Les princes de France engagés dans la guerre de Sécession

C'est un conflit lointain qui passionne et divise encore de nos jours. Portée à diverses repises sur grand écran, la guerre de Sécession a opposé le gouvernement de l'Union (Nord) à celui de la Confédération (Sud). Entre 1861 et 1865, emportés par leurs convictions idéologques personnelles, des Français, princes, aristocrates, simples anonymes se sont engagés dans les deux camps. En filigrane de cet affrontement fratricide, la volonté de Napoléon III de  jouer les médiateurs et renforcer l'influence de son Empire en Amérique. 

« Enfin on va voir la bagarre de près ». Le 13 avril 1861, le quotidien « Charleston Mercury  » annonce la chute de Fort Sumter en Caroline du Sud, aux États-Unis. C’est l’acte déclencheur d’un conflit qui va durer quatre ans et qui va opposer violemment le Nord industriel et protectionniste (l’Union) au Sud esclavagiste et agricole (la Confédération). Paris prend la décision de rester neutre tout en soutenant discrètement Dixieland, fracturant politiquement la famille Napoléon, afi n de protéger ses intérês au Mexique. Dans les salons feutrés de la capitale du Second empire, le sujet divise autant qu’il passionne la bourgeoisie que l’aristocratie dont certains grands noms vont s’engager d’un côté comme de l’autre. Pris par l’ennui d’un exil qui s’éternise, les princes de la Maison d’Orléans décident de s’engager aux côtés des anti-esclavagistes, bientôt rejoints par des kyrielles de volontaires français bercés par les récits romantiques de la guerre d’indépendance et le mythe de La Fayette.

Napoléon III @wikicommons

Les prétendants au trône de France s'écharpent, le Second Empire tente de jouer les médiateurs 

La nouvelle du déclenchement de la guerre de sécession aux Etats-Unis, entre le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste est accueillie avec inquiétudes par l’Empereur Napoléon III. Le blocus des ports sudistes par Washington va provoquer une explosion des prix du coton brut et va durement affecter les régions phares de l’industrie textile comme l’Alsace, le Nord-Pas-de-Calais et la Normandie. Si officiellement, Napoléon III affiche une certaine neutralité dans ce conflit, loin d’être d’ailleurs un partisan acharné de l’esclavagisme, il déclare à ses proches « que le sort des nègres de Caroline ne (lui) feront pas oublier les ouvriers de Lyon à Roubaix ».  Il propose de mener une médiation entre les deux protagonistes du conflit, de ce que l’Histoire va appeler la « guerre de Sécession », mais que s'empresse de refuser sèchement le président Abraham Lincoln qui n’est pas dupe. Il  a compris que sous couvert de paix, le neveu de Napoléon Ier entend sécuriser un autre projet qui lui tient à cœur, celui de la création d’un vaste empire catholique en Amérique centrale. Sur les bureaux du dirigeant américain, des rapports qui détaillent les rencontres du comte de Walewski ou  d'Eugène Rouher  avec le représentant de la Confédération à Paris, John Slidell.  Non sans agacer « Plon-Plon », Jérôme Napoléon, le cousin de l’empereur, partisan de l’émancipation qui fait face à un prince Murat «  qui raille ce modèle de démocratie, cet échec ». À Paris, on s’arrache déjà les journaux qui relatent les premières batailles remportées par le Sud. Dans les salons particuliers, partisans du comte de Chambord (Légitimistes) et ceux du comte de Paris (Orléanistes)  discutent de cette situation inédite qui passionne la France entière. Le souvenir de la Guerre d’Indépendance (1776) et celui du marquis de La Fayette étaient encore présents dans la mémoire des royalistes mais également les massacres des planteurs de Saint-Domingue qui avaient contraint un bon nombre d’entre eux à s’établir en Louisiane française. Dans leur grande majorité, en dépit de quelques voix dissonantes, les Légitimistes affichent un soutien sans faille à ce Sud qui partageait certaines de leurs valeurs.  Non sans dénoncer cet « individualisme totalement rationnel dénué d’ordre moral » qui règne chez ces Anglo-saxons américains. Comment pouvait-il en être autrement ?

