Le Japon impérial

«Nous sommes dédiés à notre cause conservatrice. Nous sommes des monarchistes. Nous sommes en faveur de la révision de la Constitution. Nous sommes pour la gloire de la nation»

Hideaki Kasi (2006)

 

56 1« Plus l'empereur effectue de voyages commémoratifs en hommage aux victimes de la guerre, plus le sanctuaire de Yasukuni est ostracisé ». Début octobre, le commentaire lapidaire de  Kunio Kohori, paru dans le Shukan Post magazine, a fait les principaux titres des manchettes nationales et internationales. Grand prêtre du temple de Yasukuni, construit sous l’ère Meiji, c’est la première fois qu’un membre du haut-clergé Shinto se permet de critiquer aussi ouvertement l’empereur Akihito. Depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre Shinz? Abe (2012), le « pays du Soleil Levant » subit de plein fouet un tsunami nationaliste qui a submergé le Japon. Alors que l’empereur s’apprête à se retirer en avril prochain du trône du Chrysanthème, les ultra- monarchistes manœuvrent en coulisse pour rendre au descendant de la déesse Amaterasu tous ses pouvoirs divins.

 

Le 15 août 1945, quelques jours après le largage par les américains des deux bombes atomiques à Nagasaki et Hiroshima, le Japon millénaire entend pour la première fois la voix de son empereur. A la radio, Hiro-Hito, lit un communiqué qui annonce la reddition de l’armée impériale. Dans un silence glaçant, ses sujets écoutent, têtes baissées, certains se prosternent en entendant ce son nasillard et triste qui s’échappe des écouteurs de radio, d’autres décideront de se faire Hara Kiri, cette pratique qui consiste à se suicider. Le pays n’allait pas tarder à être occupé par les américains, l’empereur obligé de confesser publiquement qu’il « n’était pas un dieu » et de renoncer à cette divinité, pierre angulaire de sa royauté pour un rôle plus constitutionnel.

 

Avec cette transformation de la monarchie, c’est tout le « kokutai », le «corps national »,  qui allait être bouleversé. Base même du nationalisme japonais qui s’entremêle étroitement avec la préservation du système impérial et la figure même du Mikado, c’était un siècle d’éducation comme l’état-nation qu’il avait fallu sauver lors des négociations. Shinz? Abe est l’héritier d’une famille politique qui a juré fidélité à la maison impériale. Son arrière-grand-père est le  vicomte ?shima Yoshimasa qui s’est illustré aux côtés de l’empereur Meiji dans sa guerre contre les derniers Shoguns. Il sera chargé de forcer les chinois à se retirer de la Corée et de mener ses troupes à la victoire contre les russes à Moukden, en Mandchourie. Son grand–père maternel n’est autre que Nobusuke Kishi, un ancien haut-fonctionnaire de l’état fantoche du Mandchoukouo, leader du Parti Libéral-démocrate et un premier ministre d’Hiro-Hito, entre 1957 et 1960, qui va s’employer à faire amnistier tous les généraux emprisonnés comme « criminels de guerre » par Washington. Il est aussi le petit-neveu d’un autre premier ministre (1964-1972), Eisaku Sat?. Autant dire que dans le sang de Shinz? Abe, tant son arbre généalogique compte encore de nombreux politiciens divers,  coule toute l’histoire de l’empire japonais, lors de la seconde guerre mondiale. Chaque année, ils sont des dizaines de milliers à venir se rassembler devant le palais impérial, à Tokyo,  pour les festivités du nouvel an. Les drapeaux ornés du disque rouge symbolisant le soleil, sur fond blanc sont déployés par les plus patriotes des japonais. Certains sont habillés des anciennes tenues militaires du règne précédent, Showa, L’arrivée de la famille impériale se fait sous les clameurs de la population.  « Banzaï ! » (dix milles ans de vie) peut-on entendre. La monarchie est extrêmement populaire et toujours indissociable de la vie des japonais. A peine 4% d’entre eux souhaitent son abolition selon un sondage Ipsos daté de mai 2018. Pour Shinz? Abe, il est désormais temps de redresser le Japon et le replacer au centre des intérêts stratégiques du bassin asiatique. Il « cultive sans ambiguïté son nationalisme » et se pose avec son frère en champion de l’ultra –conservatisme monarchique.

52 La famille impériale manque de princes masculins !?  Il refuse publiquement toute modification des lois de successions en faveur des femmes, tel qu’il a été stipulé dans l’acte de 1947, arraché de justesse par les nationalistes de l’époque aux américains. Et il n’est pas le seul. C’est tous les partis d’extrême-droite vent debout contre un tel projet qui a créé de vifs débats au sein de la Diète, le parlement.  Alors que celui-ci vient de voter une loi controversée, autorisant l’empire à faire entrer des travailleurs étrangers, le leader du Parti du Soleil Levant, l’ancien député Takeo Hiranuma, qui partage avec Shinz? Abe, un arbre politique tout aussi éloquent, avait vertement critiqué en 2006 cette loi en préparation, affirmant qu’elle autoriserait les princesses de la maison impériale à se marier avec « des Gaikokujins aux yeux bleus ».

Le gouvernement a fait récemment renforcer le rôle impérial au sein de son système d’éducation nationale non sans revisiter celui du Japon durant le dernier conflit mondial.

