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Duy Tân, l'Empereur d'Annam au service de la France Libre

C’est un nom qui a été oublié des registres de l’histoire de France. Né prince impérial, devenu empereur d’Annam, déchu de son trône, Nguyen Phúc Vĩnh San a pourtant inscrit ses actes dans les plus belles pages de la Résistance française.

Le prince Nguyen Phúc Vĩnh San a vu le jour le 3 août 1899 (ou possiblement en 1900) en Annam, unes des provinces de l’Indochine française. Descendant de l’Empereur Gia Long, fondateur de la dynastie qui unifia le Vietnam sous son épée au cours du XVIIIe siècle, Nguyen Phúc Vĩnh va grandir dans la citadelle impériale d’Hué. Entouré des membres de la cour, des mandarins, il prend très vite conscience que son pays n’est plus d’une simple entité du protectorat français mis en place sous la IIIe République.

La capture de Saïgon en 1859

Une conquête progressive de l'Indochine française

Les relations entre la France et l’Annam ont toujours été entre miel et fiel. C’est en 1787 que le royaume de France et l’Annam ont signé un traité d’amitié. Louis XVI songe déjà à se tailler une part du lion dans cette partie de l’Asie après la perte des possessions françaises dans les Indes. Si le port de Tourane et l'archipel de Poulo-Condor sont occupés rapidement, les caisses vides, la Révolution française contraignent Paris à se retirer.  Sous la Restauration, la monarchie n’arrive pas à récupérer ses deux comptoirs et décide de se concentrer sur l’Algérie dont la conquête est censée redorer le règne de Charles X. En Annam, les persécutions contre les chrétiens se multiplient. Louis-Philippe Ier, dernier roi des Français, se décide à  intervenir et envoie alors une flotte bombarder Tourane avant de se retirer une nouvelle fois. C’est finalement Napoléon III qui va décider le début de la conquête de l’Annam en s’emparant de la Cochinchine. L’histoire de l'Indochine (composée du Vietnam, du Laos, du Cambodge et de la Cochinchine) est en marche.

l'Empereur Thành Thái avec le Gouverneur Paul Doumer

Un Empereur rebelle remplacé par son fils

En 1907, l'Empereur Thành Thái est sommé de renoncer au trône. Il avait feint la folie pour échapper à la surveillance des autorités coloniales et soutenir le mouvement de rébellion contre les Français. Moderne (il avait décidé de couper ses cheveux pour se coiffer à la Française, conduisait une voiture, avait largement renforcé la construction d’école), il souhaitait  se rendre en Chine où l’attendaient ses partisans. Ayant eu vent du complot, la France l’intercepte et l’embastille au palais de Can Chan. Officiellement, le protectorat affirme que Thành Thái a commis des actes de cruauté inadmissibles avec sa charge de souverain. C’est son fils, Nguyen Phúc Vĩnh, qui est alors choisi pour devenir le nouveau monarque d’un trône vidé de ses regalia. Une montée sur le trône qui se fait dans la douleur. « Le choix se fixa sur le Cinquième fils du roi, le prince Vinh San, (…)  La mère de ce nouvel élu ne vit point son élévation sans frayeur. Comme si elle avait prescience de la fin navrante de ce règne, elle s'accrocha aux habits de son enfant, quand on vint le chercher pour le sacrement. Laissez-moi mon fils, je ne veux point qu'il soit roi !" s'écria-t-elle. Quand on parvint à la détacher de celui qui allait posséder la toute-puissance, elle s'arracha désespérément les cheveux et se meurtrit le visage. Pauvre femme ! Pauvre enfant ! » comme le rapporte Dan Tuong, ancien Ministre des Rites à la Cour d'Annam, dans ses mémoires parues en 1924.

L' Empereur Duy Tân d'Annam

Dans les traces de son père

Devenu l’Empereur Duy Tân, le nouveau dirigeant de l’Annam est considéré comme docile par les autorités coloniales. Progressivement, il entoure sa couronne d’une auréole de colère qu’il ne cache guère. Au fil des années, il est devenu un adolescent de 16 ans, imbu de sa charge, mais qui a conscience du mécontentement de son peuple envers les colons français. Il décide de suivre les pas de son père mis en résidence surveillée. Des révoltes paysannes éclatent dans l’Empire et Duy Tân va tenter d’en prendre le leadership. Le complot est déjoué à la suite d’une trahison. Dénoncé par un fonctionnaire zélé, la France décide de mettre la Cité pourpre impériale sous la garde d’un détachement de soldats commandés par le Lieutenant Prosper Jourdan. Devenu otage, Duy Tân essaye de négocier son maintien : « Si vous m’obligiez de rester l’empereur d’Annam, il faut me considérer comme un empereur adulte. Je n’ai besoin ni d’un conseil de régence ni de vos conseils. Je dois traiter les affaires sur le même pied d’égalité avec tous les pays étrangers y compris la France » écrit-il au gouverneur de l’Indochine. Ce dernier demeure inflexible. En mai 1916, le souverain doit remettre les sceaux de l’Empire à son successeur Khải Định (1882-1925). En novembre suivant, il est embarqué avec sa famille, son père vers Saint-Denis de la Réunion. Une île qui devient une prison à ciel ouvert loin de son Annam, qui va faire naitre en lui une certaine amertume. « J'avais 17 ans. Complètement dépaysé, je m'acclimatais difficilement à La Réunion. La fièvre me tenaillait fréquemment et j'eus trois accès de bilieuse hématurique... », déclare t-il à la presse française. Il fera quelques séjours à Helbourg, une ville balnéaire aux charmes coloniaux afin de se rétablir, finalement accepte son sort tout en rêvant de retour lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate.

