Nostalgie austro-hongroise en Croatie

«Nous ne devrions plus perdre de temps car il y a encore des pays très importants qui devraient faire partie d'une Europe unie, notamment la Croatie qui est un pays européen typique ». L’homme qui prononce ce discours à la tribune du parlement en août 2004 soulève les passions à Zagreb. Député européen depuis 1979, il est l’héritier du trône de Croatie –Slavonie.L’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine incarne alors l’héritage vivant d’un empire défunt et la légitimité d’un royaume pris dans la tourmente des révolutions de 1918. Entre Habsbourg et Savoie-Aoste, le cœur des monarchistes croates est partagé.

37067845 1056602304497059 4029969325665288192 nDes monarchistes en Croatie ? Un royaume Croate ? Cela peut paraître incongru pour certains tant l'ancienne Dalmatie demeure encore un mystère pour beaucoup d’européens, hormis peut-être pour la finale du mondial de football qui a mis ce pays de l’Europe de l’Est au centre des attentions françaises

Actuellement une destination à la mode, la Croatie rejoint le giron des grandes nations chrétiennes au Xème siècle. Le premier roi, Tomislav Ier Trpimirovi? (910-928), va unifier les duchés de Pannonie et de Dalmatie, prémices d’un futur état médiéval qui atteindra son apogée au XIème siècle. Ses succès attirent les convoitises au fur et à mesure que le pouvoir monarchique de sa famille s’étiole. Les grandes familles, comme les Frankopan ou les Šubi?, s’arrogent doucement les pleins pouvoirs, Venise en profite pour s’implanter, la ville de Raguse s’érige en république et la Hongrie des Angevins annexera bientôt une large partie du pays pour en faire une muraille défensive contre l’avancée des Ottomans,« Ce front de la Chrétienté » (Antemurale Christianitatis) comme qualifiera, en 1519, la Croatie le pape Léon X.


« Dieu, sauve-nous de la faim, des Croates, et de la peste ! ». La férocité des régiments croates de l’empire des Habsbourg est redoutée. Lors de la guerre de Trente ans, leur brutalité va terrifier les ligues protestantes qui les surnomment les «cravates». Cavaliers réputés, ils vont inspirer à la France au cours du XVIIème siècle, la création du régiment Royal-Cravates dont le signe distinctif sera un tissu noué autour du cou… La cravate était née et reste toujours l’élément prisé des hommes d’affaires en tout genre encore aujourd’hui. La Croatie sera fidèle aux Habsbourg y compris lorsque qu’un jeune Bonaparte s’en empare et qu’il crée par décret  « les provinces Illyriennes » (1809). Napoléon Ier aura, ici, bien du mal à se faire accepter ; l’aventure ne durera que 4 ans avant que l’Autriche du Congrès de Vienne ne soit accueillie de nouveau dans la ferveur.

La Hongrie et le Croatie s’affrontent politiquement pour obtenir les faveurs de Vienne. Cet antagonisme va faire naître l’idée d’un nationalisme (du sud) chez les croates, violent et sanglant. L’empire tente de tempérer ces velléités et en 1868 dans la suite de la création de l’Autriche-Hongrie, accorde un statut d’autonomie à la Croatie. Le royaume de Croatie-Slavonie (Kraljevina Hrvatska i Slavonija) est né, il ne résistera pas à la première guerre mondiale en dépit de diverses tentatives de fédéralisation de l’empire.

Pour les monarchistes du mouvement « Hrvatski monarhisti (HKRV) », on reste réaliste. Entre 500 et un millier de partisans du retour des Habsbourg tentent difficilement de convaincre leurs concitoyens des avantages de la monarchie. « Mon opinion personnelle est que la Croatie devrait établir une monarchie parlementaire » déclarait fièrement le 26 décembre 2017, Ante Breši? Mikulic, un des leaders de HKRV à Dopmagazin. Il reconnaît qu’il y a peu de chances de revoir un membre de la dynastie impériale sur un trône croate mais note que la famille a su honorer la Croatie dignement. Le fils de l’actuel prétendant au trône, Karl de Habsbourg-Lorraine, a ajouté comme deuxième prénom à son fils Ferdinand, celui de Zvonimir. Un prénom croate, le nom d’un souverain du XIème siècle qui est au panthéon des noms du nationalisme croate.

