Une maison qui cherche son empire

La famille impériale Turque à LondresPeu commenté par la presse française à l’issue de sa visite en France le 6 janvier dernier, c’est en toute discrétion que le président Recip Tayep Erdogan a rencontré les différents membres de la famille impériale de Turquie au sein de son ambassade à Paris alors que le parlement étudie toujours une proposition de statut officiel pour les membres de la dynastie Osmano?lu.

Soumise à la Grande Assemblée nationale (Türkiye Büyük Millet Meclisi) depuis décembre 2016, celle-ci tente toujours de déterminer quels rangs, statuts et pensions doivent être attribués aux descendants de la famille impériale, jugés très proches du Parti de la justice et du développement (AKP). Récemment encore et preuve en soi, le prince (?ehzade) Orhan Osmano?lu a fustigé dans la presse cette opposition qui est « anti-patriotique » la qualifiant publiquement de « traître » et réclamant à ses concitoyens de ne plus voter pour eux. Avec l’abolition du califat en 1924 par Mustafa Kémal et la proclamation de la république, la famille impériale avait dû prendre le chemin de l’exil après 471 ans de règnes sans partages sur une partie de l’Europe, de l’Afrique, de l’Arabie, du Proche et Moyen-Orient. Paris, Londres, Washington, Rome, ces capitales autrefois honnies par le Divan, allaient accueillir tour à tour les Osmano?lu aux destinées diverses. Et si les princesses sont enfin autorisées à revenir dans le pays en 1952, il faudra attendre encore 20 ans de plus à leurs maris pour débarquer à Istanbul. Retour timide, embrassades, ils ne sont plus que des citoyens à qui on fait la révérence lors des rares visites qu’ils effectuent dans ce qui furent leur anciens palais et autres harems.

Erdogan et l'OttomanismeL’arrivée au pouvoir des islamos-conservateurs (2002) va précéder la réhabilitation officielle de la maison impériale qui se retrouve soudainement sous les feux de l’actualité. Nationalisme émergent et expansionniste, exacerbé par un parti qui entend recréer cette sphère d’influence dont la Turquie a été privée après la première guerre mondiale, c’est une vague d’ottomanisme qui submerge le pays alors que celui-ci négociait avec difficultés son entrée au sein de l’Union européenne. Et qui trouvera son point d’orgue avec la rencontre médiatisée du ministre des affaires étrangères turques et la famille impériale en 2013. L’alliance entre la maison impériale et l’AKP ne fait d’ailleurs plus de doutes pour la presse locale lorsque Recep Tayeb Erdogan commence à les inviter régulièrement à des cérémonies officielles. La collusion entre l’AKP et les Osmano?lu est encore plus qu’évidente lorsque, peu de mois avant sa mort, l’héritier au trône, le prince Osman V Ertu?rul Osmano?lu (1912-2009), accorde une interview au journal télévisé Al Jazeera et, en dépit de l’insistance du journaliste, refuse de critiquer le tombeur de la dynastie préférant louer ouvertement cette « démocratie qui fonctionne bien en Turquie ». Ses funérailles nationales draineront des centaines de milliers de personnes et autres membres du gouvernement venus s’incliner sur son cercueil revêtu de l’ancien drapeau de l’empire.

Érigée en quasi fête nationale de plus en plus spectaculaire chaque année, la prise de Constantinople est hautement célébrée chaque mois de mai par le gouvernement. Réhabilitée, elle a même fait l’objet d’un film en 2013, revisité à la gloire de Mehmet II à grands renforts d’effets spéciaux qui rendent la production très controversée (trailer*). L’Ottomanie est désormais à la mode en Turquie et son porte-parole la plus ardente est la princesse Nihan Osmano?lu , petite-fille d’Abdul Hamid II (1842-1918), dit le Sultan rouge et connu pour avoir organisé un massacre de grande ampleur des arméniens . Tantôt habillée comme une princesse de l’empire défunt avec une élégance à faire rougir un imam, posant sous les armoiries de sa famille et aimant à se faire appeler « Sultane » elle n’hésite pas à prendre la parole, la tête sous un foulard islamique, devant des membres de l’AKP réunis en congrès. Cette propriétaire du Galatasaray Spor Kulübü, a même créé une ligne de vêtements inspirés de ceux que l’on portait sous le règne de la Sublime Porte et que les stambouliotes s’arrachent. Toutes générations confondues, priées depuis peu d’apprendre l’alphabet en vigueur sous l’ancien régime ottoman.

Gardes ottomans aux abords du palais présidentielCe monarchisme renaissant, qui se traduit par la multiplication des documentaires en tout genre, invitations des princes par les mairies et autres soap-opéras pro osmanlis, n’est d’ailleurs pas du goût de tous La Turquie est désormais divisée entre nostalgiques du grand empire et tenants de la laïcité kémaliste qui dénoncent un retour à l’obscurantisme et au despotisme, opposition en tête. Interrogé par le magazine « Grazia » pour Edhel Eldem, professeur d’histoire à l’université du Bosphore, « Avec l'AKP, on assiste à un "ottomanisme" sans frein. Il n'y a plus de limites, absolument aucun regard critique sur le passé. Ce qui est ottoman est par définition préférable à toutes les alternatives». Lorsque le président américain, Donald Trump, a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël en décembre dernier, tout comme le gouvernement, la famille impériale de Turquie a été vent debout pour condamner cette décision et dont la presse s’est faîe les choux gras.

La Turquie serait-elle à l’aube de restaurer sa monarchie, prochaine étape logique de la réhabilitation de la dynastie des Osmano?lu ? En dépit de l’existence d’un mouvement monarchiste installé en Allemagne (Club Ottoman) et qui ne rassemble qu’une petite partie de la diaspora turque, pour Edhel Eldem les chances du retour d’un sultan (actuellement depuis janvier 2017, le prince Dündar Ali Osman Osmano?lu, né en 1930) sur son trône ne sont pas envisageables. Il préfère renvoyer les experts vers des réalités plus concrètes et loin de tous fantasmes idéologiques venus de l’Occident : « l'idée que nous allons vers une recréation de l'Empire ottoman n'a pas de sens. L'ottomanisme est beaucoup plus utile à l'Etat en tant qu'idéologie et élément de décoration qu'en tant que projet politique. Si cette manie historicisante est si puissante, c'est à cause… d'un déficit démocratique en Turquie » affirme-t-il, rappelant ainsi que le gouvernement islamo-conservateur mène toujours une purge anti-démocratique sans précédents depuis la tentative de putsch pro-kémaliste ratée de 2016.

copyright@Frederic de Natal

* : Trailer : https://www.youtube.com/watch?v=Lds1kgSmCyQ

Publié le 16/01/2018

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