Une mort étrange

L'annonce de la mort du duc d'AnjouL’étrange mort du prince Alphonse de Bourbon, prétendant à la couronne de France. «Le prince appartenait à la fédération internationale de Ski, il était sur place à l’occasion des championnats du monde, un câble a interrompu sa dernière descente… ». C’est ainsi que Guillaume Durand, alors présentateur du journal de télévision de la Cinq, annonce le 30 janvier 1989, le décès du prince Alphonse de Bourbon, chef de la maison de Bourbon et prétendant à la couronne de France. 29 Ans plus tard, le mystère demeure. Mort accidentelle ou assassinat d’un prince qui « aurait fait un bon roi » selon le Baron Hervé Pinoteau ?

Charles X, Louis XIX, Henri V… le long wagon de la Légitimité exilée à Nova Goriça s’est arrêté un matin de 1883 en terre austro-hongroise, plus tard république de Slovénie. Princesse endormie durant presque toute une moitié de siècle, le néo-légitimisme sort finalement de sa longue léthargie grâce à l’action du prince Jacques-Henri de Bourbon. Ce dernier est le fils aîné (1) du roi Alphonse XIII, qui a été brutalement écarté de la succession au trône d’Espagne en juin 1933, en raison d’une surdité dont il était atteint et qui épouvantait son père. Dès sa naissance le 20 avril 1936, le prince Alphonse semble déjà marquer par les épreuves d’une vie qui en sera courte malgré lui.

Né à Rome, la guerre civile amorce ses prémices en Espagne. Nationalistes dirigés par le Généralissime Franco contre républicains, le pays se couvre d’un fleuve de sang. Et dans ce champ de ruines, sous les ors du Palais de Prado, les différents clans monarchistes tentent déjà de séduire le futur vainqueur de ce conflit afin qu’il choisisse un des candidats en présence pour le futur trône à venir. Une restauration de la monarchie qui bien mal à cette époque, pouvait réellement en dessiner les contours. On y trouve un Bourbon –Parme, un Habsbourg-Loraine, un Habsbourg-Toscane, et deux princes Bourbons issus du rameau régnant. Parmi lesquels, la figure du prince Alphonse fut un temps envisagée par Franco qui se fit fort de le marier en mars 1972 à sa petite-fille, Carmen. En guise de compensation d’une couronne auquel il pouvait prétendre de droit tant la renonciation de son père était sujette à caution.

A la fois à l’extérieur et l’intérieur de la famille royale d’Espagne, Alphonse grandit à l’ombre d’un couple qui se déchire et dont le mariage ne fut que de convenance et d’argent. Mari volage, futur Henri VI pour les légitimistes qu’il avait honoré de son 4ème prénom pour nom de règne, Don Jaime avait tout de l’hidalgo ténébreux dont le regard ne laissait guère indifférent les femmes qu’il courtisait. Emmanuelle de Dampierre, femme délaissée ne lui en donna pas moins de 2 enfants avant de quitter le domicile conjugal en 1947, lassée de ses infidélités et des humiliations permanentes dont elle faisait l’objet. Il est vrai que le prince avait manqué de tact en écrivant le 23 juillet 1945, à « sa majesté Don Juan III », qu’il regrettait cette mésalliance et que ses enfants avaient de facto perdu leur droits au trône d’Espagnol.

Le prince Alphonse de BourbonA 12 ans, Alphonse est dans l’adolescence. Il déclare à qui veut l’entendre qu’il est Espagnol et Français. Tout dépend de son public et des opinions politiques de celui-ci tant l’anti-franquisme primaire semblait à la mode dans ce pensionnat suisse dans lequel on l’avait installé pour ses études. Sa langue de prédilection, le français. Il apprendra l’espagnol sur le tard. Conflit avec son père, il soutenait sa mère réfugiée dans d’autres bras que la Légitimité feindra de ne pas voir. Mais qui explique aussi pourquoi le prince parla toute sa vie un excellent français sans une once d’accent.

