Un soap opéra trop monarchiste

« Incompatibles avec les valeurs fondamentales du socialisme» et «influence négative sur la société». Dans son édition, le très officiel South China Morning Post (SCMP) tire à boulets rouges contre deux récents soap-opéras jugés trop monarchistes aux yeux du Parti communiste chinois qui a immédiatement décidé de prendre des sanctions. Les shows, pourtant largement populaires dans le pays, ont été retirés des antennes officielles et remplacés par d’autres plus compatibles aux standards télévisuels choisis par Pékin. Les crimes des scénaristes de  « L’histoire du Palais de Yanxi » * et « L’amour de Ruyi au palais royal » ? Avoir simplement réhabilité les ors défunts de la monarchie impériale des Qing.

Scene du filmLes soap-opéras sont rarement soumis à la censure en Chine. Mais pour le Parti communiste chinois (PCC), ces deux shows ont dépassé les bornes. C’est un crime de lèse-marxisme qui a été commis à leurs yeux. Depuis la chute de l’empire des Qing en 1911 et encore plus celle de la monarchie fantoche du Mandchoukouo en 1945, la période impériale est encore décrite dans les manuels d’histoire comme un système féodal, esclavagiste, corrompu, jouet de mandarins peu scrupuleux face à des empereurs barbares et oisifs décrits comme des « propriétaires oppressifs ». Et si on évoque, ne ce fusse que le nom d’Aisin Gioro Henry Pu Yi, c’est surtout pour parler des années de collaboration étroites du dernier dragon, avec le Japon honni qui a occupé militairement une large partie de la Chine durant toute une décennie lors du second conflit mondial.

«Ces shows encourageaient les téléspectateurs à  poursuivre les modes de vie glamour des anciens monarques de la Chine et promouvaient le plaisir et le luxe au-delà des vertus de la frugalité et de la dureté du travail » souhaités par Mao Tsé-Toung. La critique est lapidaire mais le puissant organe de presse, à destination de son public anglophone, est le reflet de la pensée actuelle du PCC qui a renoué avec un certain conservatisme.

Et ce n’est pas parce que Pékin a décidé de rénover le palais impérial de « l’empereur fantoche du Mandchoukouo », nous indiquait en août dernier l’agence de presse Xinhua, que les dirigeants chinois entendent lâcher du lest  en autorisant la moindre brume monarchiste venir perturber le sommeil du Grand Timonier. Il est déjà assez agaçant pour le PCC de devoir supporter les manifestations organisées par la minorité monarchiste, installée entre Tawaïn et Tokyo, manipulée-faut-il le reconnaître- par l’extrême-droite japonaise, pour laisser en plus entrer, en toute tranquillité, une once de réhabilitation royaliste dans le subconscient d’une Chine pourtant ouverte à l’économie de marché capitaliste, sans prendre des décisions drastiques.

Que raconte donc « L’histoire du Palais de Yanxi » et « L’amour de Ruyi au palais royal », considérés comme des « péchés intellectuels » pour avoir provoqué l’ire  du ministère de la communication. Pour les deux soap-opéras, l’intrigue se déroule sous le règne de l’empereur Qianlong, 6ème souverain mandchou d’une dynastie qui s’est emparée du pouvoir par la force en 1641. Son règne (1735-1796) a été considéré comme l’âge d’or de l’histoire impériale chinoise (avec une période de croissance démographique et économique considérable) et l’apogée d’une maison qui va ne va pas tarder à s’enfermer bientôt dans la Cité Interdite pour n’en sortir que par la force des baïonnettes nationalistes en 1924. Les deux séries ont battu des records d’audience notamment grâce au jeu talentueux de l’actrice de Wu Jiyan et de la Hongkongaise Charmaine Sheh Sze-man.

Décors réalistes, costumes reproduits aux détails près, on suit dans la passion, tous les rebondissements occasionnés par les rivalités des concubines  tant au sein de la cour impériale que du harem,  que casse faussement (pour le premier) un meurtre mystérieux, celui de la sœur de Wei Yingluo, artificier de son état. Tout a été pensé pour faire pleurer, intriguer ou exciter le téléspectateur qui se retrouve plongé au cœur  de son passé. Trop pour le Parti communiste chinois qui a craint que ces deux shows ne réveillent le sentiment monarchiste enfoui des chinois qui n’en finissent pas de redécouvrir leur histoire impériale, pourtant à la base de l’état moderne actuel. Rien que l’année dernière, presque 2 millions de personnes se sont précipités au palais de Changchun, dit de l’éternel Printemps, situé dans la province de Jilin en Mandchourie, le berceau natal des Qing et futur prétexte du Japon pour le déclenchement de son invasion en 1931. Presque autant pour l’exposition consacrée au « dernier empereur », organisée fin 2017.

