Le 14 juillet 1958, le roi Faysal II est passé par les armes dans la cour même du palais où elle avait vécu les grandes heures de la monarchie. Rare rescapée de cette révolution sanglante et sauvage, lorsqu’elle évoquait cette tragique journée, la princesse Badia Ben Ali avait du mal à retenir ses larmes. Ultime témoin d’une époque forte en soubresauts, la mère de l’actuel prétendant au trône irakien s’est éteinte paisiblement à Londres, à l’âge de 100 ans.
«La ville de Bagdad était plus charmante que celle d’Amman qui était petite et encore éclairée à la bougie. Il y’avait l’électricité et un pont. Lorsque je suis arrivé dans la capitale, j’ai trouvé qu’elle était magnifique et j’ai toujours adoré y vivre». Interviewée en 2012 par Al Sharqiya, une chaîne satellite privée, la princesse Badia Ben Ali décrivait sa vie de princesse royale avec nostalgie et émotion.
Elle est née à Damas, en Syrie, en juin 1920. Un an après, les britanniques décident de créer l’Irak et de placer à sa tête le prince Faysal Hashemite. Histoire de dédommager cette famille de bédouins dépossédés ayant régné sur la Mecque, dans l’actuelle Arabie Saoudite, et brièvement sur Syrie. L’Europe se partage alors le gâteau ottoman peu après la première guerre mondiale. Fille du roi Ali ben Hussein (1879-1935), dernier souverain du Hedjaz renversé en 1924, la princesse grandit dans cette atmosphère de quasi rébellion permanente.
En 1949, elle épouse son cousin le prince Sharif ben Hussein (1918-1998). Le mariage est fastueux, la capitale est en fête. La monarchie donne l’apparence d’une institution paisible mais derrière les ors des palais, la colère gronde. Son beau-frère, le roi Ghazi est mort mystérieusement le 4 avril 1939. Accident de voiture ou complot familial, le mystère demeure encore entier. Le royaume irakien est instable. Le premier ministre Nouri Said est détesté, le régent Abdallah ben Ali, également frère de la princesse Badia, est accusé d’être inféodé aux britanniques. Il a instauré un régime répressif, supprimé la liberté de la presse, harcèle la minorité juive, manipule les élections et fait la chasse aux communistes. De son mariage, Badia aura 3 fils entre 1950 et 1956. Peu politique, elle suit de loin les nombreux soubresauts qui éclatent dans le pays, entrevoie la menace du cimeterre au-dessus de leur tête.
Le 14 juillet 1958, la monarchie irakienne bascule dans l’horreur. Le jeune roi Faysal II est arrêté, retrouvé caché derrière un canapé. Il est traîné, hurlant et terrorisé, devant un mur du palais royal. Un cri d’effroi, des coups de feu qui claquent, le souverain de 23 ans s’écroule avec d’autres membres de la maison royale et des domestiques. L’armée contrôle la capitale. A la radio, «La Marseillaise » tourne en boucle. La princesse et sa famille réussissent à s’échapper de la vindicte populaire et se réfugient dans l’enceinte de l’ambassade d’Arabie Saoudite. Ironie de l’histoire ce sont les Saoud, cette dynastie qui a chassé les Hashemite du Hedjaz, qui vont sauver Badia, son mari et ses enfants. C’est là qu’elle apprend le sort qui a été réservé à son frère Abdallah ben Ali. Le régent a été attaché à un pick-up par les pieds, entièrement dévêtu. Son corps sera longuement traîné à travers Rashid street, flagellé. Comble de la cruauté, il sera découpé en morceaux. La haine des irakiens envers leur monarchie n’a plus de limites. «Les gens continueront de traîner le corps d’Abdallah dans la rue comme si c’était un chien ,avant de le découper sur place, membres par membres et avant d’y mettre le feu» témoignera un journaliste de la «Middle East News Agency». Le palais, attaqué au mortier, a été saccagé, les soldats pillent les chambres, sortent la vaisselle et l’exposent dans la rue comme le montreront les photos prises durant cette journée par le magazine «Paris Match ».
Après un mois d’attente et de confinement, l’Arabie Saoudite délivre enfin des passeports diplomatiques temporaires qui permettent à Badia et sa famille de quitter l’Irak. Direction, l’Egypte puis le Liban où elle va y vivre presque une décennie avant de rejoindre la Suisse puis Londres. Son dernier lieu d’exil. Elle va y vivre une vie paisible, le regard toujours tourné vers Bagdad.
La chute du dictateur Saddam Hussein remet la maison royale d’Irak au centre de la politique du Proche-Orient. C’est elle qui encourage son benjamin, le prince Sharif ben Ali Hussein, à rentrer dans son pays de naissance en juin 2003 et à se déclarer disponible pour le trône. Bien que contesté par un de ses cousins en Jordanie. Il a fondé le mouvement monarchiste constitutionnel irakien (IMC) et tenté de se faire élire de nombreuses reprises comme député. En vain. Il demeure cependant un personnage politique incontournable en Irak. Une revanche pour la princesse Badia qui a fait preuve d’un solide caractère durant toute sa vie.
Annoncé par le prétendant au trône, le décès de cette princesse des «Mille et une Nuits» a provoqué de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux où des centaines de comptes ont partagé des photos d’une princesse au firmament de sa beauté mésopotamienne. Si le royaume de Jordanie a adressé ses sincères condoléances, l’hommage le plus inattendu est venu du gouvernement irakien lui-même : «Avec la mort de la princesse Badia, la fille du roi Ali, c’est un chapitre brillant et important de l'histoire moderne de l'Irak qui vient de se clore. La défunte princesse faisait partie de cette diaspora culturelle et politique qui représentait totalement l'Irak » a écrit le nouveau Premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi sur son compte twitter.
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