Le ski, le prince en est féru et en deviendra un jour le président du comité olympique de la fédération espagnole. Il aime à s’échapper pour surfer sur cette poudreuse blanche. Blanche comme la couleur officielle du mouvement légitimiste renaissant dont il sera le porte-drapeau efficace dès le décès de son père, quelques mois avant celui de Franco en novembre 1975. Les mondanités, il doit bien répondre à ses obligations mais de son aveu-même, il préfère fuir « ces milieux de courtisans qui ne vivaient et se nourrissaient que d’intrigues et de cabales » et dont les objectifs étaient « loin de cette grande cause, cette grande idée » qu’était la monarchie. 10 ans après la proclamation de son père comme duc d’Anjou et la reprise des prétentions au trône de France (1946), les mauvaises langues diront sous l’influence de son épouse et de l’écrivain Georges Cattaui, le prince avait été officiellement introduit aux partisans de son père. Tout de frac vêtu, le 8 mai 1956, il avait assisté à la présentation du nouveau reliquaire de Saint-Louis, dans la basilique de Saint-Denis, aux côtés de ses cousins de Parme, de Busset, de Bragance ou de Saxe-Cobourg-Gotha. La république française s’était faite représenter par quelques ministres en remplacement à la dernière minute du Président René Coty, retenu en voyage diplomatique en Yougoslavie. Seuls manquaient à l’appel les Orléans qui avait préféré décliner l’invitation aux seuls motifs qu’ils n’avaient pas obtenus cette prédominance d’aînesse qu’ils revendiquaient depuis la mort du comte de Chambord. La légitimité avait désormais de nouveau ses princes et Alphonse était de cette jeune génération qui allait l’incarner fortement face à un orléanisme vieillissant. On rêvait de restauration de monarchie d’autant que, durant toute la période gaullienne, les espoirs furent allègrement permis ! Oubliant au passage de voir que si le Vatican oscillait en faveur du prince Jacques-Henri, le héros de la Libération n’avait d’yeux-lui- que pour Henri d’Orléans. Et tout au long de son «règne de jure », le duc d’Anjou et de Cadix s’ingénia à promouvoir l’idée d’une restauration de la monarchie devant un comte de Paris, plus d’une fois agacé par les prétentions de «Don Alfonso de Borbón y Dampierre », s’en plaignant ouvertement au roi d’Espagne.

Louis-Alphonse de Bourbon en 1989La neige de la station de Ski de Beaver Creek (Colorado) était teintée de rouge, les larmes de ce lys de France avaient gelé son visage. La France, l’Espagne, le Gotha européen avait perdu un de leurs princes, descendant direct de Louis XIV. A peine son éloge funèbre prononcé dans la basilique de Saint-Denis sous le regard embué d’un jeune Louis de Bourbon, 14 ans, que le destin venait déjà de marquer pour la seconde fois au fer rouge-il avait perdu son frère aîné François en 1984 dans un accident de voiture- que la presse commença à évoquer des soupçons pesant sur les réelles causes de décès du prince Alphonse. Plusieurs médias parlaient ouvertement d’assassinat !

Mais qui en aurait donc voulu à ce prince dont les prétentions semblaient gêner un bon nombre de ses cousins. Juan-Carlos qu’un décret de Franco avait désigné comme souverain d’Espagne et qui, rancunier, décida en 1987 de lui retirer son titre d’Altesse royale ? Le prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme à la tête du carlisme et dont une petite minorité reconnaissait encore Alphonse comme le vrai souverain d’Espagne ? Le comte de Paris, Henri d’Orléans dont la famille avait traîné l’infortuné prince devant les tribunaux ? Charles–Edmond de Bourbon, qui affirmait être le descendant de Louis XVII. ? On se perdait en supputations, questions et autres complots que l’on croyait déceler derrière chaque protagoniste en présence.

Et les éléments du dossier semblaient d’ailleurs corroborer l’hypothèse d’un meurtre en dépit du fait que l’enquête policière avait conclu à un décès accidentel. Comment expliquer alors que le prince Alphonse restât plus de 40 minutes agonisant dans la neige et que l’ambulance mît plus d’une heure à le conduire à l’hôpital… à peine à 16 kilomètres de la station de ski ? Pourquoi les policiers ont-ils pris le temps de prendre plus de 18 photos du prince encore vivant dans cette même neige qui lui servait de linceul naturel depuis 15h56, heure à laquelle sa gorge avait violemment rencontré le filin d’acier et tranché sa carotide ? Où sont passés la Rolex et les 1000 dollars qu’il avait dans son portefeuille lors de cet accident ? Pire, qu’est devenu l’employé, Daniel Conway, chargé de vérifier la piste et qui n’aurait pas vu ce câble de 4 m d’épaisseur et d’une hauteur de 1.75 mètres étrangement tendu sur le parcours du prince ? En effet, l’employé concerné avait subitement disparu de l’hôtel peu après l’accident et n’a jamais été retrouvé par la suite. D’ailleurs, la police ajourna les recherches de ce suspect moins de 24 heures avant le décès officiel du prétendant légitimiste au trône de France (prononcé par le coroner peu après 17 heures). Et que dire encore du rapport du sheriff de Beaver Creek qui parla ouvertement d’homicide dans son rapport, daté de 30 jours après la mort du prince !?

