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La monarchie espagnole face à l'ordre constitutionnel

Le retour au pouvoir du Premier ministre, Pedro Sanchez, acquis au prix d'une loi d'amnistie en faveur des dirigeants indépendantistes catalans en exil, a suscité l'indignation et jeté des centaines de milliers d'Espagnols dans les rues du pays, plaçant également la monarchie dans une situation délicate. Néanmoins, le roi Felipe VI demeure contraint d'assumer ses responsabilités constitutionnelles, malgré les défis et les nuages qui s'amoncellent au-dessus de l'institution royale.

Samedi 18 novembre 2023, des centaines de milliers de manifestants, arborant fièrement le drapeau espagnol, ont défilé dans les rues de Madrid pour exprimer leur opposition au projet de loi d'amnistie. Ce compromis, conclu en échange du soutien des séparatistes catalans au Parlement, a permis le retour au pouvoir du président du Conseil, Pedro Sanchez. La perspective du vote sur la loi d'amnistie pourrait mettre la monarchie du roi Felipe VI, soutenue par l’opposition de droite conservatrice, dans une position vulnérable, susceptible de déclencher une crise institutionnelle. 

Des centaines de milliers d'Espagnols dans la rue @Twitter

Le roi Felipe VI a-t-il manifesté son mécontentement lors de l’investiture de Pedro Sanchez ?

Le 17 novembre 2023, « la cérémonie d'investiture de Pedro Sanchez au palais de la Zarzuela a été brève, cinq minutes seulement, mais intense » explique la Voz de Galicia. Lorsque le roi Felipe VI est entré dans la salle, il l'a fait avec un visage grave, qu'il n'a pas abandonné pendant toute la cérémonie solennelle. Il n'a changé d'expression à aucun moment, ni lorsque le roi a adressé ses félicitations à Pedro Sanchez ou lui a serré la main. Confus, le Premier ministre a répondu un : « merci, monsieur ». Une cérémonie officielle qui n'a eu rien à voir avec celle de 2020 où le roi avait affiché un large sourire à côté du même Pedro Sanchez. Pour la presse de manière générale qui a analysé la scène, le comportement du roi Felipe VI dénotait un malaise et même de la colère face à la situation actuelle qui prévaut dans le royaume. Le monarque n’a jamais caché son irritation face aux s sécessionnistes catalans, accusant ces derniers de déloyauté envers la couronne et l’Espagne.  

Que dit exactement la Constitution à propos du roi ?

L’article 91 de la Constitution de 1978 ne laisse aucun doute : Le monarque est dans l’obligation de signer les lois que le Parlement approuve et que le Gouvernement endosse sans aucune forme d'exception. En cas de présentation de la loi d'amnistie en faveur des leaders indépendantistes, Felipe VI devra la signer en dépit d’une certaine opposition des Espagnols. « C'est son obligation, son travail et tout comme le reste des organes constitutionnels ont leur fonction prévue dans la Constitution, celle du roi est d’approuver les lois. Le souverain ne peut pas refuser d'exercer ses fonctions, c'est une hypothèse qui n’est pas envisageable. Il doit remplir son rôle constitutionnel comme il l'a toujours fait » explique Isabel Álvarez, professeur de droit constitutionnel à l'Université Pontificia de Comillas, dans El Economista.

 

 

Que se passerait-il si le souverain refusait de signer la loi d'amnistie ?

Le non-respect de son devoir et de sa fonction constitutionnelle par Felipe VI, qui jusqu'à présent l’a toujours respecté scrupuleusement, ouvrirait une crise institutionnelle sans précédent dans un scénario incertain : « La structure constitutionnelle vacillerait », selon Rafael Murillo, professeur de droit constitutionnel à l'Université CEU San Pablo. « Dans ce cas hypothétique et improbable », souligne ce constitutionnaliste, « les Cortès pourraient prononcer sa déchéance et la fonction de régente serait exercée par sa fille, la princesse Leonor.» poursuit-il, tout en rappelant que si abdication il y a, « cela reste un acte personnel et que nul ne peut contraindre le roi à le faire ».  En effet, l'article 59.2 de la Constitution est assez clair sur le sujet « Si le roi devient incapable d’exercer son autorité et que l'impossibilité est reconnue par les Cortes, le prince héritier commencera immédiatement à exercer la Régence, à la condition d’être majeur » rappelle le quotidien COPE. Toutefois, cet article a été pensé comme si le roi était malade et non pas dans une situation contraire à son rôle de garant de l’unité. D’où la complexité de la situation.

 

 

Le roi peut-il être tenu responsable des lois du gouvernement ?

