«Je considère que l'Ukraine est un des pays cruciaux pour l'Europe et pour l'avenir de celle-ci ». A la veille d’une importante élection générale, l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine a pris son bâton de pèlerin pour défendre la candidature de cette ancienne république soviétique au sein de l’Europe. Avec le dessin avoué de faire barrage aux ambitions expansionnistes président russe Vladimir Poutine.
L’Ukraine et l’empire austro-hongrois partage une histoire commune. En 1772, lors du premier découpage de la Pologne, l’Ukraine de l’Ouest, connue sous le nom de Galicie, est octroyée à Vienne. Elle sera une partie intégrante de l’empire austro-hongrois jusqu’à son démantèlement en 1918. On parle alors de royaume de Galicie et de Lodomérie (Königreich Galizien und Lodomerien). En cette fin de première guerre mondiale, les appétits s’aiguisent et chaque branche tente de sauver ce qu’il reste de la maison impériale en prenant la tête de mouvements nationalistes. La Pologne aura brièvement un archiduc à sa tête, Charles–Etienne de Teschen, l’Ukraine son fils, l’archiduc Guillaume (1895- 1948). Vienne contre Berlin, chacun avance son candidat, feignant d’ignorer que les deux empires vivent leur grand crépuscule. L’archiduc montera sur un trône qui sera éphémère et qu’il n’arrivera jamais à regagner, laissant derrière lui le souvenir pour des décennies, d’un souverain plus ukrainien qu’autrichien, plus tard jouet des nazis.
Le mur de Berlin tombe en 1989 et dès lors tout s’enchaîne très rapidement. Le colosse soviétique montre des signes de fragilité et s’effondre doucement. Otto de Habsbourg-Lorraine, député européen et prétendant au trône, applaudit la proclamation d’indépendance de l’Ukraine. Et prend rapidement conscience que Moscou n’est guère disposée à perdre son grenier à blé dont une partie est assurément russe. Dans un entretien en 1997, un an après avoir dénoncé l’entrée de la Russie au sein du Conseil de l’Europe, il prend et fait et cause pour la protection de l’Ukraine en déclarant qu’elle appartient à l’Europe centrale. Il dessine déjà les futurs projets que son fils, l’archiduc Karl entend mettre en place. Fin politique, il dénonce en 2005 les manœuvres de Vladimir Poutine qui prend en otage ce pays, comme le reste de l’Europe, en lui coupant l’arrivée de gaz et en imposant un gouvernement russe, attisant les « égoïsmes nationaux » des membres de l’Union européenne dépendante du gaz ukrainien et russe. Il n’aura pas assez de temps pour voir la guerre civile éclater dans ce pays qui lui tenait tant à cœur.Karl de Habsbourg-Lorraine poursuit aujourd’hui l’idée de son père. Faire intégrer l’Ukraine réunifiée au sein de l’Europe afin de préserver son indépendance vis à vis de la Russie. C’est aussi à cette époque que « l’idée d’Europe Centrale commence ainsi à être instrumentalisée pour justifier la séparation des régions géographiquement les plus européennes de l’Ukraine de celles plus à l’est. Elle produit une vision extravagante de l’intégration européenne, à savoir l’intégration séparée de la Galicie dans l’UE » nous explique Nadia Koval dans son essai, « L’Europe Centrale dans la cartographie mentale des intellectuels ukrainiens d’aujourd’hui ».
L’archiduc Karl décide de fonder en 2010, à Lviv, la « Fondation Habsbourg » dont le but sera de « préserver l’auto identification de l’Europe Centrale et Orientale et de soutenir les projets culturels et artistique ». Un parfum de retour Habsbourg commence à peine à envahir toutes les anciennes composantes de l’empire bicéphale. A la tête de cette fondation, le romancier Youri Androukhovytch qui sera un des acteurs de la révolution orange de 2005 et qui n’hésitera pas 5 ans plus tard à réclamer que l’Ouest de l’Ukraine soit…intégré à l’Europe. Certains y avaient vu la main de l’archiduc. Il est vrai que celui-ci n’allait pas tarder à faire ouvrir à Kiev une radio entièrement dédiée à l’idée européenne. « L'objectif est de créer un peu de cet esprit européen en Ukraine » confirme dans une interview à Euractiv le prétendant au trône qui s’empresse d’ajouter que « le rôle principal ne sera pas de faire de la propagande mais de fournir des informations neutres, ». « Car il ne faut pas oublier que l'Ukraine est un pays d'Europe centrale (qui) a une très longue histoire européenne » martèle-t-il. Les Habsbourg à la manœuvre au nom de Bruxelles ? A lire les déclarations du prince, sans aucun doute. Encore faut-il ne pas oublier que Karl de Habsbourg-Lorraine est également président de la section autrichienne de l’influent mouvement paneuropéen, véritable lobby tentaculaire. A Moscou, la réponse à cet activisme de la part de l’archiduc Karl avait été cinglante. Lorsqu’Hitler avait envahi l’Autriche en 1938, il avait poussé le vice à baptiser son plan du prénom de l’archiduc Otto. L’histoire se répètera sous une forme d’ironie. Le « groupe Habsbourg » composé de personnalités internationales, avait été monté afin de promouvoir les actions du président pro-russe Viktor Ianoukovitch en Europe. Il exerce toujours ses talents de pression avec à sa tête, Paul Manafort, ancien directeur de campagne de l’actuel président américain.
Lors du récent congrès paneuropéen qui a renouvelé l’archiduc à sa présidence, ce dernier n’a pas hésité à manifester son irritation sur l’omniprésence russe dans les affaires ukrainiennes, citant l’ancien dirigeant «Ianoukovitch plus occupé à voler personnellement les biens de l'État ukrainien, qu'il a ensuite emmené avec lui dans de nombreux hélicoptères en Russie ». Et de réclamer la libération du journaliste Roman Sushchenko, emprisonné depuis 3 ans, sous un fallacieux prétexte d’espionnage au profit du ministère de la défense ukrainienne. «Nous devons ouvrir les perspectives d’adhésion à l’Union européenne à long terme pour l’Ukraine. Je sais que cela ne se fera pas rapidement, mais il doit y avoir des négociations ouvertes qui permettront de mettre en place des perspectives d’intégration ». A la veille de l’élection présidentielle ukrainienne, sur laquelle plane l’ombre de la Russie et de l’Union européenne qui placent chacun leurs pions, les propos du prince Habsbourg raisonnent assurément à Kiev qui bénéficie là d’un soutien de taille. Car en quelques mois, dans l’ombre, les Habsbourg ont repris de l’ascendant dans la construction européenne, replaçant les membres de la dynastie à des post-clefs dans différents gouvernements de l’ancienne Mitteleuropa. « J’ai toujours été très actif en Ukraine quand j'étais député européen, notamment sur la question de l'élargissement de l'UE. Je n'ai jamais eu cette vision réduite de l'Europe étant juste ce qu’elle est. Je pense qu'il est très important de réclamer une plus grande Europe » n’hésite pas à dire le prince impérial. Qui passe par Kiev ?
A cette question, réponse simple au magazine Ukrinform de la part du petit-fils du bienheureux Charles Ier d’Autriche : « Pour moi, l'Ukraine fait partie intégrante de l'Europe. L'Union européenne n'existera pas pleinement sans l'Ukraine ». Tout un programme, mais pas sûr que la Russie apprécie le ton ni les déclarations politiques du double prétendant à la couronne austro-hongroise.
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Publié le 02/04/2019