«Pro Fide, Lege et Rege », les fous de Dieu du monarchisme polonais
«Pro Fide, Lege et Rege », les fous de Dieu du monarchisme polonais
La Pologne se cherche un destin. Certains espèrent faire revivre la flamme monarchique qui subsiste encore dans ce pays de l'Europe de l'Est divisé idéologiquement. Enquête chez les fous de dieu du royalisme polonais.
«En tant que monarchiste, je défends la fin du droit de vote pour tous. Le bâtiment de la Commission européenne devrait être d’ailleurs transformé en maison close (…) ». Député européen de 2014 à 2018, Janusz Korwin-Mikke est un royaliste qui ne cesse de marquer la vie politique polonaise par ses diatribes publiques misogynes, pro-vies ou anti-homosexuelles, anti-migrants. Cet eurosceptique convaincu reflète-t-il véritablement la vision actuelle des monarchistes polonais ?
La monarchie polonaise, une histoire sacrifiée
Chaque site monarchiste polonais affiche un moule identique. Portraits de Jésus, de la Vierge Marie, du pape Jean –Paul II ou orné d'une simple croix cohabitent sans complexe avec la Korona Królestwa Polskiego (Couronne du Royaume de Pologne) qui attend toujours d’être posée sur la tête de son propriétaire. C’est en 1988, à l’heure où le pouvoir communiste du Général Wojciech Jaruzelski commence à se fissurer, que le rideau de fer vacille, que les mouvements monarchistes font leur réapparition sur la scène politique de la Pologne. Obligés d’abandonner la Galicie polonaise, les Russes laissent les austro-allemands s’installer à Varsovie. Des tractations entre Berlin et Vienne vont aboutir à la création d’un nouveau royaume de Pologne en 1915. Doté d’une constitution, d’un drapeau, d’un emblème, les deux puissances monarchiques vont choisir, un amoureux de Chopin, l’archiduc Charles-Étienne de Teschen pour ceindre la couronne des Piast. Vacante depuis 1792, les Russes occupaient depuis tous les postes d’un pays partagé à de nombreuses reprises et ballotté par les affres de l’histoire européenne. Pays sacrifié au nom des intérêts du Congrès de Vienne (1815), la Pologne du conflit mondial est une nouvelle fois la marionnette des empires centraux. La chute du Kaiser Guillaume II, trois ans plus tard, mettra un point final à cette royauté qui avait reçu peu de soutiens de la noblesse locale.
Un monarchisme bien vivant durant l-Entre-deux-guerres
Ce n’est pas pour autant que les monarchistes vont disparaître de la vie politique polonaise bien agitée, une république menacée par les appétits revanchards de l’Union Soviétique en devenir, les ambitions du commandant en chef des forces armées polonaises, le Général Józef Pilsudski ou encore celles des Habsbourg-Teschen, qui entre Varsovie et Kiev tentent encore de sauver leur couronne ou en obtenir une autre tout aussi prestigieuse. Le mouvement monarchiste se réforme rapidement notamment sous les couleurs du Parti Conservateur monarchiste Polonais qui adopte en septembre 1925 le principe de retour de la monarchie comme credo politique. L’Organisation de la jeunesse monarchiste, le groupe le plus actif, édite un magazine « Pro patria » et tente de coaliser autour de l’idée monarchique les autres partis politiques (comme le parti chrétien-national) et autres formations royalistes (comme celle du prince Lubomirski). Le 20 février 1926, une fusion est opérée, l’Union des monarchistes polonais est née. Les résultats ne seront pas au rendez-vous lors des élections législatives de mars 1928, à peine 53609 voix. Les dissensions éclatent, on tentera de nouveau l’expérience en 1937 avec l’Association monarchiste dont le caractère politique se vdeut messianique. Sans plus de succès alors que la Seconde Guerre mondiale se profile, la Pologne bientôt occupée par les nazis puis les soviétiques.