Les esclaves au centre du conflit @ Youtube/screenshot/dixie chanson

L'esclavage, une des raisons de cette guerre fratricide

La Restauration avait largement privilégié les planteurs des Antilles et des Mascareignes notamment sous la présidence du comte Joseph de Villèle. Propriétaire d’une des plus grosses plantations de l’île Bourbon (actuelle île de la Réunion), cet ultraroyaliste n’ajamais caché qu’il était favorable au maintien de l’esclavage dans les colonies d’outre-mer. D’ailleurs en 1825, toujours soucieux de préserver les droits de l’aristocratie sucrière, il avait rédigé secrètement un texte qui allait déterminer toute la future législation coloniale française jusqu’à l’abolition de l’esclavage. Le conflit dynastique qui divise profondément les monarchistes va s’inviter dans cette guerre. Petit-fils du roi Louis-Philippe Ier, Philippe  (23 ans, comte de Paris)  et Robert (21 ans, duc de Chartres) d’Orléans s’ennuient dans leur exil britannique. Ils rêvent d’aventures et l’Amérique du Nord leur tend les bras. Un pays qu’ils ont visité peu de temps avant le début des hostilités. Le 12 septembre 1861, ils débarquent dans la baie de New-York accompagnés par  leur oncle, le prince de Joinville dont le fils fait carrière dans la marine américaine. Cette escapade n’est pourtant pas du goût des orléanistes qui s’effrayent de cet engagement dans une armée républicaine.  Même le roi Léopold de Belgique, la reine Victoria ou encore la reine Marie-Amélie de Bourbon–Sicile, veuve du dernier roi des Français, marquent une désapprobation commune vis-à-vis de cette expédition. Mais pour Philippe et Robert, outre la passion des armes, c’est aussi s’inscrire dans une logique familiale. En juillet 1846, Louis-Philippe d’Orléans s’était attiré les foudres des planteurs de la Martinique et de la Guadeloupe en abolissant l’esclavage sur les domaines royaux. Il s'apprêtait même à abolir complètement cette pratique avant d'être renversé par une révolution en 1848.

Le comte de Paris et le duc de Chartres @ wIkicommons

Des princes de France au service des Nordistes

Pour l’Etat-major yankee, l’arrivée des deux héritiers au trône est plus un embrassement qu’une joie. Pas question de les mettre au front. Promus au grade de Capitaine, on les affecte auprès du général George MacClellan, commandant en chef de l’armée du Potomac et Joinville obtient un poste d’observateur civil. Les Orléans se passionnent pour cette guerre, participent vaillamment à quelques combats au cours de l’année 1862 avant d’être rattrapés par la realpolitik. Napoléon III vient de lancer son aventure mexicaine qui va  bientôt placer un Habsbourg sur un trône fragile et éphémère. Mexico se retrouve subitement au centre de cette guerre où le Sud et le Nord placent chacun leurs pions. Richmond, la capitale de la Confédération, soutient l’empereur Maximilien Ier, Washington les troupes rebelles du président Bénito Juarez qui sera le vainqueur de cette joute au destin tragique pour le frère de François-Joseph Ier d’Autriche. La position des princes de France devient délicate. Dans l'Hexagone, les journaux républicains tirent à boulets à rouge sur les Orléans, les suspectant d’organiser leur retour auréolé de leurs faits d’armes où ils se sont distingués. « Il est né dans un palais, a grandi dans le luxe et le confort et pourtant vous le verrez cavaler comme un dragon, de jour comme de nuit, indifférent aux privations et aux dangers » écrit à propos du duc de Chartres, le correspondant de « The Irish American ». Reçus par Abraham Lincoln, ils quittent les Etats-Unis en juillet 1862 pour retrouver un exil et leurs prétentions au trône de France. La plume fera le reste et on doit au comte de Paris, une volumineuse histoire de la guerre de Sécession, « le meilleur et le plus intéressant souvenir de ma jeunesse », décrivant dans chaque ligne, « ce patriotisme dont la ferveur faisait honneur à l’Union américaine ». Parallèlement à l’arrivée des Orléans aux Etats-Unis, c’est un autre prince qui pose le pied dans ce pays où Napoléon Ier, aigle aux ailes brisées,  avait rêvé de s’exiler. Il existait bien une branche américaine de la maison impériale, dont un des membres sera le fondateur du FBI, mais le prince Jérôme Napoléon est bien décidé à se faire un avis personnel dans cette Amérique où il peut se déclarer librement républicain. Invité partout, on se presse pour lui serrer la main. Il visite le champ de bataille de Bull Run accueillit même au son de la Marseillaise, cocardes tricolores arborées dans les rues. Et s'il a peu de considération pour Lincoln, « ce président d’expédients (…) sans élévations ni beaucoup de connaissances, un triste spécimen » , il prédit la victoire de l’Union après avoir visité l’état-major du Sud « qui n’a pas d’idées justes ». À Paris, on ne l'écoutera et sous pression d'Eugénie de Montijo, Napoléon III se lancera dans une folle aventure. 

