L'archiduc d'Autriche se confie

« Les gens qui disent que la monarchie est aujourd’hui une forme de relique du passé ne sont tout simplement pas réalistes. » 

Archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine

A l’approche du centenaire de la fin de monarchie danubienne austro-hongroise, l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine a multiplié ces derniers jours les interviews. Son regard sur le passé traduit ses inquiétudes pour l’avenir. Ce prétendant aux multiples couronnes et dont l’histoire a façonné une Mitteleuropa en constante ébullition réponds aux questions croisées des journalistes du Kurier et de RP-online

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  • Comment doit-on s’adresser à vous ?

Karl (von) Habsbourg: C’est une question pour laquelle je n’ai véritablement pas de réponses. J’habite en Autriche et comme vous le savez, les titres de noblesse sont interdits [loi de l’Adelsaufhebungsgesetz votée en 1919-ndlr]. Sur mon passeport, il est écrit tout simplement Karl Habsbourg-Lorraine. Mais mon père était lui, internationalement, connu sous le nom d’Otto de Habsbourg. C’est pourquoi je préfère que l’on m’appelle aussi Karl de Habsbourg quand même bien en Autriche, ce n’est pas apprécié. D’ailleurs, cette année, on m’a fait un mauvais procès avec mon site personnel www.karlvonhabsburg.at- qui reprends mon complet car paraît-il que cela n’est pas compatible avec le droit législatif autrichien.

 

  •  L’Allemagne possède une loi identique mais mieux réglementée. Pensez-vous que l’Autriche doit réformer cette loi ?

Karl (von) Habsbourg : En effet, la loi allemande sur les titres de noblesse est mieux structurée. Il y’a quelques jours, j’ai reçu ma condamnation et cela m’a beaucoup amusé. Je vais faire appel  car il n’est pas question que je change le nom de mon site. Karl von Habsbourg est un nom européen et pas nécessairement autrichien, faut-il que je le rappelle.

 

  • 82Des personnes ne s’adressent-elles pas à vous comme son « Altesse impériale et royale » ? Ne serait-ce pas de cette manière que je devrais m’adresser  à vous ?

Karl (von) Habsbourg : Oui et non. De mon avis, ce n’est vraiment pas ainsi qu’il faut le faire même si la plupart du temps, cela se réfère à une fonction indubitablement liée à l’histoire de ma famille. Un hommage en quelque sorte.

 

  • Il y a cent ans, le 11 novembre 1918, votre grand-père, l'empereur Karl Ier, a renoncé à « toute participation aux affaires de l'État ». Cela a dû être  probablement le jour le plus amer de l'histoire de la maison des Habsbourg-Lorraine ?

Karl (von) Habsbourg : un jour dramatique pour lui sans nul doute. C’était sans précédents pour notre maison. Devoir abandonner toutes activités politiques alors qu’il y avait encore des chances de tout sauver. On connaît la suite malheureusement.

 

  • Quel regard portez-vous sur cette période ?

Karl (von) Habsbourg : Vous savez, je n’ai pas vécu ces événements. J’appartiens à cette génération qui découvert cette histoire dans les livres. En tant que tel, j’ai des points de vue historiques sur la question sans pour autant me revendiquer historien. Je suis un profane intéressé par ce chapitre de l’histoire mondiale. J’ai eu cependant la chance de rencontrer et de parler à de nombreuses personnes qui ont, non seulement, été les témoins de ces bouleversements, mais qui ont aussi occupé des postes importants tout au long du conflit. La question aujourd’hui n’est plus d’analyser le prétexte qui a été le déclencheur de cette guerre -nous savons tous que c’est l’attentat de Sarejevo- mais la raison principale. Et c’est la montée des nationalismes de l’époque.

 

  • 83Les Habsbourg ne pouvaient-ils pas empêcher cette guerre ou la montée des nationalismes ?

Karl (von) Habsbourg : Je ne peux absoudre ma famille de toute culpabilité dans ce conflit et il faut reconnaître que François-Joseph est à blâmer comme tous les chefs d’état de cette époque. Mais il est certain que ma famille comme l’empereur auraient dû prendre la mesure du risque et mettre en place des réformes pour éviter cela. L’archiduc François –Ferdinand avait compris qu’en associant les slaves du Sud, on aurait pu éviter toute montée d’un conflit mais c’était trop tard. Même mon grand-père ne souhaitait pas signer de déclaration de guerre en 1914. La pression allemande a été a plus forte.

 

  • Justement, que signifie pour vous cette montée des nationalismes aujourd’hui ?

Karl (von) Habsbourg : L’histoire nous apprend que, de tout temps, chaque pays a toujours porté en son sein un certain pourcentage de personnes ayant une pensée purement nationale. Avec des variations plus ou moins fortes.  Aujourd’hui avec la crise des migrants et le conflit au Proche-Orient, on peut constater une nette progression de ces mouvements qui sont loin d’être marginalisés. Je crois qu’il important de se souvenir de ce qui s’est passé avant le début de la première guerre mondiale afin de montrer le danger que représente ces mouvements et garder un œil vigilant sur leur progression.

 

  • Votre grand-mère l’impératrice Zita, fut un des témoins principaux de la chute du système monarchique. Comment a-t-elle vécu  le départ du pouvoir de l’empereur  en novembre 1918 ?

Karl (von) Habsbourg : Ma grand-mère avait surtout un point de vue religieux sur la question. C’était une charge que l’on ne pouvait abandonner car donnée par Dieu. Tout est résumé.

 

  • 84Elle s’est donc considérée comme une impératrice tout au long de sa vie ?

