Invité à prendre la parole au Bundestag, le parlement allemand, le roi Charles III a lu un discours aux accents politiques. Loin du devoir de réserve observé par feu sa mère, la reine Elizabeth II, le nouveau monarque entend bien faire entendre ses points de vue. Un changement de ton qui fait déjà crisper certains députés britanniques.
Durant près de sept décennies, le roi Charles III a eu le temps de se préparer à son rôle de monarque. Désormais sur le trône d’Angleterre depuis septembre 2022, date à laquelle sa mère, la reine Elizabeth II, a fermé définitivement les yeux, il entend imposer sa marque, faire valoir ses points de vue et retrouver ses regalia. Invité à s’exprimer au Bundestag (Parlement allemand), le 10 mars 2023, le roi Charles III n’a pas hésité à dénoncer publiquement l’invasion de l’Ukraine par les Russes, louant même la décision de l'Allemagne d'inverser des décennies de politique de défense en fournissant des armes à Kiev. « La décision de l'Allemagne d'envoyer un soutien militaire aussi important à l'Ukraine est remarquablement courageuse, importante et appréciée » a déclaré le souverain. S'adressant aux député(e)s du Bundestag, il a ajouté que « l'attaque non provoquée de la Russie avait infligé les souffrances les plus inimaginables à de nombreux innocents ». Une prise de position qui tranche drastiquement avec le devoir de réserve que s’imposait à chaque déplacement la reine Elizabeth II, mais qui reste loin d’être étonnante.
Un futur roi au contact de ses sujets
En 2010, le roi Charles, alors héritier de la couronne, avait été au cœur d’un scandale dont les médias se sont gargarisés. Ils avaient révélé que le futur monarque pratiquait un lobby intensif auprès de ministres du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté, leur envoyant des courriers (black spider memos) afin de les influencer sur certains thèmes qui lui tiennent à cœur. Notamment l’agriculture, le réchauffement climatique, le chômage, la planification urbaine et l’architecture. Déjà dans les années quatre-vingt, la Première ministre Margaret Thatcher s’était inquiétée des escapades de celui était prince de Galles dans les ghettos de Londres afin d’aller au contact des Anglais vivant dans les rues. Poche des milieux écologistes (il a prononcé un discours très engagé à la Cop26 en 2021), développant lui-même des concepts agricoles respectueux de l'environnement, pour certains Britanniques, le fils de la reine est à classer à gauche de la politique nationale. En mars 2022, il avait déjà condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie, estimant qu’elle était une « attaque contre la liberté », sortant de la neutralité politique imposée aux membres de la famille royale des Windsor. Sa dernière rencontre au palais royal avec le président Volodymyr Zelensky témoigne d’ailleurs de sa proximité avec Kiev (février 2023).
Un soft power et une ingérence qui ne plaisent pas aux élus Britanniques
Charles III s’entend particulièrement bien avec son Premier ministre conservateur Rishi Sunak. Au centre de leurs discussions, le rôle du Royaume-Uni en Europe dont ils sont sortis en 2016 lors d’un référendum (Brexit). Le souverain n’a jamais caché qu’il était favorable à un nouveau renforcement des liens entre Bruxelles et Londres. Pour sa visite en France, finalement annulée en raison d’un climat politique instable, il était prévu sur son agenda que le roi Charles III aborde ce sujet avec le Président Emmanuel Macron. En Allemagne, bien qu’il ait soigneusement évité le sujet du Brexit, il a pourtant fait allusion, très habilement, au retour du Royaume-Uni au sein de la Communauté européenne. Il s'est dit « totalement convaincu » que les liens entre l'Allemagne et le Royaume-Uni « se renforceront de plus en plus » alors que les deux pays s'efforcent de « prospérer et de faire avancer le voyage urgent et vital vers net-zéro ». Un « soft power » qu’il n’a pas hésité à utiliser en recevant directement Ursula van der Leyen à Buckingham Palace en février 2023. Si officiellement, il ne s’agissait que d’un thé, Charles III et la présidente de la Commission européenne ont évoqué les contentieux européens liés à la question nord-irlandaise.
Mais cette ingérence ne plaît pas à tous les parlementaires qui s’inquiètent de voir à quel point le monarque s’implique politiquement avec l’approbation du gouvernement actuel. Ce que les concernés démentent fermement. « Le roi va devoir s'expliquer s'il continue dans cette voie et politise la monarchie, il la met en péril parce que les gens la verront comme quelque chose de partisan et non plus comme une institution » s’inquiète Sammy Wilson, porte-parole des unionistes irlandais du DUP. « C'est une terrible erreur du gouvernement. Nous ne devrions jamais mêler la monarchie à des conflits politiques » explique Chris Bryant, député au Parlement gallois. « Il s'agit d'une très grave erreur de jugement de la part du roi Charles et de ses conseillers. Il a abandonné son rôle de garant de l’unité et est entré dans la mêlée politique, dans ce qui ressemble à une tentative insensée d'être considéré comme un homme d'État. L'histoire ne sera pas clémente. Une tête tombera inévitablement » avertit de son côté Peter Hunt, ancien journaliste de la BBC. De quoi donner des arguments au mouvement républicain qui ne cesse de gagner des points, oscillant désormais entre 20 et 25% d’opinions favorables selon les derniers sondages sur la question.