Bien trop regardées sur « IQiyi » (l’équivalent de Netflix)  au goût des députés de l’assemblée nationale populaire, les rediffusions des shows, pourtant portés seulement que  quelques mois à l’antenne, ont été jugés comme des spectacles « aggravant l'équilibre » de la société nous indique encore  le South China Morning Post.

L empereur pu yi« L’idéologie anti-féodale de longue date du Parti communiste chinois, sur laquelle repose sa légitimité, rend actuellement impossible toute ouverture aux jours de « gloire » de Qianlong en tant que source d'inspiration pour l'avenir de la Chine. Les louanges pour la magnificence impériale de Qianlong, que montrent les deux shows, pourraient facilement être interprétées comme une nostalgie du passé féodal, donc une critique de la révolution socialiste » nous explique le professeur Fei-Hsien Wang de l’université Bloomington, dans l’état de l’Indiana aux Etats-Unis.

Sur le réseau social Sina Weibo, le numéro 1 du pays, des milliers de chinois se sont immédiatement plaints de cette censure qui « surestime l’influence exercée par les deux shows ». La réponse du gouvernement a été cinglante. Aucune remise en cause de l’histoire officielle ne sera autorisée et d’accuser les producteurs de tenter de faire des profits commerciaux, devenus subitement les symboles de « ce déclin moral » que ne souhaite pas voir s’installer le président Xi Jiping en Chine. Allusion à peine voilées aux évènements estudiantins de la place Tiananmen de 1989. Et de supprimer les 32000 commentaires postés puis de bloquer l’accès à toute forme de contestation virtuelle. Le gouvernement craignant également que cette série ne devienne trop populaire à l’étranger, notamment parmi la diaspora chinoise.

« Les censeurs ont tendance à fermer les yeux sur les programmes de divertissement qui sont plutôt de nature frivole. Sauf quand ils deviennent trop populaires et menacent les normes sociales, moralement et idéologiquement. « L’histoire du Palais de Yanxi » est un exemple parfait d'une telle émission que la censure ne peut autoriser à être regardée » déclare le professeur Zhu Ying, qui travaille à l’académie cinématographique de la Baptist University, à Hong-Kong. Le PCC entend d’ailleurs maîtriser l’histoire qu’elle souhaite transmettre aux générations futures, parfois avec certains échecs retentissants.

Réalisé pour le 100e anniversaire de la révolution chinoise, le film  « 1911 » où apparaît dans un rôle dramatique l’acteur Jackie Chan et qui raconte avec intensité la chute de l’empire, n’a pas eu le succès escompté en Chine, largement boudé par le public.

On trouve pourtant encore des épisodes diffusés de ces deux shows sur le net, d’ailleurs les soap-opéras les plus téléchargés sur Google actuellement affirme la presse internationale, qui n’en finit pas de s’étonner de l’ampleur prise par cette affaire.

Restaurée brièvement durant 15 jours en juillet 1917 par le général Zhang Xun, ce n’est qu’en 1932 que la maison impériale des Aisin Gioro retrouvera son statut au sein d’un état créé de toutes pièces par les japonais, qui s’en serviront également pour pratiquer des expériences de toutes sortes à ciel ouvert. A la fin de la guerre, la plupart des membres de la famille impériale seront emprisonnés (comme l’empereur Pu Yi et son frère Pu Jie), rééduqués avant d’être incorporés comme membres de l’assemblée nationale populaire de Chine, priés de se fondre dans la masse et ne plus rien revendiquer.

À la fin du mois de mars, dernier, dans la suite de cette censure,   l'Administration de la radio et de la télévision nationale de Chine a publié une interdiction temporaire de tous les drames historiques.

Copyright@Frederic de Natal 

*https://www.youtube.com/watch?v=62uuVE4FwTE : Générique de « L’histoire du Palais de Yanxi » 

*https://www.youtube.com/watch?v=ZxN4oQkweNQ : Trailer  de « L’histoire du Palais de Yanxi » 

Publié le 25/04/2019

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

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