Une polémique d'état

«Die Nachfahren des letzten deutschen Kaisers und das Kanzleramt verhandeln heimlich über die Rückgabe Tausender Kunstwerke». Les descendants du dernier empereur allemand et la chancellerie négocient en secret le retour de milliers d’œuvres d’art. L’information révélée par le magazine « Der Spiegel », il y a 4 jours, a rapidement fait le tour de la presse nationale et internationale alors que depuis des mois, le prétendant au trône impérial, le prince Georg Friedrich von Preußen, fait preuve d’une intense et surprenante activité. Que ce soit dans le domaine politique où il multiplie les interviews ou celui plus culturel, le prétendant Hohenzollern entend revenir par la grande porte de l’Histoire dont sa famille a été chassée en 1918. Quitte à passer par les tribunaux pour récupérer les propriétés dont la maison impériale estime avoir été spoliées.

Le prince georg friedrich von preu en226 peintures, des meubles et boiseries inestimables, les châteaux de Cecilienhof  (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO) et de Lindstedt, des céramiques, de médailles, d'objets historiques, les anciennes archives de la maison impériale ou encore l’intégralité de la bibliothèque des rois de Prusse, … la lecture de la liste est vertigineuse.

Depuis 2014 et secrètement, l’arrière-petit-fils du Kaiser Guillaume II, le prince Georg Friedrich von Preußen négocie avec le gouvernement allemand, l’état de Berlin et du Brandebourg, la Fondation du patrimoine culturel prussien, la Fondation des palais et jardins de Prusse et le Musée historique allemand,  la restitution des biens ayant appartenu à la maison impériale. Devenu en 1994,  l’héritier d’une dynastie qui a fait la gloire et les beaux-jours de la Prusse et de l’Allemagne, le prince Georg Friedrich, 43 ans, entend redonner ses lettres gothiques de noblesse aux Hohenzollern dont il porte fièrement le nom.

Quitte à exiger que les musées contemporains représentent au mieux les empereurs du Reich défunt nous explique le journal « Deutschland Fund Kultur » dans une de ses récentes éditions. L’annonce de ces négociations n’est pas passée inaperçue. Toutes les presses européennes, italiennes, britanniques, espagnoles y compris françaises ont repris cette information qui a obligé le ministère allemand de la culture à se positionner et à reconnaitre malgré–lui  l’existence de ces négociations.  D’autant qu’une lettre envoyée au prince impérial n’a pas tardé à fuiter sans que l’on sache d’où provienne la source de cette faille interne au ministère.

Dans un courrier daté du 13 juin 2019  et adressé au  prince Georg Friedrich von Preußen, celui-ci a été averti que ses trop grandes réclamations ne permettaient plus d’aboutir à un accord à court terme. Haro sur la maison impériale, les tabloïds allemands ont crié au loup et à la revanche de l’aigle impérial. «Le  Hohenzollern veut récupérer nos trésors nationaux » pouvait-on lire en principaux titres de ces journaux. Car là est toute la controverse de ce débat.

Privés d’une grande partie de leurs biens en tout genre et nationalisés par la suite à la chute de l’empire, quand ils ne firent pas la joie des dignitaires nazis sous la seconde guerre mondiale, les propriétés et autres objets des Hohenzollern appartiennent-ils réellement au patrimoine national ? Quand on sait qu’à la chute du mur de Berlin, la majorité des maisons royales, princières ou grand-ducales ont pu récupérer ce qu’ils possédaient durant l’Entre-deux-guerres, il y’a lieu de se poser la question.

« Les négociations portent sur des ambiguïtés juridiques que l’on put constater dans l'accord avec les Hohenzollern, mais aussi sur des positions juridiques qui ont changé à la suite des événements historiques ultérieurs, en particulier les mesures prises par le pouvoir de l’occupant soviétique et le gouvernement de la République démocratique allemande » (RDA), a précisé rapidement Monika Grütters, la ministre de la Culture.

