Prétendant au trône de France, le prince Jean d'Orléans, comte de Paris, s'est adressé aux adhérents et sympathisants de l'Action française, un mouvement royaliste qui continue d'être une voix influente dans l'espace politique local.
Le 10 mai 2025, à la veille du traditionnel défilé en hommage à Sainte Jeanne d’Arc, qui a rassemblé des centaines de personnes dans les rues de Paris, l’Action française, mouvement royaliste, a tenu son colloque annuel au cœur de Paris.
Le thème choisi — « Libertés et royauté » — résonne fortement dans un climat politique tendu, marqué par la multiplication des restrictions et une crise de confiance profonde envers les institutions. Dans ce contexte, la lecture d’un message adressé par le prince Jean d’Orléans, comte de Paris, 59 ans, a donné une résonance toute particulière à cette journée militante.
Le comte de Paris avertit des dangers totalitaires que risque la France
Dans ce message solennel, le chef de la Maison royale de France appelle à la lucidité face à ce qu’il qualifie de glissement autoritaire du régime républicain. « À un moment de notre histoire où nos vraies libertés individuelles et collectives sont tous les jours un peu plus restreintes », écrit-il, « il est nécessaire […] de revenir à une vision réaliste, pour éviter de voir notre pays sombrer dans un régime totalitaire dont nous aurions du mal à nous sortir. ».
Cette dénonciation d’un pouvoir jugé confisqué par une oligarchie, plus soucieuse de ses privilèges que du service du bien commun, s’accompagne d’un appel implicite au retour à une forme de légitimité traditionnelle. Le prince Jean d’Orléans rappelle que la monarchie, loin d’être une nostalgie, repose sur un « pacte naturel » entre le pays et sa dynastie historique, capable d’incarner l’unité, la continuité et la justice au service des Français. Il salue aussi le travail de conviction « intelligent et méthodique » mené par les militants royalistes.
Enfin, sans oublier l’héritage capétien qu’il détient légitimement, il rend hommage à la figure de Jeanne d’Arc, dont le défilé du lendemain célèbre le souvenir : « Sainte Jeanne d’Arc doit rester pour tous les Français un modèle de sainteté et de lucidité politique. ». Ce rappel du rôle de la sainte, venue de lorraine, à la fois mystique et stratège, trace indubitablement un pont entre transcendance et engagement civique, entre fidélité chrétienne et responsabilité politique.

Les Orléans et l’Action française, des relations complexes
L’intervention du prince Jean lors d’un événement de l’Action française est loin d’être anodine. Elle marque un réchauffement symbolique entre deux entités que l’histoire a longtemps opposées, voire heurtées. Au tournant du XXe siècle, lorsque l’Action française prend son essor sous l’impulsion de l’académicien Charles Maurras, c’est autour d’une doctrine monarchiste rigide, antiparlementaire, qu’elle s’impose dans l’espace politique. Notamment avec ses Camelots du roi. Son influence va considérablement marquer la IIIe République dont elle va progresivement saper ses fondations.
Les relations entre les Orléans et le mouvement royaliste n’ont pas toujours été au beau fixe. Si le prince Philippe VIII (1869-1926), alors prétendant au trône de France, s’enthousiasme pour l’Action française (AF), laissant même à Charles Maurras la direction politique du mouvement royaliste, il n’en sera pas de même avec ses successeurs. Le duc de Guise, Jean III d’Orléans (1874-1940), maintiendra une distance courtoise avec l’AF tout en suivant de près son évolution. Le mouvement est alors en passe de s’emparer du pouvoir par la force. L’échec du 6 février 1934 va sceller la fin des relations étroites entre le mouvement et ses prétendants. « Elle n’a jamais été ni une émanation ni un organe de la Maison de France », écrit alors son fils, le prince Henri. Le Dauphin reproche alors à Maurras ses hésitations lors de cette journée qui a secoué la République. Trois ans plus tard, c’est la rupture entre l’AF et la Maison royale de France. Henri VI d’Orléans (1908-1999), comte de Paris, accusant Maurras de faire du royalisme sans les prétendants.
Plus tard, sous l’Occupation, les ambiguïtés de certains membres de l’Action française vis-à-vis du régime de Vichy, en dépit de son engagement dans la Résistance, contribuent à ternir l’image du mouvement. Le prétendant au trône préfère s’éloigner définitivement du mouvement et se polir une image de potentiel monarque constitutionnel et gaulliste. Il ne veut plus entendre parler de nationalisme intégral et trouvera un soutien avec la Nouvelle action royaliste (NAR) qui proposer une autre alternative idéologique plus consensuelle du monarchisme dans les années 1970.
Depuis plusieurs années, un certain rapprochement s’est opéré entre l’AF et les Orléans (certains de ses princes ont été dans leurs rangs), notamment par l’entremise de jeunes générations de militants, partisans de la « monarchie de tradition », soucieux de rassembler au-delà des vieilles querelles dynastiques. Le prince Jean lui-même, sans s’engager dans un militantisme direct, multiplie les gestes d’ouverture vers les différentes sensibilités monarchistes, tant qu’elles défendent « l’unité, la liberté et la dignité » de la France.
Tout en reconnaissant l’engagement de l’Action française dans la promotion d’un idéal monarchique ancré dans les libertés réelles, les traditions provinciales et le sens du bien commun, son message s’inscrit indubitablement dans cette volonté de transcender les divisions anciennes.
Quelle place pour l’Action française aujourd’hui dans l'espace politique ?
L’Action française reste une des plus anciennes structures politiques encore actives en France. Le choix de Jeanne d'Arc comme figure tutélaire reflète d'ailleurs un attachement et la défense à la souveraineté nationale. Dans le contexte actuel, où la défiance envers les partis, les élites et les institutions atteint des sommets en France, l’Action française incarne encore cette forme de dissidence enracinée dans l’histoire, face à ce qu’elle considère comme une République désincarnée et technocratique.
Si son audience électorale reste mineure, elle conserve un poids intellectuel certain dans les milieux catholiques traditionalistes, de la droite conservatrice et nationaliste, témoignant d’une fidélité idéologique qui traverse les générations. Elle publie encore un journal (Le Bien Commun), anime des cercles de formation dans plusieurs grandes villes, et organise chaque année le défilé en l’honneur de Jeanne d’Arc, figure centrale de son imaginaire politique (cette année, ils étaient encore 600 à défiler dans les rues de Paris), rassemble ses adhérents autour du prétendant tous les 21 janvier de chaque année afin de commémorer le souvenir de Louis XVI.
Si les Français sont loin d’appeler à la restauration monarchique — les sondages les plus récents laissent entendre qu'à peine 17 % y seraient favorables —, l’idée d’un chef d’État impartial, garant du temps long et de la nation au-dessus des intérêts partisans, connaît un regain d’attention dans certains milieux politiques comme militaires et s’impose progressivement. Dans ce paysage fragmenté, la voix du prince Jean d’Orléans, à travers des messages comme celui adressé au colloque de l’Action française, s’inscrit comme un rappel à la mémoire historique et au sens des responsabilités politiques. Une voix qui continue de faire écho à une certaine idée de la France.
Copyright@Frederic de Natal