C’est une société secrète qui alimente tous les fantasmes. Importée d’Ecosse après la chute de la Maison Stuart au XVIIème siècle, elle se développe rapidement en France notamment parmi l’aristocratie fascinée par son idéal ésotérique, sa symbolique et ses rituels initiatiques. On prête aux différentes loges un important pouvoir d’influence dans les officines gouvernementales et tous les maux de la terre. Selon une idée reçue et pour les diverses mouvances royalistes, ils sont les principaux acteurs qui ont précipité la France dans une révolution destructrice en 1789. Et si on a aujourd’hui oublié que la Franc-maçonnerie fut longtemps fidèle au trône et à l’autel, certains Bourbons des deux côtés des Pyrénées en furent des éminents membres. Y compris parmi les prétendants au trône de France des deux branches rivales.
C’est en 1743 que la Franc-maçonnerie se dote d’un prince de sang comme Grand-maître. Louis de Bourbon-Condé est un militaire accompli à qui l’on doit l’Académie du Petit-Luxembourg qui réunissait les plus grands savants, artistes et architectes de son époque. Le comte de Clermont est le premier Bourbon à occuper ce prestigieux poste qui est loin d’être une sinécure pour cet épicurien amateur des plaisirs charnels. L’anarchie règne au sein de la Grande Loge de France qui doit faire face à « des esprits vulgaires et vénaux ». Il rétablit l’ordre et met fin aux dissidences, sous le regard de Louis XIV qui ne fait rien pour interdire leurs activités laissant ses sentiments amicaux envers les Stuarts et la diaspora jacobite parler avant celle de la raison d’état. C’est véritablement vers la fin du XVIIIème siècle que le Franc-maçonnerie prend son réel essor et va attirer les grands nombres de l’arbre capétien. Lorsque Louis de Bourbon-Condé décède en 1771, il laisse un vide rapidement comblé. Les membres de la Loge se réunissent et élisent à sa tête Louis-Philippe d’Orléans. Cousin de Louis XVI, c’est un admirateur de Montesquieu, un prince du siècle des lumières et une nomination dont les motivations à accepter cette charge divisent encore la mouvance royaliste et les historiens. Une autre question demeure également l’objet d’intenses polémiques. Les rois Louis XVI, Louis XVIII et Charles X furent-ils aussi des membres de la Loge ?
L’ambition du duc d’Orléans à vouloir le trône de son cousin a-t-il le principal moteur de son entrée dans la Loge ? On doit cette théorie fumeuse à un légitimiste, Pierre Sébastien Laurentie? qui édite une « Histoire des Orléans » très controversée (sujet à caution tant sa haine de cette branche cadette n'avait pas de limites) et qui sera un proche du Comte de Chambord, Henri d’Artois. Rien pourtant ne semble corroborer l’idée d'un tel complot au sein de la Franc-maçonnerie qui compte des chrétiens accomplis et qui prend le nom de Grand Orient de France (GOF). Il semble que le duc d’Orléans n’ait guère fait quoi que ce soit, se contentant juste d’apporter son nom et sa fortune tout en se faisant l’avocat de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Deux écoles s’affrontent sur le sujet de l’appartenance des trois frères Bourbons à la Loge. En 1895, un article sous le nom de « Bourbons Franc-maçons » paraît dans la Revue Bleue. Il affirmait sans ambages que les derniers rois de France avaient été tous membres d’une Loge versaillaise qui fut active jusqu’en 1788 et qui aurait influé Louis XVI dans certaines de ses décisions comme la réforme de l’état civil des protestants. A la veille des Etats-généraux de 1789, les Francs-maçons font bloc derrière le roi avant de se diviser entre pro et antirévolutionnaires. Aux côtés du Charles X, on trouve même des francs-maçons reconnus du nom d’Anne–Charles–Sigismond de Montmorency ou le comte Mercy d’Argenteau qui organisera la fuite du roi en 1792. Si l’adhésion à la Franc-maçonnerie de Louis XVI semble improbable, celles de Louis XVIII et de Charles X semblent plus certaines et qui expliquerait pourquoi les Loges bénéficièrent d’une liberté d’actions sous la Restauration (on y retrouve d’ailleurs des grands noms de la Légitimité comme les frères de Bertier de Sauvigny, futurs fondateurs des Chevaliers de la Foi, ou Pierre –Antoine Berryer). Les témoignages du Grand-maître de la Loge d’Emeth sont assez éloquents sur le sujet mais restent contestés par les tenants du néo-légitimisme actuel qui démentent totalement toute appartenance maçonnique de celui qu’ils considèrent comme un des héros de l’ultra-catholicisme et qui préfèrent rappeler sempiternellement celle duc d’Orléans pour mieux cacher une vérité qui n’est pas conforme avec leur idéologie. Querelle dynastique oblige !