Palais impérial à Hué

Un souverain entré dans la Résistance

Duy Tân va surprendre. L’île de la Réunion est acquise au régime de Vichy. L’Empereur refuse de soutenir le Maréchal Pétain et décide de rejoindre la Résistance en devenant un radio-télégraphiste. Il s’est vite passionné pour les nouvelles technologies durant son exil. Lorsqu’il entend l’appel du 18 juin, il prend contact avec le Général de Gaulle qui le prie d’utiliser ses capacités au service de la France Libre. Cet engagement de l’ex-Empereur va d’ailleurs profondément marquer le héros de la Résistance.  […] De Gaulle, j’ai déjà vu ce nom-là quelque part. Qu’importe, puisqu’il veut continuer la lutte ! Quand ça serait un cul-de-jatte, il faut le suivre ! », explique Duy Tân aux Réunionnais qui refusent l’ordre incarné par les colons pétainistes. Il multiplie les provocations comme l’installation d’un « V » lumineux sur la boutique qu’il tient. Sommé de s’expliquer, il échappe à l’arrestation en affirmant qu’il lui manque des pièces pour compléter ses initiales. Ses nombreuses actions contre les autorités de Vichy lui valent pourtant une arrestation le 7 mai 1942, durant un mois. Son matériel est confisqué, mais rien qui ne saurait arrêter le monarque déchu. Il le reconstruit de ses propres mains et œuvre activement à la libération de l’île, le 28 novembre 1942. Il est alors autorisé à s’engager comme radiotélégraphiste sur le contre-torpilleur Léopard des Forces navales françaises libres (FNFL). Atteint du mal de mer, il rentre 22 jours plus tard, attendant vainement sa nouvelle nomination. Il participe à la campagne de Madagascar et intervient pour faire rentrer dans le rang un bataillon d’un millier d’Indochinois révoltés contre leurs officiers (1943). Enfin autorisé à se rendre en France en juin 1945, Duy Tân sera parmi les régiments à entrer en Allemagne.

Un empereur-résistant

Décoré par le Général de Gaulle, un destin brisé

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est libéré de son service et décoré par le Général de Gaulle qui entrevoit un nouveau destin pour le résistant. « […] Le prince Vinh San, par son attitude courageuse, ses propos, et en permettant à de nombreux auditeurs d'écouter des postes radiophoniques de la France libre ou des Alliés, postes dont l'audition était strictement interdite, a contribué à maintenir vivaces à La Réunion le flambeau de la Résistance et la foi en la victoire finale ; a été pour ce fait interné administrativement. », déclare le futur président de la Ve République en lui remettant sa Rosette. Mais pour l’heure, De Gaulle a d’autres plans. L’Indochine est en proie à une rébellion dirigée par le communiste Ho Chí Minh. Depuis le départ des Japonais, qui ont passé au fil de l’épée l’état-major français le 9 mars 1945, la colonie a plongé dans l’anarchie. De Gaulle pense alors au chef de Bataillon Duy Tân qui a lancé un appel à la résistance contre l’occupant nippon. Il faut une figure charismatique, capable d’’unifier là où l’Empereur Bao Daï a échoué. Une République a été proclamée sous les applaudissement de la foule, face au palais du Gouverneur-général. Pour la France de la IVe République naissante, De Gaulle, il n’est pas question de laisser « Oncle Hô » s’emparer du pouvoir. « Aux fins qui pourraient être utiles, je nourris un dessein secret. Il s'agit de donner à l'ancien empereur Duy-Tân les moyens de reparaître, si son successeur et parent Bao-Dai se montre, en définitive, dépassé par les événements. Duy-Tân, détrôné en 1916 par l'Autorité française, redevenu le prince Vinh San et transféré à La Réunion, a néanmoins, au cours de cette guerre, tenu à servir dans notre armée. Il y a le grade de commandant. C'est une personnalité forte. Quelque trente années d'exil n'ont pas effacé dans l'âme du peuple annamite le souvenir de ce souverain. Le 14 décembre, je le recevrai, pour voir avec lui, d'homme à homme, ce que nous pourrons faire ensemble. Mais quelles que soient les personnes avec qui son Gouvernement sera amené à conclure des accords, je projette d'aller moi-même les sceller en Indochine dans l'appareil le plus solennel quand le moment sera venu. », écrit le général Charles de Gaulles dans ses mémoires.

Ordre est donné pour que Duy Tân soit restauré sur son trône sous la protection de Paris. Le Général Leclerc a même reçu un appel pour regrouper ses forces sur Saïgon. Le plan prévoit de sauter sur Hué avec les parachutistes.  La Cochinchine deviendrait indépendante après référendum et l’Annam conserverait ses liens avec la France sous le sceau d’une nouvelle Indochine française renouvelée. Le monarque ne cache pas sa joie de revenir dans son pays. Le destin va pourtant en décider autrement. Le 24 décembre 1945, il embarque et fait escale à Alger avant de repartir. Deux jours plus tard, vers 18 heures 30, le Lockheed Lodester C-60 qui le transporte, a un problème de moteur et s’écrase brutalement en Centrafrique. « Vraiment, la France n’a pas de chance ! », aurait murmuré De Gaulle lorsqu’on lui apprend la nouvelle. Triste fin d’un Empereur devenu résistant au service d’un pas qu’il avait combattu, illustration de l’avant-dernier chapitre d’une histoire qui devait se terminer un matin de 1954 sur le champ de bataille de  Diên Biên Phu, qui a laissé souche derrière lui à la Réunion.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 08/05/2024

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