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Putsch en embuscade : le clan Shinawatra face à l’ordre royaliste

La Thaïlande s’enfonce à nouveau dans une crise politique larvée. Autour du clan Shinawatra, honni de l’establishment royaliste et militaire, la tension monte alors que l’armée, pilier du royaume aux côtés du roi Rama X, laisse planer la menace d’un nouveau coup de force. 

La Thaïlande replonge dans un cycle de tensions politiques dont elle semble prisonnière depuis deux décennies. Des milliers de manifestants anti-gouvernement se sont réunis samedi  28 juin 2025 à Bangkok pour exiger la démission de Paetongtarn Shinawatra, dernière héritière d’un clan honni par l’establishment royaliste et militaire. En toile de fond, une monarchie sous l’autorité du roi Rama X, et une armée qui, depuis 1932, reste l’ultime arbitre de la vie politique du royaume.

 

 

Une dynastie honnie par l’élite conservatrice

Le clan Shinawatra est synonyme de polarisation en Thaïlande. Tout commence avec Thaksin Shinawatra, magnat des télécoms devenu Premier ministre entre 2001 et 2006 , élu grâce à une stratégie de populisme assumé et un discours de redistribution en faveur des campagnes. Mais ses opposants, regroupés derrière les « Chemises jaunes », vont très rapidement le considèrercomme une menace pour l’ordre social traditionnel, fondé sur l’alliance entre la monarchie, l’aristocratie, l’armée et les élites urbaines.

Paetongtarn Shinawatra (38 ans), novice en politique, est la quatrième membre de cette famille à occuper le fauteuil de Premier ministre après son père Thaksin (lequel a été renversé par un pustch) , sa tante Yingluck (Première ministre entre 2011 et 2014, destituée par la cour Constitutionnelle à la suite d’un mouvement de protestation) et son oncle par alliance Somchai Wongsawat (brièvement Premier ministre en 2008). En moins d’un an, la jeune dirigeante, accusée d'être la marionnette de son père, a cristallisé déjà les rancœurs. Samedi, environ 4 000 manifestants ont brandi drapeaux thaïlandais et pancartes autour du Monument de la Victoire à Bangkok. Parmi eux, de nombreux vétérans des mouvements « Chemises jaunes » qui, déjà dans les années 2000, avaient aidé à renverser le gouvernement de Thaksin.

 

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Un faux pas diplomatique qui enflamme la rue

L’étincelle est venue d’un simple appel téléphonique. Dans une conversation ayant fuité, Paetongtarn Shinawatra  aurait comparé un général thaïlandais à un « opposant » et adopté un ton jugé trop familier avec l’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen, qu’elle a appelé « oncle ».  Un évènement qui intervient dans un contexte de conflit frontalier entre le Cambodge et la Thaïlande, où un militaire cambodgien a été tué par un thaïlandais en mars dernier. « C’est leur droit de protester, du moment que les choses se font sans violence », a-t-elle tenté de tempérer face aux journalistes avant de se rendre dans le nord du pays, touché par des inondations.

Mais le mal est fait : « Nous sommes face à un Premier ministre qui porte l’ADN d’un traître, tandis que nos soldats protègent la souveraineté nationale », a accusé le Dr Warong Dechgitvigrom, chef royaliste du Parti Pakdee. Selon lui, cet appel révèle une collusion autour d’« activités commerciales clandestines et d’intérêts maritimes ». « Elle devrait s’alarmer de la foule présente aujourd’hui. Si elle ne change pas de cap, elle n’aura d’autre choix que de démissionner », a-t-il prévenu.

 

 

L’armée, gardienne de l’ordre monarchique

Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, la Thaïlande a connu pas moins de douze coups d’État réussis. L’armée, bras armé du conservatisme royaliste, reste prête à intervenir si ses intérêts ou ceux du roi Rama X sont menacés. « Je ne m’opposerai pas à ce que l’armée fasse quelque chose », a lancé Sondhi Limthongkul, vétéran des Chemises jaunes, devant une foule de plusieurs milliers de personnes. « Si l’armée veut intervenir en cas de crise nationale, qu’elle le fasse, mais que la sélection du Premier ministre implique la participation du public. », a ajouté leader ultra-royaliste.

Derrière cette contestation, l’ombre du roi Maha Vajiralongkorn, plus connu sous le nom de Rama X, plane sur la crise. Monarque controversé mais puissant, il incarne la continuité d’un système où le trône, l’armée et l’oligarchie urbaine forment un rempart face aux velléités populistes du clan Shinawatra.

 

 

Une semaine à haut risque

La semaine s’annonce décisive. Mardi, la Cour constitutionnelle pourrait se saisir d’une pétition de sénateurs réclamant la destitution de la Première ministre pour manque de professionnalisme. Dans le même temps, Thaksin, son père, comparaîtra pour des accusations de lèse-majesté liées à des propos tenus il y a dix ans. « De par mon expérience auprès des politiciens, je suis convaincu que Thaksin finira en prison. Notre peuple apprendra bientôt une bonne nouvelle : Ung Ing (surnom de Paetongtarn) ne peut plus avancer », promet le Dr Warong.

Si la Cour venait à suspendre la Première ministre, et si Paetongtarn refusait de quitter son poste, « la dernière mouture du mouvement anti-Shinawatra intensifiera ses protestations », a averti Jatuporn, un autre chef de file royaliste.

Plus de 90 ans après la fin de la monarchie absolue, l’armée et le trône conservent un levier redoutable : la rue, les tribunaux et, en dernier ressort, le pouvoir de forcer quiconque à céder.

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 30/06/2025