitérer l'erreur de l'Opération Ajax
Pour Christian comme pour Pierre Pahlavi, 53 ans, la monarchie que pourrait incarner Reza Pahlavi, actuel prétendant au trône, n’a rien de réactionnaire : elle s’inscrirait dans les exigences contemporaines de liberté. « Le prince Reza est certainement un chaud partisan de toutes les assurances démocratiques possibles et imaginables », souligne Christian Pahlavi. Et Pierre de compléter : « Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que l'Iran et le régime monarchique sont consubstantiels. Je suis certain que ce serait la meilleure solution pour ce pays d'autant plus que quand on observe ce qui se passe à l'échelle internationale les républiques montrent leurs limites alors que les régimes monarchiques demeurent des garanties de stabilité. »
Mais si l’opportunité semble historique, Pierre Pahlavi insiste sur un point sensible : la perception populaire d’un retour organisé de l’étranger. « Reza a une chance en Iran, mais il doit faire attention avec qui il va revenir. Qui le mettra sur son trône ? Les Iraniens sont jaloux de leur souveraineté. Ils n’aiment pas qu’on leur impose leur destinée politique. », rappelle ce spécialiste dans l’étude et l’enseignement des stratégies d’influence, de la guerre asymétrique et des principaux axes de la politique extérieure de la République islamique d’Iran. I
Il prévient également sur les erreurs stratégiques à éviter : « Ce serait une erreur de revenir dans les wagons des Israéliens ou des Américains. Maintenant, a-t-il vraiment le choix aujourd’hui ? L’opposition politique en Iran est très fracturée. », regarde-t-il avec lucidité. Lors de son règne, Mohammed Reza Pahlavi a dû affronter l’opposition de son Premier ministre Mohammad Mossadegh. Contraint brièvement à l’exil, durant quelques mois le Shah est revenu grâce à l’intervention américaine. En 1953, Washington a orchestré un coup d’état (Opération Ajax) pour rétablir les Pahlavi sur leur trône. Un retour qui a marqué les Iraniens et qui a posé une tâche noire indélébile sur la dynastie. Un risque que prend également son fils si les Etats-Unis se décidaient à intervenir aux côtés des Israéliens déterminés à faire tomber Téhéran depuis le 13 juin 2025.
Dans un registre plus identitaire, Christian Pahlavi décrit la République islamique comme un régime étranger à l’âme iranienne : « Je crois que l’Iran est une des racines de la civilisation universelle. Il a été dénaturé par des locataires qui ont fait beaucoup de dommages à un édifice qui appartient au bien commun mondial. ». Il ajoute dans un souffle palpable : «Rendre l’Angleterre anglaise, rendre la France française, rendre l’Iran iranienne… Ce sont des choses qui seront sympathiques à tout le monde. »
C’est encore aux Pahlavi que la Perse doit son nom actuel. Officier cosaque au caractère fort, Reza Shah opère un coup d’état militaire en 1921 et devient l’homme fort du pays. Quatre ans plus tard, il met fin au règne des rois Kadjar. Il songe à mettre en place une République mais sous les conseils des mollahs, il accepte finalement de ceindre la couronne, ouvrant pour la Perse, rebaptisée Iran en 1935, une ère de modernisation qui va attirer la convoitise des anglo-saxons.
La chute des mollahs, des lendemains politiques difficiles à prévenir
Pierre Pahlavi soutient également un retour de la monarchie. Toutefois, s’il est également un démocrate assume, il se montre également critique envers une certaine opposition dite révolutionnaire : «Les Moudjahidines du Peuple ? Ce sont des gens à la fois marxistes et islamistes. Pour moi, le cocktail est mauvais. Et les ingrédients sont dangereux. », avertit cet auteur de plusieurs livres à succès. « Les Moudjahidines ont combattu aux côtés de l’Irak pendant la guerre. Je crois que les Iraniens ne l’ont pas oublié. Il y a des choses qui ne passent pas. », renchérit-il. Plus connu sous leur acronyme (OMPI), basé à Paris, ce mouvement a été fondé en opposition au Shah, puis aux mollahs, se présentant comme « une synthèse entre islamisme, gauche radicale et nationalisme anti-impérialiste ». Sur leur site officiel, les Moudjahidines du Peuple ne font pas mystère de leur aversion des Pahlavi et ne cessent de les attaquer. Des diatribes que l’on retrouve répercutée dans la presse française, peu soucieuse de vérifier les dires de l’OMPI.
Pour Christian, les Iraniens aspirent au changement, mais pas à n’importe quel prix :« Tout est mieux qu’un régime des mollahs et qu’une république islamique. Mais les Iraniens ne vont pas accepter un changement de régime à n’importe quelle condition. Ils craignent que les Occidentaux veuillent simplement mettre la main sur les richesses du pays. » Et d’ajouter, lucide : « Il y a déjà des rumeurs de démantèlement du pays — république kurde, baloutche, arabe… Ça fait très, très peur aux Iraniens. Le risque, c’est de les voir faire front commun, par patriotisme, s’ils perçoivent une tentative de mise sous tutelle. » et de rejeter toute révolution, de faire front aux côtés de ceux qu’ils détestent afin de ne pas sombrer dans l'anarchie telle que leur voisin irakien l'a connu après la chute du Président Saddam Hussein. (2003).
Christian Pahlavi évoque enfin une possibilité qui, selon lui, n’est pas à exclure : « Je ne serais pas étonné que les Russes ou les Chinois voient d’un bon œil un coup d’État militaire d’un jeune officier de l’Artesh — L'armée de la république islamique d'Iran , beaucoup moins idéologisée, moins corrompue [que les Gardiens de la Révolution-ndlr]. Il pourrait se présenter aux Iraniens comme un nationaliste, un moderniste… même s’il devenait un pion de Moscou ou de Pékin. ». La Russie et la Chine sont des alliés de Téhéran, rentré récemment dans les BRICS, mais tout porte à croire qu’ils ne bougeront pas en cas d’intervention américaine.
Les paroles de Christian et Pierre Pahlavi témoignent d’un attachement profond à une vision monarchique de l’Iran — non comme un retour au passé, mais comme une clef pour l’avenir. Leur mise en garde est claire : pas de restauration crédible sans souveraineté, ni sans démocratie.