Archiduc Karl de Habsourg-LorraineLa visite de l’archiduc Oton Hababurško-Lotarinški en 2007 à Opatija, sur la côte adriatique, est un succès médiatique que va même répercuter le « Die Spiegel » Depuis la chute de la Yougoslavie communiste, la Croatie avait enfin en 1991 accédé à l’indépendance. « Les Habsbourg sont à la mode » écrit le périodique allemand. A la fin de la première guerre mondiale, la Croatie avait été incorporée au royaume des slaves du Sud sous le joug serbe. Une situation que n’avaient pas acceptée les plus extrêmes des nationalistes du Parti Paysan croate dirigé par Stjepan Radi?, victime d'un meurtre en 1928. C’est le temps des Oustachis (les insurgés/ Ustaša) dirigé par le futur Poglavnik Ante Paveli? (1889-1959). Ils vont marquer l’histoire. Le 9 octobre 1934, ils assassinent le roi Alexandre Ier et le ministre des affaires étrangères français, Louis Barthou, à Marseille. Les bruits de bottes se font déjà entendre, le Reich allemand va bientôt déferler sur la Yougoslavie et accepter la création d’un état fantoche répressif à l’égard des juifs, des tziganes et des serbes orthodoxes enfermés dans des véritables camps de concentration. La rancœur entre les deux nations, entre les deux religions, persistera tout au long du XXème siècle. On proclame une monarchie, on couronne le duc Aymone de Savoie-Aoste sous le nom de Tomislav II. Et si le duce Mussolini en danse de joie, le règne (1941-1943) du prince (qui d’ailleurs avait cru à une plaisanterie ) sera purement théorique. Il ne daignera même pas se déplacer dans son état, prêtera serment au Palais du Quirinal, véritable pièce de théâtre tragi-comique d’une monarchie en peine de légitimité. Mais pour une partie des monarchistes croates, le souvenir des Savoie –Aoste demeure. Et son fils, Amédée de Savoie –Aoste est depuis le berceau, selon eux, le roi Zvonimir II. Un titre dont le duc ne fait pas état et ne revendique pas.

Quelques articles ci et là présente régulièrement les héritiers du dernier roi de Croatie, Charles Ier d’Autriche. Karl de Habsbourg-Lorraine fait des fréquentes visites en Croatie afin d’adouber des chevaliers de l'Ordre de St. Jurja. Le groupe entend de préserver les valeurs européennes et un enseignement moral chrétien le tout sous un conservatisme latent qui a porté récemment au pouvoir la présidente Kolinda Grabar-Kitarovi? . On y trouve pêle-mêle des politiques, des membres de la noblesse croate, des personnes issues de la société civile ou même l’Opus dei. «Du folklore sans importance » répondent les opposants à l’idée monarchique qui pourtant reconnaissent l’effort important déployé par le prétendant au trône pour l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, effective depuis 2012.

Karl de Habsbourg-Lorraine en CroatieEn juillet 2011, lors des funérailles nationales de l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, la république Croate avait envoyé une importante délégation conduite par le ministre des sports, Radovan Fuch. Dans son discours en hommage à celui que la Croatie avait vu, petit sur les genoux de François –Joseph Ier, le ministre avait souligné avec émotion les nombreux liens qui existaient sous l’empire entre la Croatie et l’Autriche, remercié les actions de l’archiduc, ce « promoteur majeur de l'espace culturel et religieux de l'Europe centrale et en particulier de la Croatie ».

Ce jour-là à Zagreb, la cathédrale Saint-Stéphane avait fait sonner les cloches reprises en chœur dans tout le pays. Ce jour-là, la Croatie avait renoué avec ses fastes d’antan, une nostalgie qu’elle cultive toujours.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 14/07/2018

Date de dernière mise à jour : 02/04/2020

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