Un royalisme qui rime avec ultra-conservatisme
Tout comme hier, leurs héritiers sont très divisés. On loue l’Action française mais on se situe dans la frange la plus ultra-catholique de la Légitimité. Une contradiction qui ne gêne pas ces mouvements monarchistes qui flirtent allègrement avec le national–catholicisme, s’opposant à la « démocratie libérale (…) dépendante des intérêts et influences étrangères ». Ici, le terreau électoral est celui des campagnes. Mais alors qui sont-ils en réalité ? Le leader du Polski Ruch Monarchistyczny (un millier d’adhérents affichés), Leszek Wierzchowski, a bien tenté de se présenter à l’élection présidentielle de 1995 mais en vain. L’homme est controversé mais estime que seule une monarchie constitutionnelle peut ramener les polonais dans le droit, l’honneur afin de sauvegarder la patrie. Un élu entre 1997 et 2001 au parlement avant que celui-ci ne choisisse un autre parti et soit poursuivi pour des détournements de fonds, le PRM ne brille pas électoralement même si depuis 2013, ce groupe a noué des alliances avec ses alter-égos hongrois et croates. L’Organizacja Monarchistów Polskich (Organisation monarchiste polonaise) est certainement le mouvement le plus actif de Pologne. Se définissant comme contre-révolutionnaire et anti-socialiste, il entend restaurer une monarchie où le catholicisme sera une religion d’état avec comme logo, «Pro Fide, Lege et Rege » (Pour la foi, la loi et le roi). Parmi ses partisans, beaucoup ont adhéré au sédévacantisme ou sont membres de la Fraternité Saint-Pie X. Ici on rejette Vatican II et toute modernité sociale qui mettrait à mal le sens de la famille. « Nous ne sommes les défenseurs d'aucune monarchie, mais uniquement de la loi divine, c’est-à-dire d’une monarchie catholique, hiérarchisée, décentralisée, anti-parlementaire et antidémocratique » affirme son fondateur Adrian Nikiel, proche de l’ancien député Janusz Korwin-Mikke et qui dénonce une rébellion crypto-satanique organisée pour détourner les polonais du regard de Dieu. D’ailleurs, le mouvement monarchiste a compté un autre de ses membres au parlement européen, le député Robert Iwaszkiewicz (2014-2019) qui défend les thèses conservatrices nationales du monarchisme polonais, une sorte de croisement entre les programmes mis en place par le général Franco, le Général Pinochet ou la Première ministre britannique Margaret Thatcher. Rejet de l’euthanasie, réduction du nombre des divorces et des avortements, interdiction de l’homosexualité (assimilé à de la lèpre) ou de l’euthanasie, l’OMP a placé son organisation sous la bannière du christ-roi. Et de la maison de Saxe.
Le choix du roi, avantage aux Saxe
La question du prétendant agite les mouvements monarchistes polonais. Monarchie élective, elle a toujours su chercher ses rois parmi les descendants de sa première famille royale, les Piast, qu’ils soient issus de celle-ci naturellement ou par le bais d’un mariage. Les conflits furent nombreux tout au long des siècles passés. La France n'échappe pas à ces querelles de succession sur laquelle elle jette un peil. Henri III, le fils de Catherine de Médicis, désigné pour ceindre la couronne de la République des deux-nations exécra autant ce pays que les magnats polonais ne supportèrent guère ces français « aux allures efféminées » (1573-1575). Le roi Louis XIV placera en 1697 son cousin François-Louis de Bourbon–Conti sur le trône polonais qu’il ne tint que sept mois avant d’en être chassé par Auguste II de Saxe. Le monarque français retente l’expérience entre 1740 et 1750 avec le prince Louis-François de Conti, sans plus de succès en dépit de son mariage avec Marie Leszczynska, fille du roi Satnislas Ier (détrôné en 1736). Stanislas II Ponatiowski pour la Grande Catherine II, un autre Saxe (Frederic-Auguste Ier) pour Napoléon, les trônes passent, les dépeçages du pays aussi. Aujourd'hui 13% des monarchistes soutiendraient la candidature d’un membre de la maison royale de Saxe si la restauration de la monarchie devait avoir lieu, loin derrière divers noms des grands familles aristocratiques (qui retiennent pour leur majorité l’attention des royalistes comme les Zamoyski, les Cartoryski ou les Radziwill), les Bourbons (ici le duc d’Anjou Louis de Bourbon) n’ayant à peine que 2% de soutiens recensés.
Les monarchistes polonais sont eurosceptiques et trumpistes
L’Europe ? On la vomit littéralement à l’OMP. Les monarchistes se mêlent sans complexe aux nombreuses manifestations des partis fascisants polonais (comme en novembre dernier où 60 000 membres de l'extrême-droite polonaise ont déferlé sur la capitale, certaines photos montrant des personnes portant des drapeaux monarchistes aux côtés de la Narodowe Odrodzenie Polski). Pour Adrian Nikiel, Bruxelles empêcherait ni plus ni moins la résurgence d’une monarchie catholique qui pourrait remettre en cause ses institutions. Pour l’ancien député monarchiste Krzysztof Bosak (2005-2007), interrogé par la presse en juillet 2017, la seule référence qui s’impose comme figure de proue dans la défense du monde chrétien est le Président américain Donald Trump. Il ne s’en cache pas : « les monarchistes polonais luttent pour l’établissement d’une Europe chrétienne». Réfutant le terme d’extrême-droite qui ponctue les titres des médias nationaux ou internationaux lorsqu'ils évoquent les monarchistes, pour Krzysztof Bosak, la crise économique et la crise des migrants sont les symptômes d’une dégradation des valeurs chrétiennes de l’Europe.
La Pologne ne semble pas être encore séduite par la perspective d’un retour à la monarchie bien qu’en août 2018, un sondage affirmait que les polonais n’étaient pas satisfaits de l’actuelle république, 23% exigeant même un pouvoir plus fort. Il faudrait pour cela que les 2/3 des membres du parlement se réunissent et votent une modification de la constitution pour qu’un tel changement s’opère. Quand même bien les voies du seigneur sont impénétrables, avec à peine 30 élus (revendiqué ou sympathisant de la cause monarchiste, répartis au sein de différents partis comme celui du parti Droit et Justice) sur 460, ces «fous de Dieu» comme les qualifiait le journaliste Przemyslaw Witkowski dans un article, ont peu de chances de voir leur rêve se réaliser, celui d'un Saxe monter sur le trône de Pologne.