Le 11 novembre à 5H45, tous les états-majors reçoivent subitement l’ordre de suspendre les combats pour une durée indéterminée. La Première guerre mondiale s’achève après 4 ans de combats acharnés dans toute l’Europe. Des dizaines de nations se sont battues les unes contre les autres laissant derrière elles des millions de morts sur le champ de bataille, victimes de l’intransigeance des politiques. L’annonce de la reddition va bientôt changer le visage d’un continent peuplé majoritairement de monarchies. En Allemagne, c’est un effet boule de neige qui va se produire au moment où le Kaiser Guillaume II décide de rendre sa couronne, acculé par l’Histoire. Ce même jour, le grand-duc Frédéric-Auguste II d’Oldenburg, un indécrottable « va-t-en-guerre », signe son acte d’abdication, humilié et avec une seule pensée : celle d’organiser la revanche qui fera bientôt tomber sa dynastie dans les bras d’Adolf Hitler.
Uniforme bleu ciel, casque à pointe, médailles rutilantes, Frédéric-Auguste II d’Oldenburg a fière allure lorsqu’il inspecte son régiment de dragons prêts à partir en direction de la Marne, en août 1914. A 62 ans, il rêve de marcher aux côtés de l’empereur Guillaume II lorsque celui-ci défilera glorieusement à Paris. Une question de jours, quelques semaines tout au plus, la France tombera. Monté sur le trône du Grand-duché d’Oldenbourg le 3 juin 1900, ce digne représentant du wilhelminisme a tout du militariste hautain dont le Reich a accouché après avoir proclamé l’unité de l’Allemagne sur les ruines du Second empire français. Il a été éduqué par le général bavarois Otto von Parseval, dont le nom rappelle vaguement les grands opéras wagnériens et dont la famille est d’origine française, décoré de la croix de guerre. On lui doit même un livre reconnu comme étant un des meilleurs dans son domaine « Guide pour l'enseignement des fantassins de l'armée royale bavaroise ». Autant dire qu’il est allé à bonne école.
Le grand-duc a effectué sa scolarité à Bonn, Leipzig mais aussi Strasbourg dont il garde un bon souvenir. Il a un penchant pour la navigation, la marine et profite de sa passion pour rénover les canaux de son grand-duché et l’industrialiser. Il est populaire en Oldenburg même si quelques mauvaises langues le soupçonnent de faire du trafic militaire. Il a de grandes idées pour le futur de l’Europe, de la France. C’est un annexionniste convaincu. Selon lui, il faut rattacher la Belgique au Reich, faire de son voisin gaulois un état vassal, divisé en deux avec au nord, une république et au sud un royaume que l’on aurait remis à l’héritier des Bourbons sans que l’on sache bien lequel des deux prétendants au trône trouvaient grâce à ses yeux. Jean d’Orléans comme Jacques de Bourbon étaient opposés au Kaiser, le premier se distinguera à la Croix rouge, le second sera mis aux arrêts à cause de l’uniforme russe qu’il portait. Autour du Kaiser, on redessine les cartes avec une certaine aisance et Frédéric-Auguste fait peu de cas des demandes de la Bavière, de ces princes dégénérés qui souhaitent récupérer l’Alsace-Lorraine et se frayer un accès à la mer. Les deux princes s’affrontent sous les yeux de Guillaume II qui donnera raison au grand-duc, par ailleurs membre de sa maison depuis qu’il a épousé la princesse Elizabeth-Anna de Prusse dont la vie a été brutalement abrégée en 1895 à 38 ans.
Son second mariage avec la princesse Elisabeth Alexandrine zu Mecklenburg (1869-1955) sera un désastre. Les tensions sont telles dans le couple qu’elle menace bientôt la monarchie à la veille du conflit mondial. Le grand-duc ne tolère pas que le parlement se permette d’interférer dans ses affaires privées et menace de le dissoudre si les députés continuent de réclamer plus d’indulgence à l’égard de son épouse. La princesse, trop infidèle, est déclarée « malade mentale » et expulsée du grand-duché sans avoir le droit de pouvoir élever ou voir ses enfants. Les rumeurs affirment même que Frédéric-Auguste avait fait exorciser les chambres du château. Et lorsque le Reichstag ose évoquer des pourparlers de paix en 1917, il entre dans une colère mémorable, pointe du doigt les « social traitres », cette Autriche qu’il soupçonne de négocier avec la France. « La guerre, rien que la guerre et la victoire du Reich » martèle Frédéric-Auguste d’Oldenburg qui ne semble pas voir l’inéluctable. Après tout, ne s’est-il pas distingué et a été même décoré par le roi Victor-Emmanuel III, nommé amiral de la flotte allemande ! ?
Lorsqu’il apprend l’abdication de l’empereur, Frédéric-Auguste d’Oldenburg s’écroule sur la chaise de son bureau. La révolution qui a éclaté à Berlin menace désormais son grand-duché. Craignant pour sa vie, il accepte de signer son propre acte d’abdication. Il est le second souverain à renoncer à ses régalia le 11 novembre 1918 alors que l’armistice vient d'être rendue publique. Il refuse de partir, se retire dans son château de Rastede et voit sa fortune fondre comme neige au soleil. La république de Weimar n’est pas tendre avec ce prince à qui elle reproche cette intransigeance qui a coûté la vie à des milliers d’allemands. Il doit vendre une partie de ses tableaux de maître afin de continuer son train de vie (ulcéré le parlement votera une loi de protection des biens culturels) mais un investissement dans une usine de saucisses va presque le mettre sur la paille en 1927. Il a vieilli , fait de la politique et s’intéresse à la montée en puissance d’un certain Adolf Hitler comme son fils héritier Nicolas qui va adhérer au parti nazi et devenir un membre des sections d’assauts. Frédéric-Auguste d’Oldenburg est un revanchard, il a compris que bientôt l’Allemagne reprendrait son chemin conquérant. Il n'aura pas l'occasion de le voir . Il meurt le 24 février 1931, entouré de ses souvenirs. Son cortège sera suivi par des milliers de personnes.
Ironie de l'histoire, depuis 2017, son arrière-petite-fille, Béatrix von Torch, est députée au Bundestag, élue sous les couleurs de l’Alternative pour l’Allemagne au Bundestag (AfD). Elle est une des leaders principales de l'extrême-droite allemande.
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