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Le dernier roi-Chogyal de la «Terre du bonheur»

Blason des chogyalAssis confortablement, les jambes croisées, les paumes des deux mains jointes dressées vers le ciel, habillé d’une modeste tunique indienne noire, il reçoit les pénitents dans son monastère. L’encens parfume la pièce tapissée de quelques peintures colorées qui tranchent singulièrement avec l’atmosphère de ce temple bouddhique. On s’incline devant lui, on attend patiemment sa bénédiction. L’homme est l’incarnation vivante d’une page douloureuse de l’histoire tumultueuse de l’Inde. Devant les fidèles qui lui déposent des offrandes, nul n’ignore qui est devant leurs yeux de dévots. A 66 ans et reclus, Wangchuk Tenzing Namgyal est le dernier Chogyal, le «gouverneur de droit » de la monarchie défunte du Sikkim.

Lorsque le 29 janvier 1982 s’éteint le roi Palden Thondup Namgyal, avec lui disparaît les espoirs d’une dynastie sur laquelle Bouddha avait, selon la légende, jeté sa bienveillance. Béni par les Dalaïs lamas du Tibet qui avait envoyé au premier souverain de cette dynastie indienne (1641), un foulard de soie jaune royal en guise de couronnement, le royaume du Sikkim avait été rapidement au centre de toutes les attentions de la part de ses voisins. Bhoutan comme Népal tenteront plus d’une fois d’annexer le pays, en vain. Ce sont les britanniques qui viendront à bout d’un pouvoir à bout de souffle. Derrière la conquête du Sikkim, une feuille précieuse. Celle du thé. Le roi Tsugphud Namgyal avait bien cédé la ville de Darjeeling à la compagnie des Indes mais trop vorace, la monarchie avait fini par répliquer en arrêtant des ressortissants britanniques. Les soldats de sa « Gracieuse majesté » n’avaient pas tardé à réagir et en 1861, le roi avait été contraint d’accepter un humiliant traité annexant son royaume à celui d’une Inde coloniale, déjà fleuron de Britannia.

Palden thondup namgyal et hope cook?Maintenu sur son trône et traité comme un fonctionnaire princier, le Chogyal n’en était pas moins reçu avec les égards dus à son rang. En 1905, le prince de Galles, futur Georges V, rencontra officiellement à Calcutta le souverain du Sikkim. Et le prince héritier de partir étudier à Oxford, le premier de sa dynastie à découvrir le smog d’une Londres raciste et qui laissait peu de place à ses princes exotiques, que les hommes traitaient avec condescendance quand ce n’est pas leurs épouses qui tentaient de les mettre dans un lit, sortes de rois-mouchoirs jetés hors des manoirs Tudors de la gentry après avoir été dépouillés de leurs bijoux.

Alexandra David Néel, l’orientaliste chanteuse d’opéra et féministe franc-maçonne, succomba aux charmes du jeune prince Sidkéong Tulku Namgyal (1879-1914), épris de réformes et qu’il titra «confidente et sœur spirituelle» . Une relation qui dérangea autant les élites de la bonne société anglaise que ceux de la noblesse traditionnaliste du Sikkim. Après 10 mois de règne, le jeune prince succomba à une jaunisse, un peu trop foudroyante selon les témoins de l’époque. Et si le Sikkim récupéra un semblant d’autonomie, il regardait doucement le trône impérial des Windsor vaciller sous les coups des nationalistes indiens et musulmans sans bien savoir quel serait son avenir. En 1947, le dernier vice-roi des Indes, Lord Mountbatten fait ses adieux à un pays qui l’aura  autant adulé que détesté durant le temps de son éphémère vice-royauté. Le Sikkim réussit finalement à imposer à la république indienne un statut de monarchie autonome. En échange de son indépendance, elle acceptait que sa voisine prenne en charge sa défense, sa diplomatie et ses communications. Et si le premier ministre Jawaharlal Nehru fit en sorte de maintenir ce statut particulier jusqu’à sa mort en 1964, sa fille Indira Gandhi se montra moins favorable à cette monarchie dont elle ne supportait plus les frontières. Il était temps de ramener dans le giron de l’état indien cette monarchie trop rebelle et indépendante, gouvernée par un Palden Thondup Namgyal, que son penchant pour la boisson rendait instable. Pire pour Indira Gandhi, la présence de Hope Cooke, cette américaine qui avait épousé le roi lui était insupportable. Un couple couronné avec faste en avril 1965 mais qui défraya la chronique tant l’un comme l’autre des époux, qui firent la couverture du National Geographic, ne cessèrent de multiplier maîtresses et amants.

