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Les Japonais réclament une réforme de la succession au trône

Le Japon fait face à une sévère crise de succession depuis des années. L'absence d'une lignée masculine plus forte au sein de la dynastie impériale devrait désormais contraindre le gouvernement conservateur à prendre des dispositions historiques pour le futur de la monarchie.

Seul héritier masculin de la maison impériale en âge de monter sur le trône du chrysanthème, le prince Hisahito vient de fêter ses 18 ans. Le Japon s’interroge plus que jamais sur l’avenir de sa monarchie millénaire. La plus ancienne dynastie du monde, symbole d’unité nationale, se trouve aujourd’hui fragilisée par une législation héritée de l’après-guerre, qui exclut les femmes de la succession. Le débat, longtemps tabou, est désormais sur la place publique. Les Japonais sont appelés à trancher entre respect de la tradition et nécessité de réformer une institution vénérable pour l’inscrire dans la modernité.

 

 

Une lignée millénaire au bord du gouffre

La maison impériale japonaise, dont la tradition veut qu'elle remonte au légendaire empereur Jimmu (660 av. J.-C.), est aujourd’hui confrontée à une crise de succession sans précédent. L’actuel empereur, Naruhito, monté sur le trône du Chrysanthème en mai 2019 après l’abdication de son père Akihito – une première depuis plus de deux siècles –, n’a qu’une fille, la princesse Aiko de Toshi (née en 2001). Or, selon la loi de la maison impériale adoptée en 1947 sous l’influence des autorités d’occupation américaines, seules les personnes de sexe masculin et issues de la lignée paternelle peuvent accéder au trône.

Résultat : seuls trois hommes figurent aujourd’hui sur la ligne de succession : le prince héritier Fumihito (dit Akishino), frère cadet de l’empereur et père d'Hisahito, et le prince Hitachi, âgé de 89 ans, sans descendance. Autant dire que l’avenir de la monarchie repose, à terme, sur les épaules d’un jeune homme à peine majeur peu pressé de se marier comme il l'a précisé lors d'une interview.

 

 

La société japonaise face à un tabou

La famille impériale ne compte aujourd’hui que seize membres. Cette réduction drastique s’explique notamment par l’interdiction faite aux femmes de conserver leur statut impérial après leur mariage. Ainsi, la princesse Mako, fille aînée du prince Akishino, a quitté la famille en 2021 après son union avec un roturier, tout comme la princesse Sayako, fille de l’empereur Akihito, en 2005. Elles ont toutes deux perdu leurs privilèges et rang. Si la loi reste en l’état, la maison impériale est vouée à une lente disparition. Actuellement, cinq princesses non mariées âgées de plus de 20 ans demeurent dans la famille. Mais dès lors qu’elles prendront époux, elles perdront également leur statut. Ce mécanisme, censé préserver la pureté dynastique, fragilise paradoxalement la continuité même de l’institution.

Le débat sur la réforme de la succession impériale perdure depuis de nombreuses années sans qu'une solution n'ait été trouvée. Déjà en 2005, sous le gouvernement du Premier ministre Junichiro Koizumi, un projet de loi avait envisagé d’autoriser les femmes à accéder au trône, mais la naissance du prince Hisahito en 2006 avait mis un terme au débat avant que le sujet ne revienne au premier plan,

Après des années de discussion le Premier ministre Fumio Kishida a promis en 2024 de présenter des conclusions sur la question à la Diète (le Parlement mais elles se font toujours attendre. Les propositions actuellement sur la table sont au nombre de deux : permettre aux femmes de conserver leur statut impérial après leur mariage (ce qui constituerait une première brèche dans la logique patrilinéaire), ou réintégrer dans la famille impériale certains descendants des onze branches collatérales abolies après la guerre. Ces anciennes lignées appartenaient à la noblesse impériale, mais ont été rayées par la réforme de 1947. La plupart de leurs descendants sont aujourd’hui anonymes et vivent comme des citoyens ordinaires pourraient voir leur destin changer en quelques heures.

L’opinion publique prête au changement

Un récent sondage du Yomiuri Shimbun, l’un des plus influents quotidiens japonais, mené en mars-avril 2025, montre que 71 % des Japonais sont préoccupés par la stabilité de la succession impériale. Plus de 55 % se déclarent favorables au maintien du statut impérial pour les femmes après leur mariage, tandis que 7 % s’y opposent et 37 % restent indécis.

En revanche, l’idée de réintégrer des descendants d’anciennes branches impériales divise : seuls 24 % y sont favorables, contre 20 % d’opposants et 55 % d’indécis. Cette option, perçue comme un pis-aller par certains, inquiète en raison de la perte supposée de sacralité ou de légitimité de ces candidats.

Plus symbolique encore : une majorité des sondés affirment qu’ils accepteraient que la princesse Aiko devienne impératrice, bien que la loi actuelle l’exclue formellement de la succession. Preuve que la société japonaise évolue plus rapidement que ses institutions.

Le poids de la tradition

La question du genre impérial est particulièrement sensible dans un pays où l’empereur est considéré comme un symbole d’unité nationale (selon l’article 1 de la Constitution de 1947), et non comme un souverain politique. L’image de l’empereur reste auréolée d’une forte dimension sacrée, même après la déclaration d’humanité prononcée par Hirohito en 1946, renonçant à son statut de divinité vivante. Historiquement, huit femmes ont accédé au trône du Japon, dont l’impératrice Go-Sakuramachi au XVIIIe siècle. Toutefois, aucune n’a jamais régné en tant que « fondatrice » d’une nouvelle lignée, et toutes sont revenues à la lignée masculine dès leur succession. Les conservateurs s’accrochent à cette tradition comme à un pilier de l’identité japonaise.

Dans ce contexte, l’avenir de la monarchie japonaise dépendra de la capacité du gouvernement à réformer une loi devenue inadaptée à la réalité sociale et démographique du pays. Les solutions ne manquent pas, mais chacune comporte son lot d’obstacles, juridiques, culturels et symboliques. La réforme pourrait permettre une modernisation en douceur, à l’image de ce qu’ont fait d’autres monarchies asiatiques comme la Thaïlande ou l’Empire de Corée (aujourd’hui disparu), ou européennes comme la Suède ou la Belgique, qui ont ouvert la succession aux femmes. Mais elle supposerait de briser un tabou national : celui de la primauté masculine dans la lignée impériale.

Le Japon se trouve désormais face à un dilemme majeur : préserver la tradition au risque de voir disparaître la dynastie, ou adapter la monarchie à la société contemporaine. Le maintien d’une institution respectée et populaire – 80 % des Japonais déclarent avoir une opinion favorable de l’empereur Naruhito – passe sans doute par un aggiornamento juridique et symbolique.

En toile de fond, c’est le rôle même de la monarchie au XXIe siècle qui est en question : simple vestige du passé ou repère identitaire dans un monde en mutation ? Les mois à venir diront si le Japon choisit de faire évoluer l’une de ses institutions les plus vénérables, ou de s’en remettre à la providence.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 16/06/2025