La participation du duc d’Orléans à la révolution française est connue de tous. Philipe Egalité va d’ailleurs renier ses anciens camarades, jugés trop monarchistes au goût des sans-culottes qui les passent sous la guillotine, et renonce à sa charge en mai 1793 dans un courrier où il renonce absolument à tout. « Apostat, régicide, traître envers son propre sang comme envers son pays (…) », le citoyen Egalité ne sauve pas pour autant sa tête qui va bientôt rouler dans le panier et laisser derrière lui le mythe tenace d’une adhésion persistante de tous ses successeurs à la Franc-maçonnerie. De cette légende largement alimentée, seul Henri d’Orléans (1933-2019) traça ses pas dans celles de son ancêtre en ayant adhéré à la Loge nationale française avant de devenir le Grand-maître de la Loge Lys de France dont il se retira définitivement en 2001 (il en resta Vénérable et Grand officier de la Grande Loge de Marque de France). Ni son père, assez tolérant vis-à-vis des Loges de son propre aveu, ni son fils actuel comte de Paris ne furent ou sont des Francs-maçons, Jean d’Orléans ne faisant pas mystère de ses réticences et de son agacement sur la Franc-maçonnerie. L’attachement des Loges à la monarchie va péricliter au fur et à mesure des révolutions et le soutien à la monarchie s’étioler complètement sous la IIIème république. En 1830, sur 8 loges dans la ville de Toulouse, une seule va soutenir Charles X et s’affirmer carliste quand d’autres vont soutenir la monarchie de Juillet. Ironie de l’histoire, un des prétendants au trône (pour la Légitimité) après la mort du comte de Chambord en 1883 fut un franc-maçon notoire. De quoi faire grincer certaines dents, mais comme Jean de Bourbon (1822-1887) réaffirme son attachement au drapeau blanc, on feint de l’ignorer et on en fera un sujet tabou. Son successeur, Charles (1848-1909) se chargera de faire effacer cette tâche en accusant publiquement les loges « d’avoir trahi leur mission de défendre la monarchie » lors de l’adoption sur la laïcité en 1905 et de rappeler les édits du Saint-Siège qui interdit à tout catholique d’être franc-maçon (aujourd’hui largement dévoyés). Depuis le désamour entre royalistes et francs-maçons ne fait que perdurer et celui-ci sera d’ailleurs accentué avec les théories de Charles Maurras qui le cite comme un des 4 états confédérés à combattre, qui voit l’organisation comme étant responsable des maux de la France du début du XXème siècle et lui prête des velléités d’établissement d’un nouvel ordre mondial.
Du côté de l’Espagne, d’où est issue l’actuel branche aînée de la Maison Bourbon, on n’est pas en reste au sein de la famille royale. Les débuts de la franc-maçonnerie dans le Sud de l’Europe sont difficiles, l’inquisition se faisant un malin plaisir à pourchasser ses membres. Le pape Clément XII condamne fermement cette société secrète rejoint par Philippe V, petit-fils de Louis XIV qui interdit leurs activités. Il faut attendre le règne de Charles III (XVIIIème siècle) pour voir des francs-maçons à la cour royale nouant des contacts avec leurs alter-égos français. Pas moins de 400 loges qui prennent leur envol sous le règne du libéral Ferdinand VII qui se méfie d’eux, les accusant de tous les complots. Isabelle II, sa fille, sera plus sensible à leurs idées et met fin aux persécutions dont ils sont l’objet. Un de ses oncles va faire l’objet de fortes rumeurs d’appartenance maçonnique. François-Paule de Bourbon (1794-1865) est resté célèbre dans l’histoire pour avoir été à 14 ans, le prétexte déclencheur du Dos de mayo, cette insurrection contre les troupes napoléoniennes. Son influence sur Ferdinand VII est–elle que le souverain lui demande des explications. Le prince dément toutefois être membre de la Loge Constance mais des documents semblent attester de cette présence comme celle de son fils, Henri, premier duc de Séville qui adhère à la loge Henri IV à Paris, gravissant de manière fulgurante les échelons. Et c’est un Orléans qui mettra fin à la vie de ce rival au sein de la cour d’Espagne. Un duel avec le duc de Montpensier lui sera fatal en 1870, à l’âge de 46 ans. Les journaux de l’époque rapportent que son cercueil fut entouré de Francs-maçons, son corps habillé des symboles maçonniques. Sa fille, Maria del Olvido de Borbón (1863-1907), fut elle-même franc-maçonne et contribua également à alimenter bien des idées sur ces membres de la maison royale d’Espagne proche des Loges. Encore aujourd’hui, les Séville sont suspectés de « manier la truelle et connaître l’acacia », selon la formule consacrée, au même titre que d’autres Bourbons de la branche napolitaine.
La Franc-maçonnerie fascine encore tout un chacun autant qu’elle reste l’objet de toutes les méfiances. Les Bourbons ne furent pas les seuls à s’intéresser à cette « société d’études philosophiques », un réseau d’entraide pour reprendre une expression qui obsède actuellement les corporations estudiantines et qui plonge ses racines dans le Livre des Rois de la Bible. Equerres, compas et règles ont souvent accompagné la vie des princes et monarques d’Europe. La maison des Windsor compte actuellement des Francs-maçons comme le prince Michael et le duc Edouard de Kent qui ont suivi la voie des rois Edouard VII et George VI. Bien qu’elle ne soit pas elle-même franc-maçonne, la duchesse de Cornouailles et épouse de Charles de Galles, soutient des associations caritatives franc-maçonnes. Plus proche de nous, Frederic II de Prusse ou même Guillaume Ier d’Allemagne furent des frères rejoignant quelques Napoléon et Murat qui y adhèrent avec enthousiasme tout comme des princes des Pays-Bas. De quoi faire frémir les plus ultras du monarchisme français et autres monomaniaques de la pureté traditionnaliste, qui ne cessent de dénoncer sur les réseaux sociaux tels ou tels complots organisés par la Franc-maçonnerie.
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