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Hommage à la reine Jeanne de Savoie

Elle était l’un des plus belles princesses de son siècle.  Le 26 février dernier, la maison royale de Bulgarie est venue rendre hommage à la reine Jeanne de Savoie, décédée il y a maintenant deux décennies. Reposant en Italie, elle fut très populaire de son vivant et l’incarnation de la résistance face aux vicissitudes de la vie  L’occasion de revenir sur le destin de celle qui fut à la fois fille, épouse et mère de rois, dévouée à Saint François d’Assise.

Reine jeanne de savoie et boris iiiElle est née à Rome, au palais du Quirinal, le 13 novembre 1907.  Dans ses veines, coule le sang des différentes familles royales de l’Europe. Son père, Victor-Emmanuel III de Savoie, est souverain d’Italie depuis sept ans. Il a succédé à son père dans des conditions difficiles. Humbert I a été, en effet, assassiné par un anarchiste qui avait voulu se venger du monarque, accusé d’avoir ordonné un massacre d’ouvriers. Sa mère est la fille du nouveau roi du Monténégro, Nicolas Ier Petrovitch-Njegosh. Le mariage de ses parents avait été aussi prestigieux que politique. Hélène du Monténégro avait été sacrifiée sur l’autel des ambitions paternelles soucieux de sécuriser son trône menacé par les serbes.  Jeanne Elizabeth Antoinette Romaine Marie de Savoie est d’ailleurs élevée dans la même idée alors que déjà le monde des monarchies commence à s’écrouler tout autour d’elle. Elle excellera en littérature, histoire, les langues et les arts.

C’est une fervente catholique qui se dévoue à Saint François d’Assise. A 16 ans, elle tombe gravement malade. On craint même pour sa vie. La jeune princesse prie alors Giovanni di Pietro Bernardone, canonisé au XIIIème siècle par le pape Grégoire IX, dans l’espoir de sa guérison. Pour les deux religieuses de l’ordre de Santa Chiara qui vont veiller à son chevet, sa guérison relèvera du miracle. D’ailleurs dans un excès de mysticisme, elle songe même à entrer au couvent. Le roi Boris III et Jeanne de Savoie se rencontrent en 1927. Le jeune roi de Bulgarie voyage en Europe à la recherche d’alliés. Son passage à Rome est remarqué. Il remporte dans ses bagages de retour le cœur d’une princesse à l’esprit romantique, qui note dans ses carnets, le récit de sa journée passée au domaine de San Rosore, près de Pise, avec ce prince « d’apparence sérieuse et équilibrée ». Épouser une princesse étrangère est aussi, pour le descendant du roi Louis-Philippe Ier d’Orléans, le moyen de légitimer sa dynastie. Certes, ce pays des Balkans a plusieurs familles nobles mais pas aussi anciennes que le reste du Gotha. Et si le roi Boris, « à l’allure plus latine que teutonne » note un diplomate britannique,  peut célébrer ses noces avec Jeanne, il le devra surtout au futur Pape Jean XXIII qui va jouer les médiateurs auprès du Saint-Siège. Le Vatican,  quelque peu rancunier, n’a pas oublié que le père du roi Boris III avait refusé d’élever son fils dans la religion catholique.

Le 25 octobre 1930, les noces sont célébrées à Assise. Les cérémonies civiles et religieuses sont somptueuses, les centaines d’invités portent les noms des plus grandes familles l’aristocratie italienne ou des nombreuses familles royales d’Europe. Le tout sous l’œil du duce Benito Mussolini, « ravis de tous ces décolletés qui s’offraient à lui » écrira la souveraine.

Jeanne est doublement heureuse. Le mariage est d’amour, elle quitte un pays qui étouffe sous la férule des bottes fascistes pour rejoindre Sofia, la capitale de la Bulgarie où elle sera couronnée Tsarine (Tsaritsa Ioanna). Victor-Emmanuel III est satisfait de ce mariage, sa mère rêve déjà de libérer le Monténégro  la tête d’une armée bulgaro-italienne. Pour les bulgares, l’arrivée de la princesse se fait dans la liesse générale. Ses origines monténégrines font rapidement ressortir la slavophile enfouie de Jeanne dont le caractère est reconnu pour être ouvert et sociable. Dans les journaux de l’époque, on rappelle même qu’elle est affiliée généalogiquement au premier roi de Bulgarie, Alexandre Ier de Battenberg, on se félicite à de sa conversion à l’orthodoxie et on ergote sur le bouledogue français de Jeanne.

