Le roi et le Yogi

Yogi adityanath et gyanendraL’annonce de la venue du premier ministre de l’état indien d’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath,  pour l’inauguration de la voie de train de Janakpur-Jayanagar,  a mis en colère une partie des cadres du Congrès népalais qui n’ont pas hésité à parler « d’humiliation » comme le précisait lors d’une interview le vice-président du premier parti d’opposition. Une venue « inacceptable » selon  Bimalendra Nidhi qui a demandé à New Delhi de reconsidérer la présence de cet élu nationaliste du Bharatiya Janata Party. Mais que reproche-t-on donc à ce moine ultra –hindouiste ? Simplement de vouloir restaurer la monarchie au Népal.

La quarantaine fringante passée, le 21ème premier ministre indien d’Uttar Pradesh ne cache guère ses opinions monarchiques. Le 8 janvier 2018, il a reçu au palais du gouvernement, le roi Gyanendra Shah comme un souverain en exercice. Ce moine, qui a adhéré au mouvement nathique « Ram Janmabhoomi » dirigé par l’ultra-nationaliste hindou Mahant Avaidyanath, est également à la tête du temple Gorakhnath Math dont l’influence religieuse va de l’Inde au Népal. On prête d’ailleurs des pouvoirs quasi divins aux yogis nathiques, dont celui de contrôler le temps, et le roi-shahs du Népal ont toujours assuré leurs droits dans la vallée de Katmandou. Prophétie oblige.

La légende affirme que le roi Prithvi Narayan Shah, fondateur de la maison royale, rencontra au cours d’un rêve le gourou Gorakhnath. Ce dernier qui  avait vomit du lait caillé demanda au monarque de le manger. Mais comme le souverain refusa d’obtempérer, Gorakhnath maudit alors le roi en lui désignant ses 10 doigts : « Chacun d’entre eux symbolise chaque génération de ta famille qui régnera ! A la 11ème, elle disparaîtra emportée par les larmes de sang ». En 2001, arrivée au terme de la 10ème génération, le palais Narayanhiti a été le témoin d’une horrible tragédie. Avec le roi Birendra, assassiné par son fils dans un moment de folie, Gyanendra Shah est désormais le dernier représentant de cette dynastie qui a présidé les destinées du Népal entre 1768 et 2008.

Yogi adityanath«Les deux hommes se connaissent depuis des décennies et il s’agit d’une visite privée », s’était empressé d’affirmer le service de presse officiel lors de la rencontre entre l’élu indien et le demi-dieu de la dynastie Bir Bikram Shah. Tout le protocole religieux qu’impose cette rencontre avait été même respecté. Reçu comme un chef d’état en exercice, Gyanendra avait reçu des mains du yogi un châle blanc, symbole censé détruire toutes les mauvais esprits selon la mythologie hindoue. L’ancien roi destitué se rend régulièrement au temple de Gorakhnath et chacune de ses visites draine derrière lui des centaines de royalistes au grand dam des partis de l’opposition, irrités par les manœuvres du roi déchu. Certain craignant même qu’insidieusement, il n’utilise ses pèlerinages afin de promouvoir l’idée de restauration de la monarchie.

Un roi aux pouvoirs uniquement religieux ? Une idée qui avait été avancée en 2007, peu de temps avant la chute de la monarchie et qui reste encore une solution avancée par la mouvance royaliste. Alors qu’il n’était que député de Gorakhpur, Adityanath a fait de fréquentes visites officielles au Népal et évoqué la nécessité de restaurer la monarchie. En mars et octobre 2017, ses critiques contre l’adoption de la laïcité ont été fort remarquées par la presse népalaise. L’Indian Express mentionne même que le Yogi a rencontré le roi au cours de ses visites. De quoi inquiéter les partis de la gauche et d’extrême-gauche népalaise qui voit là aussi, une tentative d’ingérence de l’Inde voisine.

Le Yogi Adityanath est membre du Bharatiya Janata Party (BJP). Un parti d’extrême-droite,  au pouvoir en Inde depuis 2014, qui partage les mêmes points de vues que le Rastriya Prajatantra Party, le principal mouvement monarchiste népalais. Le Nepali times n’hésite d’ailleurs pas à écrire en mars 2017 que « les royalistes hindous espèrent que l’arrivée au pouvoir d'Adityanath aidera leur cause ». Y compris parmi certains élus du Congrès népalais encore sensibles et divisés sur la question monarchique. « La nomination d'un ministre en chef en Inde importe peu d’habitude  au Népal. Mais celle de de Yogi Adityanath, [né Ajay Singh Bisht (??? ???? ?????)-ndlr], au poste de ministre en chef de l'Uttar Pradesh a bouleversé la sphère politique népalaise » écrivait encore le Nepali Times qui se fait ainsi l’écho de l’anxiété palpable des mouvements d’opposition à ce sujet (le Nepal Foreign Affairs évoquant, quant à lui, une véritable « psychose »). Et particulièrement après certaines de ses déclarations où il avait accusé «mère Teresa de  faire partie de la conspiration destinée à christianiser l’Inde», appelant  les Hindous à «déterrer les cadavres des femmes musulmanes pour les violer» ou quand il n’accuse pas l’Europe de faire l’apologie du féminisme ou de l’homosexualité en Asie.

Gyanendra et son petit filsC’est d’ailleurs sous son impulsion que les monarchistes ont poussé l’assemblée nationale népalaise a adopté une loi « anti-conversion ».  Pour le premier ministre d’Uttar Pradesh, il y a urgence à restaurer la monarchie afin de faire barrage à la Chine, trop présente sur le sous-continent. Déjà en 2008, lors d’un congrès  de la Fédération mondiale hindoue rassemblant divers mouvements hindouiste, il dénonçait la proximité d[es maoïstes avec Pékin. Des accusations reprises par le Rastriya Prajatantra Party lors de la campagne électorale en 2017. « La monarchie est le seul système qui peut unifier le Népal » déclarait-il alors. « Nous étions fiers du fait que le Népal soit le seul royaume hindou dans le monde (…). La monarchie est essentielle non seulement pour nos problèmes intérieurs, mais aussi pour des raisons de sécurité vis-à-vis de nos voisins. Donc, nous devons respecter le système monarchique qui a prévalu Népal et pour cela il faut restaurer le roi.» surenchérissait-il lors d’un discours la même année.

« La monarchie va –elle être de retour ? » avait titré devant de tels agissements le journal « My Republica » en mai dernier, évoquant les manœuvres du Yogi Adityanath.Attendu au festival de Janakpur le mois prochain, en compagnie du ministre de l’Intérieur indien, il devrait rejoindre le roi Gyanendra Shah, présent à toutes les cérémonies religieuses du pays. Son omniprésence au sein des affaires intérieures de la nouvelle république  a provoqué l’exaspération de certains cadres de partis de l’opposition qui ne supportent plus les activités monarchistes du prêtre hindou à ses frontières. Y compris par le gouvernement de coalition de gauche qui a appris par voie de presse, la présence du premier ministre d’Uttar Pradesh pour l’inauguration de la voie de train de Janakpur-Jayanagar, ou même par certains cadres du Congrès népalais qui n’ont pas hésité à parler ouvertement d’une tentative « déstabilisation de l’état ».Devant l’affaire qui menace de dégénérer en incident diplomatique, l’ambassade indienne à Katmandou a bien confirmé la présence de cet hindou pro-monarchiste en précisant toutefois que Yogi Adityanath « ne resterait que quelques heures et ne participerait à aucune autre commémoration ». Fermer le ban !

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 26/11/2019

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