 

Désormais la caste militaire au pouvoir sous Hiro Hito est présentée sous ses meilleurs jours. La refonte des manuels scolaires est principalement due à l’action de la Nippon Kaigi, littéralement « La Conférence du Japon », un mouvement qui compte pas moins de 40000 membres actifs, parmi lesquels des ministres et des députés (300 des 480 membres, élus en 2016, étaient membre de ce mouvement d’après le Mainichi newspaper comme 14 des ministres sur 18 du gouvernement d’Abe). A sa tête, le frère du premier ministre lui-même. L’organisation prône le retour aux fondamentaux de l’empire du Japon, l’abolition de l’article 9 de la constitution qui empêche la monarchie de se remilitariser, souhaite ré-instaurer l’absolutisme comme système de pouvoir unique (tenn?-sei), l’interdiction du féminisme comme la remise en cause des droits des homosexuels ou encore l’égalité des sexes contre laquelle elle avait fait campagne en 1999. Une ironie au pays des mangas, ces bandes dessinées qui cultivent l’art de l’androgynie où les yaoi font pourtant parti de la culture populaire japonaise. Une hérésie pour d’autres. « Nous sommes dédiés à notre cause conservatrice. Nous sommes des monarchistes. Nous sommes en faveur de la révision de la Constitution. Nous sommes pour la gloire de la nation» n’avait pas hésité à affirmer à Reuters en 2006, Hideaki Kasi, un critique historique, membre de la  Nippon Kaigi, connu pour nier le massacre de Nankin, ce meurtre de masse planifié par les japonais en Chine, en 1937.

58Un regain de nationalisme qui inquiète particulièrement la Chine (le mouvement militaro-nationaliste du Ganbare Nippon ou le Parti patriotique du Grand Japon organisent régulièrement des manifestations anti-chinoises) et la Corée voisines qui réclament que le Japon s’excuse pour l’utilisation forcenée de ces  « femmes de réconforts », véritables esclaves sexuelles vouées aux plaisirs des soldats de l’armée impériale

 

En 2014, le ministre des affaires étrangères, Hirofumi Nakasone, avait mis en place une commission chargée de restaurer l’honneur de l’empire bafoué par ces accusations. Il est le fils d’un ancien premier ministre, alors ancien lieutenant durant le conflit, qui avait été félicité par l’état-major pour avoir brillamment organisé en 1942, une « station de réconfort », en Indonésie, alors pays partie intégrante de la « sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale ». Les visites régulières de Shinz? Abe au temple de Yasukuni (« qui honore 2,5 millions de personnes décédées pendant les plus récentes guerres, parmi lesquelles figurent 14 criminels de la Seconde Guerre mondiale, est pour cette raison honni par les voisins asiatiques victimes des atrocités de l'armée nippone » comme nous le rappelait il y a peu Paris Match. Et qui a reçu la visite d’un certain nombre de dirigeants politiques étrangers comme par exemple Jean-Marie Le Pen ou Bruno Gollnisch pour l’ancien Front national) sont aussi pour les ultras–monarchistes le moyen « d’exalter ce passé » glorieux dans toutes ses formes, expliquait en 2016, Edouard Pflimlin, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à France TV info. Et qui permet à l’empire de devenir un contrepoids à l’hégémonie grandissante de la Chine communiste. L’extrême-droite japonaise (Uyoku dantai), qui organise des commémorations diverses en hommage à l’ère Showa, finance d’ailleurs un groupe monarchiste nébuleux basé à Taïwan et qui prône la restauration de la monarchie au sein d’un Mandchoukouo indépendant.

51 1Shinz? Abe a développé une rhétorique, baptisé le « Torimodosu » (retour du japon) qui s’inscrit dans une ligne à la fois nationaliste et néo-libérale, aux accents très thatchériens. Dernière idée en date de ce monarchiste convaincu, celle de réviser l’article 20 de la constitution qui impose le principe de laïcité. Si le premier ministre arrive à faire voter une telle loi, le futur empereur Naruhito, pourrait bien redevenir un empereur théocratique avec des pouvoirs renforcés confiait Xavier Mellet, professeur à l’université Waseda au magazine « Asialyst », le 5 décembre. Pas sûr que le principal intéressé apprécie particulièrement les manœuvres d’un homme, bénéficiant encore d’une large côte de popularité, lui qui entend  juste se placer dans les pas de son père et qui ne goûte guère les thèses révisionnistes en vigueur.  Kunio Kohori s’est d’ailleurs fait l’écho de ce refus du prochain souverain à accepter l’inéluctable qui s’offre à lui, accusant la futur impératrice Masako, de « haïr le shintoisme » en étant incapable de mettre au monde un garçon. Avant de s’excuser devant le Kunaïcho, l’agence impériale qui gère au millimètre près la communication et l’image de la maison impériale.

En 2016, lors du 71ème anniversaire de l’acte de reddition du Japon, devant plus de 20000 personnes réunies à cette occasion, l’empereur Akihito, avait été salué par un tonnerre d’applaudissements et aux cris de « Banzaï ». Pris par surprise, l’empereur et son épouse s’étaient alors inclinés en guise de remerciements. Tout un symbole !

 

Frederic de Natal

Paru le 22/12/2018

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