Les Français se divisent et s'engagent dans les deux camps

Partis, les princes d’Orléans laissent derrière eux d’autres français venus tâter de la mitraille. Autre prétendant au trône,  le comte de Chambord, Henri d’Artois, n'est foncièrement pas pas favorable au maintien de l’esclavage mais ses pensées et analyses de l’époque trahissaient pourtant un attachement à la future politique de colonisation et sa mission évangélique de la France. Parmi les grands noms de l’aristocratie française qui rejoignent les Confédérés, on trouve le prince Camille-Armand de Polignac (29 ans) affecté au commandement du général Pierre Gustave Toutant de Beauregard (1820-1893), un créole de la Nouvelle-Orléans et un des huit généraux supérieurs de l’armée confédérée. A leurs côtés,  des régiments de « french-born » américains. Ils parlaient anglais et français avec un accent d'autrefois.  Le sang de cette Louisiane vendue en 1803 par Napoléon Ier coulait encore dans leurs veines. Sur ces 54 000 créoles français, on estime aujourd’hui que 26 000 d’entre eux s’engagèrent dans le conflit. Avec 70 % sous l’uniforme confédéré, 30 % sous celui des Nordistes (comme les « Gardes de La Fayette » du colonel Philippe Régis Denis de Keredern de Trobriand, ce « mouvement vigoureusement offensif »  comme l'écrira le comte de Paris, ou les « Zouaves » du colonel Lionel d‘Epineuil), parfois avec convictions, parfois contraints de s’engager dans l’État où ils résidaient. Peu de temps après la découverte d’une cache d’armes en faveur de la confédération chez le consul français en 1862 et d’un complot de français visant à faire du Texas, une monarchie tampon,  Napoléon III fit alors promulguer un décret impérial qui précisait que « tout français qui, sans autorisation impériale de l’Empereur, prendrait du service chez l’étranger […] perdrait sa qualité de Français ». Le décret fut peu suivi puisqu’au moment de sa promulgation, 3 000 de ces « french-born » de la Nouvelle-Orléans s'étaient déjà engagés aux côtés du Sud et  formaient  la French Brigade sudiste, habillés d’un pantalon rouge garance, capote fris de fer bleuté orné d’un képi mou rouge et bleu. Citons encore les Tigres de Louisiane qui vont s’illustrer par leur sauvagerie. Pour justifier leur engagement, ces français expliquaient volontiers  aux journalistes « que l’on ne doit jamais oublier que la devise de la France est « Honneur et Patrie »  (…) et qu'il se devaient de faire réaliser la noble politique (impériale) dont le but est de défendre la cause des nationalités et le droit à chaque peuple de se gouverner comme il l’entend ».

Le prince de Polignac (gauche) et le comte de Paris (droite ) @wikicommons

Camille de Polignac, le « La Fayette du Sud »

Officier de la Confédération, portant fièrement le Stars and Bars (« Étoiles et barres ») de la Sécession, Camille de Polignac participa à la bataille de Shiloh et au siège de Corinth dont il sortit avec le grade de brigadier-général. On lui confia rapidement le commandement d’une autre brigade d’infanterie venue du Texas avec laquelle il s’illustra avec son régiment (surnommé affectueusement le « Prince Polecat », ses soldats n’arrivaient pas à prononcer son nom de famille. A moins que cela ne soit à cause de son affreux caractère de « putois » ? ), à la bataille de Mansfield le 8 avril 1864, aux côtés du général Robert E. Lee. Surnommé le « La Fayette du Sud », Camille de Polignac fut nommé major-général le 14 juin suivant. La Confédération était aux abois. Elle n’avait plus que quelques mois à vivre. Le Président sudiste Jefferson Davis chargea ce monarchiste légitimiste d’une mission vers la France afin qu’il plaide, auprès de Napoléon III, leur cause. Mais lorsqu’il débarque finalement à Paris en mars 1865, il est déjà trop tard.  Echaudé par le conflit naval qui avait éclaté un an auparavant dans la rade de Cherbourg entre deux les marines ennemies du Nord et du Sud Napoléon III n’avait pas l’intention d’aider Richmond, craignant  pour la survie de son empire mexicain qui n’avait plus que deux ans à vivre. La guerre de sécession avait fait de part et d’autre 620 000 morts. Lors du discours qu’il prononça en octobre 1890 à l’occasion d’un banquet organisé en son honneur par les anciens officiers de l’armée du Potomac, le comte de Paris demanda aux participants de  « payer un tribut d’hommages et de regrets aux soldats et aux officier de l’arme fédérale ou de l’armée confédérée qui avaient trouvé la mort sur les champs de batailles » et de se féliciter de « cette réconciliation glorieuses (...) les survivants de cette guerre (réunis) au sein d’une patrie reconstituée ».

Preuve que le mythe perdure encore dans le subconscient français ( qui ne s’est jamais remis de la perte du Québec ou de la Louisiane ), la destruction de la statue de Louis XVI par des militants anti-racialistes du Black Lives Matter au plus fort des émeutes (2020)  jettera une certaine consternation parmi les Français. L'émoi  sera si palpable qu'il fera sortir de leur réserve les deux prétendants actuels au trône de France, le prince Jean d'Orléans et le prince Louis de Bourbon. L'histoire continue. 

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Date de dernière mise à jour : 15/06/2023

Commentaires

  • Robert Jourdain
    • 1. Robert Jourdain Le 13/01/2021
    Merci pour l'histoire de la guerre de secession. C'est fort intéressant pour un moi qui n'en connaissait si peu.
    J ai trouvé une coquille. Vers la fin de cet exellent documentaire : ....pour ceux qui ont trouver la mort. Corriger par trouvé.
    M
    • frederic-de-natal
      • frederic-de-natalLe 13/01/2021
      Merci pour votre soutien et en effet, je vais vite rectifier. FdN

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