« Le ministère de la Culture refuse la moindre concession au prince impérial et qui pourrait même mettre en faillite deux des plus grands musées de l’Allemagne » peut-on lire encore dans les colonnes des journaux teutons.

L aigle des hohenzollernEn 1926, le président-maréchal Paul Hindenbourg avait pourtant bien tenté de régler le litige avec le Kronprinz Guillaume et son père, l’infortuné belliqueux Kaiser Guillaume II. Le débat avait été soumis au vote du parlement où monarchistes du Parti populaire national allemand (DNVP) et élus communistes s’étaient écharpés dans l’hémicycle. Ces derniers souhaitant nationaliser sans compensation la maison impériale.

Un référendum avait bien été organisé afin de permettre à la vox populi de trancher le litige. 15 millions d’allemands contre 60 000 s’étaient prononcés contre l’expropriation des Hohenzollern de leurs terres. Un accord avait été signé, le 29 octobre 1926, au forceps entre la république de Weimar et ce qui restait de l’empire.

Un des articles de l’accord stipulait que le droit de résidence de leurs propriétés cesserait si les Hohenzollern ne logeaient plus dans leurs châteaux. Hors en 1945, les membres de la maison impériale doivent fuir le château de Cecilienhof face à l’avancée de l’Armée rouge. C’est ici que se tiendra d’ailleurs en juillet de cette année, la fameuse conférence de Potsdam entre Staline,Harry Truman et Churchill qui décidera des conditions de réédition du Japon. La nouvelle république démocratique d’Allemagne  (RDA) aura tôt fait de le nationaliser à son tour avant de revenir dans le giron de l’Allemagne réunifiée.

« En toute parfaite illégalité » affirme le Georg Friedrich von Preußen qui réclame la jouissance gratuite d’une partie de ce qui est actuellement un des musées les plus célèbres d’Allemagne. Le Premier ministre du Brandebourg, Dietmar Woidke (SPD) espère toutefois qu’il parviendra à obtenir un accord de principe avec le prince impérial en dépit de son échec de récupérer dernièrement et par voie juridique le château de Rheinsberg.

En cas de succès face à ce qui ressemble à une ambiguïté juridique et à défaut d’obtenir des millions d’euros de compensation, la maison de Hohenzollern pourrait avoir son mot à dire dans la présentation officielle de l'histoire allemande. Une partie de  presse allemande n’est  d’ailleurs pas  tendre avec le prétendant à ce sujet et lui rappelle que le Kaiser  « a conduit le Reich allemand dans la Première Guerre mondiale, non par soif de sang, mais par négligence et par incompétence, et l'a payé avec la perte de son trône » ainsi que l’écrit le « Frankfurter Allgemeine Zeitung » (FAZ). Tout comme de pointer les anciennes relations et soutiens des Hohenzollern au chancelier Adolf Hitler tout au long des années Trente et qui ont « même appelé à voter pour lui » note l'historien Stephan Malinowsk.

Un faux procès mais qui en dit long sur le contentieux qui règne encore entre les allemands et leur maison impériale. La défaite de 1918, vécue comme une honte et un traumatisme national,  n’a toujours pas été digérée. « Quiconque pense comme un véritable républicain ne peut que regarder cette liste de demandes avec un mélange d'horreur, d'amusement et d'incrédulité » renchérit  Stephan Malinowski dans le journal « Deutschlandfunk »

0.1%  de la collection national ! C’est le chiffre de la liste des biens revendiqués par le prince Georg Friedrich von Preußen qui se défend de vouloir piller le pays. « A l’heure actuelle, les positions des parties en négociations sont encore loin l’une de l’autre » peut-on lire dans les colonnes du « Tagesspiegel ». Et qui résume l’état des relations entre le prétendant et  le gouvernement qui juge les demandes du prince « inacceptables ».

Car même en cas d’accord entre les deux parties, l’affaire ne s’arrêterait pas là pour autant. Il faudrait encore que les états de Berlin et du Brandebourg approuvent eux-mêmes cet arrangement que leurs opposants jugent anachroniques et sans fondements en 2019.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 16/07/2019

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