Le royaume de Thaïlande au bord de la révolution

Les manifestants demandent a la monarchie de se reformer« Notre objectif n'est pas de détruire la monarchie, mais de la moderniser ! ». C’est très symboliquement que, le 19 septembre, les étudiants ont cimenté une plaque en face du Grand palais de Bangkok, réplique de celle qui commémorait depuis 1932 la fin de la monarchie absolue et qui avait été enlevée mystérieusement lors de l’avènement du souverain actuel sur son trône. Alors que les manifestations pro-démocratie se multiplient et réclament une réforme profonde de la monarchie, le roi Rama X  va-t-il être la victime d’une révolution qui ne dit pas encore son nom ?

Les manifestants apposent la plaque symbolique devant le grand palais«A cet endroit, le peuple a exprimé sa volonté: que ce pays appartient au peuple et n'est pas la propriété du monarque ». Jamais la  monarchie thaïlandaise n’avait été autant l’objet d’attaques aussi directes de la part des manifestants que depuis ces derniers jours. Des dizaines de milliers de Thaïs, 50000 selon les organisateurs,  ont défilé ce week-end dernier  et se sont rassemblés face au Grand Palais royal de Bangkok, vidé de ses occupants, avant de cimenter sur le sol une plaque commémorative, similaire à celle qui avait été installée pour commémorer l’avènement de la monarchie constitutionnelle en 1932, mystérieusement disparue à l’avènement du roi Rama X en 2016. Trois doigts de la main levés au ciel, signe de rébellion emprunté au film « Hunger Games », les participants à cette manifestation n’ont pas hésité à crier «  à bas la féodalité, vive la nation » défiant ainsi ouvertement le roi accusé de vivre une vie luxueuse et  de débauche au détriment de ses sujets. Principalement composés d’étudiants qui bénéficient de fort relais sur les réseaux sociaux, depuis le début de l’Eté, ils réclament la démission du gouvernement dirigé par le général putschiste de 2014, Prayut Chan-O-Cha, et l’abrogation de la loi de crime de lèse-majesté qui interdit à quiconque de critiquer la monarchie considérée comme intouchable, toujours soutenue par l’aristocratie et l’élite militaire qui assurent sa défense.

Manifestant anti monarchie« La nation n’appartient à personne, mais à nous tous », a expliqué le leader étudiant Parit Chiwarak à la presse présente. Les nombreux séjours du monarque en Europe, spécialement en Allemagne où étudie son fils héritier de 15 ans, Dipangkorn Rasmijoti, ont irrité les thaïlandais. Son dernier voyage en Bavière dans un hôtel 5 étoiles avec une importante suite de domestiques amenés avec lui, en pleine crise de Covid, a été le prétexte à ces soulèvements qui prennent leurs racines à l’université Thammasat, déjà à l’origine d’une autre contestation identique en 1976, réprimée dans le sang. En réclamant des réformes, c’est un geste de rejet de la mainmise de l’état par le monarque et un durcissement des positions des manifestants  qui a fait réagir les ultra-royalistes. Ces derniers se sont empressés, une fois les contestataires  partis, de détruire la plaque commémorative.

Manifestants pro democratie getty« Notre objectif n'est pas de détruire la monarchie, mais de la moderniser, de l'adapter à notre société » affirme un autre leader pro-démocratie qui est persuadé que le « peuple se réveille enfin ». La monarchie tient bon et ne cède pourtant pas. Bien que la police ait reçu l’ordre de ne pas intervenir et de laisser les thaïlandais s’exprimer, le gouvernement a averti à diverses reprises les contestataires et brandi la menace d’une recrudescence de cas de covid-19 afin de tenter de les faire rentrer chez eux. Leurs revendications, remettant en cause l’ordre monarchique établi, sont inacceptables et sont rejetées a d’ores et déjà annoncé le gouvernement qui craint aussi un affaiblissement de son économie tributaire du tourisme. Un pays au bord de la récession qui pourtant a acheté des sous-marins aux chinois. Une dépense qui est mal passée aux yeux des manifestants.

Les manifestants reclament la fin de la loi anti lese majeste« A bas la dictature, vive la démocratie, Prayut dehors » crient les étudiants. C’est presque une ambiance de révolution française qui règne dans l’ancien Siam. La quasi-totalité du royaume n’échappe pas à la contestation estudiantine à laquelle se sont jointes des associations politiques proches des Shinawatra. Une famille qui a donné deux premiers ministres à la monarchie, renversés également par les uniformes kakis. Et pour les ultra-royalistes, vêtus de jaune, la couleur du roi, c’est un complot organisé par les Shinawatra. Preuve en est pour eux les drapeaux rouges présents aux manifestations, couleur de leurs partisans, et leur récent communiqué qui  fait part de leur sentiment sur la situation qui prévaut dans le pays, prenant garde toutefois de ne pas  apporter officiellement leur soutien au mouvement de ces séditieux.  Un royaume qui pourrait basculer à tout moment dans la guerre civile, à moins que la dynastie Châkri ne soit encore secouée par un énième coup d’état qui la sauvera d’une menace qui pourrait mener à terme à sa chute et que ses partisans redoutent.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 22/09/2020

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