Bien que le roi fasse l’objet de critiques de la part de certains Espagnols, qui pointent sa mollesse face à cette crise, il ne peut être tenu responsable des lois qu’il signe. Juridiquement, c’est plutôt celui qui avalise la loi, dans le cas présent de la loi d'amnistie, à savoir le Président du Gouvernement et les ministres compétents. Sa validation par le souverain, dont le rôle est celui d’arbitre naturel, sans fonctions ni politiques ni législatives, n'empêcherait pas qu’elle fasse pour autant l’objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle ou la Cour de justice de l'Union européenne. Ce qui pourrait rendre impossible sa mise en place, l’invalider, mettant fin au débat, provoquant la chute du gouvernement (dont la majorité ne tient qu’à 3 voix) et le roi de convoquer de nouvelles élections législatives.

Le roi passe ses troupes en revue @casareal

Un coup d’Etat pro-monarchiste est-il possible ?

Depuis la fin de la guerre civile, l’Espagne n’en finit pas de renouer avec ses démons. La période franquiste, qui s’étale de 1939  jusqu’à  la mort du Caudillo Francisco Franco en 1975, conserve toujours de nombreux partisans dans le pays. À diverses reprises, la coalition de Gauche a été accusée de vouloir refaire l’histoire et venger anachroniquement les Républicains de leur défaite face aux forces monarchistes, carlistes et conservatrices d’Espagne. Le renforcement de la Loi de mémoire historique a interdit toute apologie du franquisme, les titres de noblesse héritées de ce régime ont été abolis et le corps du généralissime a même été exhumé de son mausolée de la Vallée de Los Caïdos pour être réinhumé discrètement dans un cimetière de Madrid (2019). Lors des deux précédents mandats, Pedro Sanchez a été menacé de renversement par des officiers à la retraite dont certains n’ont pas hésité à écrire qu’il ferait tirer sur « 26 millions de putes » pour sauver le pays. Lors de sa troisième investiture, trois généraux de division, quatre généraux de brigade, vingt-trois colonels, quatre lieutenants colonels, sept commandants et neuf capitaines ont signé un manifeste commun appelant les forces armées à faire respecter l’ordre constitutionnel, accusant le Président du Conseil de « trahison ». S'il est compliqué de quantifier le pouvoir de nuisance de ces militaires, il est toutefois difficile de nier leur influence que l’on retrouve notamment au sein de mouvements comme le Parti Populaire et Vox, considérés comme pro monarchistes.  L’hypothèse n’est cependant pas à exclure en cas de passage de la loi d’amnistie avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner. Bien que rien n'indique aujourd'hui que le roi soutiendrait une telle initiative.

Le roi et la reine recevant au palais royal le corps militaire @casareal

La monarchie est-elle en perte de vitesse en Espagne ?

La question divise les Espagnols et encore plus depuis que la monarchie a été confrontée à des scandales qui ont abouti à l’abdication puis à l’éloignement du trône du roi Juan Carlos Ier (2014). Les différentes enquêtes réalisées sur la monarchie ont bien du mal à s’accorder sur une vraie réponse. Selon un sondage daté d’août 2023, l’idée républicaine semble connaître un certain rebond. 53% des Espagnols, majoritairement ceux qui votent pour les partis de Gauche et d’Extrême-gauche, les partis indépendantistes, sont favorables à l’abolition de la monarchie contre 45% qui souhaitent son maintien. Parallèlement, un autre sondage affirme que le roi Felipe VI est un garant de l’unité espagnole (72% des personnes interrogées) et enfin que tous les espoirs sont désormais reportés sur l’infante Léonor qui fait l’unanimité, toutes générations confondues (47% estiment que la princesse héritière contribue à rapprocher les jeunes espagnols de l'institution de la Couronne).

La mobilisation massive dans les rues de Madrid souligne l'ampleur du mécontentement suscité par le compromis politique de Pedro Sánchez. Les manifestations, marquées par des appels à la trahison et des revendications de justice, reflètent les divisions profondes au sein de la société espagnole et d’une forte polarisation de la vie politique. Dans ce contexte tendu, l'Espagne se trouve à la croisée des chemins, confrontée à des choix cruciaux qui façonneront son avenir politique. La capacité du nouveau gouvernement à naviguer à travers ces eaux agitées déterminera la trajectoire du pays dans les mois à venir, laissant présager d’autres développements politiques et sociaux significatifs qui pourraient fragiliser le monarchie du roi Felipe VI et la conduire sur un chemin de non-retour qui lui serait préjudiciable.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 20/11/2023

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