Karl (von) Habsbourg : Bien sûr, elle n’a jamais abandonné ce qu’elle jugeait comme une tâche importante.

 

  • Votre père Otto (von) Habsbourg a été le premier de sa lignée ne pas monter sur le trône après plus de 6 siècles de règnes. Il a dû en être traumatisé ?

Karl (von) Habsbourg : Mon père était un politique pragmatique. A l’époque de son exil, on a continué de l’éduquer comme l’héritier au trône. Plus tard, il s’est concentré sur la construction de l’Europe [dont il a été député de 1979 à 2004 sans interruptions-ndlr]. Je peux vous assurer que je n’ai jamais vu en lui le moindre traumatisme.

 

  • La maison de Habsbourg-lorraine a autrefois dirigé un empire sur lequel « le soleil ne se couchait pas ». Ce qui reste de votre maison traduit-il toujours cette image ?

Karl (von) Habsbourg : Absolument. Notre famille est encore très grande et répartie à travers le monde entier.

 

  • Vous êtes si nombreux que cela à porter ce nom ?

Karl (von) Habsbourg : Oui. Il y’a environ 500 personnes qui s’appellent Habsbourg et qui vivent sur tous les continents, dont 280 rien qu’en Autriche. Cela s’explique par le fait, qu’après la première guerre mondiale, nombre de membres de la maison impériale ont dû fuir et s’exiler ci et là. Cela présente de nombreux avantages et me permets d’avoir des contacts partout.  Il y’a une forme de cohésion entre nous tous et nous nous voyons régulièrement au cours de repas de famille

 

  • 85Comment devient-on le chef de la maison impériale.

Karl (von) Habsbourg : En étant simplement le fils ainé de l’aîné. Je ne peux imaginer autrement la transmission de cette charge. D’ailleurs, mon propre fils (Ferdinand-Zvonimir, pilote de course, âgé de 21 ans -ndlr) a été très clair sur ce sujet et a déjà annoncé qu’il assumerait un jour cette charge.  Et si mes enfants sont libres de choisir leurs conjoints,  aristocrates ou non, la prochaine génération devra être éduquée impérativement dans la religion catholique.

 

  • Il existe encore des rois au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique, en Norvège, en Suède et en Espagne. Y a-t-il  aujourd’hui un désir de renouveau monarchique aujourd’hui ?

Karl (von) Habsbourg   : Les gens qui disent que la monarchie est aujourd’hui une forme de relique du passé ne sont tout simplement pas réalistes. C'est autant une incarnation du passé, du présent  que de l’avenir. Vouloir le figer dans le temps n’est pas adéquat et il y a des monarchies, comme en Grande-Bretagne, où penser l’abolir est simplement impensable, si on excepte les gesticulations de quelques médias. Les populations qui vivent sous ce régime ont pu constater ce qu’un changement de cette sorte pourrait leur apporter.

 

  • Si la monarchie austro-hongroise n’était pas tombée, vous en seriez aujourd’hui le Kaiser ? Vous êtes-vous déjà imaginé sur le trône ?

Karl (von) Habsbourg : Très honnêtement, être un empereur n’est pas un travail pour lequel vous postulez tous les jours. Mais je suis heureux d’avoir aujourd’hui la liberté de pouvoir faire ce que je veux, de répondre à des interviews à qui bon me semble sans forme de protocole. Je ne ressens pas de nostalgie quelconque.

 

  • Il y a quelques années, votre cousin, Ulrich Habsbourg-Lorraine [ancien conseiller municipal écologiste -ndlr] , a affirmé devant la  Cour constitutionnelle que les Habsbourg pourraient se porter candidats à une élection à la présidence du gouvernement fédéral. Pensez –vous saisir cette opportunité un jour ?

Karl (von) Habsbourg : Il ne faut jamais dire…jamais. Mais ce n’est pas actuellement à l’ordre de mon agenda [entre 12 et 17% des autrichiens se disent favorables au retour des Habsbourg-2011-ndlr].

 

  • 86Nous vivons dans une société partiellement multiculturelle, que cela nous plaise ou non. L’ancienne Autriche-Hongrie a-t-elle été éventuellement un modèle du genre ou un échec complet

Karl (von) Habsbourg : A vrai dire, possiblement une réussite et un échec. L'un n'exclut pas nécessairement l'autre même si les nationalismes au sein de l’empire ont été la raison principale de l’échec de ce modèle d’intégration. Pour moi, l’exemple le plus symbolique est l’hymne impérial (Gott Erhalte-ndlr) qui avait été traduit dans toutes les langues de l’empire afin que tous puissent le chanter. Imaginer si cela avait été le cas en France, la Marseillaise, traduite en breton ou en occitan, on vous aurez passé sous la guillotine, rien que pour cela.

Hors pour nous, cela semblait une évidence. Chaque fonctionnaire ou officier devait parler 3 langues de l’empire. Toutes les religions étaient traitées sur le même pied d’égalité. J’ai d’ailleurs souvenir d’une photo où on peut voir un aumônier, un imam et un rabbin célébrer ensemble un office religieux devantun régiment militaire. Pour moi, l’empire autrichien, c’est cela, un exemple de ce que devrait être l’Europe de nos jours.

 

  • On va bientôt célébrer le centième anniversaire de la fin de la monarchie. Allez-vous organiser quelque chose pour le commémorer ?

Karl (von) Habsbourg : Non même pas en famille. Il n’y a vraiment rien à célébrer, je crois. Il faut mieux se réunir pour des occasions plus heureuses.

 

 

Traduction : Frederic de Natal, journaliste

Paru le 28/10/2018

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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