Palden thondup namgyalLeur mariage, le 20 mars 1963, avait été fastueux. Tous les princes d'Inde et leurs suites avaient débarqué au Sikkim, y compris les diplomates étrangers invités à la noce. Hope Cooke renonça à la nationalité américaine pour montrer que le royaume ne serait pas un satellite des Etats-Unis. Le conte de fée de la petite américaine de San Francisco n'allait pas tarder  à rapidement tourner au cauchemar. Kazi Lhendup Dorjee, figure montante du Congrès national indien au Sikkim, allait bientôt être le fossoyeur d’une monarchie constitutionnelle de 7300 km2 , vidée de sa substance. Lors des élections législatives d’avril 1974, entachées par de fortes irrégularités et de corruption, le Sikkim Congress Party, opposé à la monarchie remporte la quasi majorité des sièges. A peine installé, il rédige une nouvelle constitution qui enlève au roi ses pouvoirs. Obligé de le signer sous la menace, Palden Thondup Namgyal prend conscience  qu'il a du accepter un document (en dépit des protestations du Népal, de la Chine et du Bhoutan) qui va le mener à sa perte. Déjà des violentes manifestations le 8 mai 1973 aux abords du palais royal, organisées par les pro-rattachements, avaient contraint le roi à faire intervenir l’armée indienne. Voilà qu’il était désormais devenu l’otage de son propre gouvernement. Pire  la Première ministre Indira Gandhi manœuvre déjà pour faire adopter un amendement au parlement indien afin déclarer le «Sikkim, état associé». Premier pas final qui aboutira à son annexion.

Le couple royal peu avant sa depositionLe 10 avril 1975, tout était joué. Le palais royal est encerclé par l’armée indienne qui stationnait alors dans le pays. Le Chogyal mis en résidence surveillée et la reine sous bonne garde. Hope Cooke se rêve en  Jeanne d’Arc de son royaume et tente d'organiser une résistance. Agacée par la souveraine, Indira Gandhi ordonne de faire enfermer la Maharani à double tour dans sa chambre et de désarmer ses partisans. Le jour même, la monarchie est abolie par les députés et un référendum organisé pour plébisciter le rattachement du Sikkim à l’Inde. Exilés et réfugiés aux Etats-Unis, le couple royal divorce en 1980. Hope Cook entama des démarches pour récpérer sa nationalité mais  les années «Flower power» étaient dérrière elle. Tout au plus, le Congrès américain accepta de lui accorder le titre de permanent résident. Hope Cook, en profita pour rédiger et faire publier son autobiographie («Time Change»), laissant son mari sombrer dans la tristesse et mourir d’un cancer du foie en 1982 à 58 ans.  Devenue une historienne urbaine, elle fut tour à tour journaliste et enseignante à l'univerité de Yale. La dernière reine du Sikkim vit toujours à Brooklyn aujourd’hui,

Chogyal wangchuk tenzing namgyalCouronné sans fastes, Wangchuk Tenzing Namgyal regarde sans nostalgie les fantômes de son passé royal. Il a 22 ans quand la monarchie tombe. Pourtant 4 décennies plus tard, celui qui est l'actuel prétendant au trône du Sikkim suscite encore l’émerveillement de certains de ses anciens sujets, monarchistes de la dernière heure. Au sein du gouvernement de l’état de Sikkim, on ironise sur ses partisans qui se pressent autour de lui. «Il appartient au passé, il n’est rien d’autre qu’un vague symbole d’unité pour une poignée de fidèles» ironise un officiel au journaliste de l’Hindustan Times venus l’interroger. «D’ailleurs, il ne fait que méditer à Gangtok » lance-t-il avec un certain dédain. Même ses proches le protègent encore, peut-être trop susurre-t-on chez ses soutiens qui critiquent le zèle de ces ultra-royalistes qui ont été incapables de monter un parti représentant ses intérêts (le Sikkim National party, monarchiste, a été dissout en 1977 et n’avait qu’un seul siège au parlement ).

New Delhi n’a jamais reconnu son titre de Chogyal et Wangchuk Tenzing Namgyal ne touche aucune pension de dédommagement du gouvernement nationaliste qui continue d’ignorer ce souverain d’un nirvana oublié de l’Himalaya. Loin de sa «terre du bonheur», le dernier Chogyal regarde son royaume avec avec la sagesse d’un Bouddha. «L’histoire a jugé, les Gandhi ont payé le prix du sang pour leur forfaiture» répondent les derniers partisans de la monarchie pour seul lot de consolation.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 18/05/2020

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