Un meurtre ? C’est aussi ce qu’affirma lors d’une interview au magazine Holà, le 23 février 1989, la skieuse Blanca Fernández Ochoa qui s’étonnait que cela soit un accident fortuit (“Lo que le ha ocurrido a don Alfonso es algo muy extraño, una posibilidad entre mil”). Une hypothèse balayée cependant par le gouverneur du Colorado, Roy Romer, qui dans son speech à la presse avait affirmé que le prince avait tenté (en vain) d’éviter le câble qu’il avait certainement aperçu puisque celui-ci était marqué par des chiffons de couleur.

Louis-Alphonse de Bourbon se souvientEt le corps du prince Alphonse de Bourbon d’être ramené en Espagne où lors de ses funérailles officielles, on avait recouvert son cercueil du double blason des armes hispaniques et françaises. Tout un symbole mais qui marque encore aujourd’hui cette ambiguïté qui continue de régner chez la branche aînée des Bourbons Ici tout le Gotha s’était réuni pour lui rendre un ultime hommage ; la république française n’avait même pas daigné faire déplacer son ambassadeur pas plus qu’elle ne souhaitait parler des soupçons qui pesaient sur cette accident. Emmanuelle de Dampierre (avertie en pleine nuit suite au décalage horaire par le prince de Bauffremont, son représentant en France), dans ses mémoires, salua le travail des experts américains qui enquêtèrent et de quelques lignes à l’encre noire déclara, qu’elle pensait « avec sincérité » que le décès de son fils était « un accident tragique ». Et que peut-être que le prince n’avait pas assez écouté les recommandations de son ami, l’ancien champion Tony Sailer, qui l’avait averti qu’il y avait des travaux sur la piste qu’il allait emprunter. En effet, seul sur cette piste encore non ouverte aux skieurs, le jury du championnat l’avait invité à l’essayer à la veille des jeux. Et la guillotine d’acier de faire son œuvre.

Oubliant de mentionner que la famille du duc de Cadix et d’Anjou avait reçu comme dédommagement de la part de la station de Ski, un montant se chiffrant en millions de pesetas (soit 600 000 euros actuels), la duchesse de Ségovie avait pourtant largement accrédité la thèse du meurtre au début de l’enquête lors d’une interview accordée au journal « Consuelo Font ». Tout à sa tristesse et son deuil, la duchesse de Ségovie n’avait-elle pas parlé d’un complot organisé par la franc-maçonnerie* [« Emanuela Dampierre, afirmó en cierta ocasión a la periodista Consuelo Font que un “masón”, enemigo de la causa legitimista que representaba su hijo Alfonso, pudo haberle asesinado. » (extrait en espagnol)]. En 1991, n’avait-elle pas explicitement affirmé au magazine Holà que des menaces pesaient sérieusement sur son fils, émettant l’hypothèse d’un autre complot organisé au sein même de la maison royale d’Espagne… « La loi de la ruche » ?

Mais chez les Légitimistes, il importe peu les dernières déclarations d’Emmanuelle de Dampierre car de l’avis général, il ne fait nul doute que le prétendant a été assassiné. D’ailleurs meilleures preuves que le livre du journaliste José María Zavala Chicharro , qui dans sa biographie consacrée au prince Alphonse de Bourbon, « El Borbón non grato »**, évoque avec détails tous les éléments relatifs à ce qui est pour lui un assassinat totalement planifié.

Quant au prince Louis de Bourbon, il s’est toujours abstenu de commenter sur ce qui reste comme une plaie béante pour lui. Et c’est d’ailleurs tout sobrement qu’il a posté en janvier dernier, sur ses comptes Instagram et Twitter une photo de lui enfant, posant un regard tendre et admiratif sur son père à l'occasion du 29ème anniversaire de son décès. Une photo accompagnée d'un message émouvant : « Comment je souhaiterais partager avec vous cette belle famille que j'ai formé et combien de choses j'aimerais encore vous dire. Mes enfants vous connaissent grâce aux histoires que je leur raconte sur vous. Je sais que depuis le ciel, vous prenez soin de moi (...) Je ne vous oublierai jamais ». Parmi les Légitimistes, le souvenir demeure.

Aujourd’hui encore, le mystère demeure sur les vraies raisons de la mort du prince Alphonse !

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 23/02/2018

* : Il était le deuxième fils d’Alphonse XIII, l’aîné était Alfonso (1907-1938), hémophile, qui avait lui aussi renoncé à ses droits sous l’influence de son père…

** : https://www.youtube.com/watch?v=vQtDj-Pxlzg : José María Zavala Chicharro s'exprime sur la mort du duc de Cadix

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