On est loin du confort romain. Le palais royal de Sofia est quelque peu spartiate, manque de prestance, empreint de l’ombre de son beau-père contraint à l’abdication en 1918 pour avoir choisi le mauvais camp lors de la première guerre mondiale. Le mariage sera couronné par la naissance de deux enfants, la princesse Marie-Louise  (née en 1933) et le prince Siméon (né en 1937). Les nuages noirs de la mort s’amoncellent bientôt au-dessus de Jeanne. La mort étrange du roi Boris III, après une entrevue avec le chancelier allemand Hitler, laisse Jeanne éplorée. La situation politique est devenue difficilement tenable. Pire lorsque les soviétiques pénètrent en Bulgarie pour le délivrer, ils saccagent le tombeau de son mari, au monastère de Rila. A l’exception de son cœur, le corps du père du roi Siméon II ne sera jamais retrouvé. La régence s’avère impuissante à s’imposer, bientôt Jeanne et sa famille devront prendre le chemin d’un exil qui va durer un peu plus d’un demi- siècle.

De cette période, la reine Jeanne se confiera dans ses mémoires, en ces termes: « J'étais étroitement surveillée et mon monde se trouvait déjà être confiné entre les deux tombes, celle de mon conjoint au monastère de Rila et celle des « martyrs du jeudi sanglant » (150 personnes sont le prince Kirill, oncle de Siméon II, exécutées par les communistes en juillet 1944-ndlr). J'étais seule, avec deux enfants, à 29 ans. Je n’avais plus de raisons de vivre  mais j’avais encore les moyens de sauver celle de mes enfants. Un des régents était venu me dire un jour: "Tu pourrais te montrer plus heureuse...". "De quoi ?" ai-je demandé ? "Tu n’as pas été exécutée" lui a-t-il répondu ».

Reine jeanne de savoie en exil palaisdevranaL’abolition de la monarchie en 1946, après un référendum truqué, organisé par les communistes,  est un coup dur pour la reine Jeanne. D’autant que la situation en Italie n’est guère plus brillante. Victor-Emmanuel III a dû renoncer au trône, le duce Mussolini a été pendu à un croc de boucher avec sa maîtresse, laissés nus à la vue de tous, son frère, le roi Humbert II va être poussé vers la sortie et sa sœur Mafalda est décédée dans le camp de concentration de Buchenwald.

Un passage en Egypte, le caudillo Franco ouvrira par la suite ses frontières à la maison royale de Bulgarie qui n’a eu que 48 heures pour faire ses bagages. « Siméon a tout vécu avant l’âge de 9 ans et rien après »  avait écrit l’historien Geoffrey Bocca à propos du fils de Jeanne. Les exilés vivent pauvrement, bientôt rejoints par les Savoie. Et sous le coup des menaces d’attentats. Siméon II échappe même à un complot en 1950, orchestré par les services secrets communistes bulgares. Il va devenir progressivement la voie de l’opposition. Jeanne de Savoie reste en retrait, veille sur l’éducation de ses deux enfants.

Avec la chute du mur de Berlin en 1989, les régimes pro-soviétiques s’effritent dans les Balkans. Les bulgares ressortent les photos jaunies d’un enfant monté sur le trône à 6 ans et réclament le retour de la famille royale. L’archiduc-député européen, Otto de Habsbourg-Lorraine, déclare « que celui qui d’entre nous réussira le plus son retour sera indubitablement Siméon ». L’héritier austro-hongrois est visionnaire. Les sondages sont sans appels. Plus de la moitié des bulgares souhaitent son retour mais 20% à peine la restauration de la monarchie. Ses anciens sujets ont décidé de dissocier la figure royale du symbole d’unité qu’il incarne. Siméon II sera s’en souvenir. Le 28 août 1993, accompagné de sa fille, la reine Jeanne fait son retour dans ce pays qu’elle a tant aimé. Des milliers de bulgares sont venus l’accueillir. C’est un succès. Elle n’a pas été oubliée, les larmes lui couleront le long des joues. « Je suis la reine et ma protection sera toujours le peuple bulgare ! » avait-elle dit durant les heures les plus sombres de son pays.

«Le rôle de ma mère a été celui d'une mère, d'une reine, d'un roi, d'un chef de famille, tout cela à la fois. Elle était très stricte et exigeante mais en même temps, elle avait cette douceur d’âme, cette gentillesse qui fait que même aujourd’hui je n’arrive pas à décrire » disait d’elle son fils Siméon II. Le 26 février 2000, elle rend son dernier soupir à Estoril, au Portugal et conformément à sa demande,  ses restes sont déposés, là où elle s’était mariée. Dans la basilique Saint-François d’Assise. Tout un symbole, un clin d’œil, une revanche aux tumultes de l’Histoire et désormais un devoir de mémoire pour l’enfant-roi, dont elle n’aura pas vu le retour comme Premier ministre de son pays entre 2001 et 2005, venu fleurir sa tombe avec émotion.

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Publié le 29/02/2020

Date de dernière mise à jour : 08/06/2020

Commentaires

  • Giuseppe Lozza

    1 Giuseppe Lozza Le 07/06/2020

    Peut-être le pape en question n'était Jean XVIII, mais Jean XXIII. Merci!

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