Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Les fantômes disparus de l’Empire mandchou à Changchun

Berceau de nombreux peuples, la Mandchourie est une terre de mystères. C’est ici qu’Aisin Gioro Pu Yi, dernier Empereur de Chine, a vécu ses ultimes années de règne. Sa mémoire est entretenue dans la ville de Changchun qui a installé un musée dans son ancien palais.

Le 2 juillet 2024, Pékin a fêté le 103e anniversaire de la fondation du Parti Communiste Chinois (PCC).  Sur la place Tian'anmen, 43 000 personnes se sont rassemblées afin d’assister à la levée du drapeau rouge étoilé qui symbolise la République populaire de Chine. Tout le pays s’est mobilisé pour rendre hommage aux fondateurs du PCC, parmi lesquels Mao Zedong dont la célèbre Longue marche a permis aux communistes de s’emparer du pouvoir en 1949 après-avoir chassés tout ce que le pays comptait de nationalistes et de monarchistes.

Palais de Changchun @Wikicommons/ Rolfmueller

Une ville, dernière capitale d'un empire fantoche 

La ville de Changchun n’a pas échappé aux festivités. C’est dans une large résidence située à la capitale de la province du Jilin, dans le Dongbei, que les autorités locales ont décidé de se joindre à l’engouement officiel. Elle fait face à la Russie et à la Corée du Nord, ne paye pas de mine aux touristes de passage qui évite de s’y éterniser tant les hivers venteux sont réputés pour y être longs. C’est pourtant dans cette cité qu’Aisin Gioro Pu Yi a décidé d’y établir la résidence d’un empire fantoche, celui du Mandchoukouo.

Pu Yi, empereur de chine @wikicommons

Un Empereur frappé trois fois par le destin

Il a 26 ans lorsqu’il regagne la province dont sa dynastie, les Qing, est originaire. Sa vie n’a été qu’une succession de tragédies depuis sa naissance. Propulsé sur le trône alors qu’il n’est qu’un enfant, il perd le trône en 1912, confiné dans la Cité Interdite avec pour seuls compagnons de jeux, des centaines d’eunuques et des servantes. Eduqué par un précepteur, Reginald Johnston (qui livrera plus tard une version quelque peu faussée de ses années aux côtés de l’Empereur), Pu Yi est finalement chassé de sa prison dorée par les nationalistes qui ne veulent plus de la « vermine mandchoue » dans ses murs (1924). Le jeune homme quitte son palais pour se réfugier dans la Légation japonaise avec sa petite cour, ses partisans et ses deux femmes qu’il a épousées dans la grande tradition impériale. C’est ici qu’on va entretenir ses rêves de retour sur le trône. Pu Yi refuse de croire qu’il est manipulé par Tokyo dont le gouvernement ne cesse de le louer. D’autant qu’il a touché à nouveau sa couronne, du bout des doigt, brièvement restauré durant quinze jours en 1917 et que le mouvement monarchiste connaît un regain important.

A la tête du Mandchoukouo

En 1931, un incident provoqué délibérément par les Japonais permet à ces derniers de se lancer à la conquête de la Mandchourie. Pour Pu Yi, c’est l’heure de gloire. Nommé Président du Mandchoukouo l’année suivante, il en devient l’Empereur sous le nom de Kangde en 1934. Changchun se doit d’avoir un palais à la hauteur de son royal résident. Les plans sont dessinés sur le modèle de ceux existants au sein de la Cité interdite. Il sera construit sur une superficie de 43000 m2, divisé en une cour intérieure d'un côté et une cour extérieur de l'autre. Jardins et fontaines, golf et cours de tennis vont agrémenter ce palais impérial miniature, complété par des blockhaus accueillant sa garde personnelle et d’autres salles réservées aux fonctionnaires, membres de sa famille et concubines féminines (comme… masculines), d’où il va diriger son nouveau royaume. Du moins, le croit-il. Le Mandchoukouo ne sera reconnu par quelques nations, la réalité du pouvoir restant entre les mains des Japonais qui nomment les ministres, parfois de véritables espions placés près de Pu Yi afin de mieux le contrôler. L’Empereur ignore même que l’armée du Kwantung mène des expériences bactériologiques sur des prisonniers de guerre. L’unité 731 sera d’ailleurs reconnue responsable de la mort de pas moins de 400 000. Le rêve éveillé d’un souverain fantoche prendra brutalement fin en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Capturé par les Soviétiques, il est remis aux Chinois en 1950 après que Staline a accepté une demande d’extradition de Map Zedong.

Le palais de Changchun, ultime témoin de la monarchie Qing

Le palais de Changchun ne sera réhabilité qu’en 1962. Pékin a décidé de le transformer en musée-témoin des événements tragiques qui ont secoué la Chine lors de l’invasion japonaise. Une leçon d’histoire à laquelle les communistes entendent aussi y joindre leur partition personnelle. Il fera l’objet de plusieurs rénovations (1982, 1984 et 2004), accueille des expositions dédiées à cette période. Une de ses salles, celle du Tongde, a même été utilisée pour le tournage du film à succès, « Le denier empereur », mis en scène par Bernardo Bertolucci. C’est ici aussi que demeure le trône de Pu Yi dont on avait placé l’emblème du Mandchoukouo derrière un drapeau avec une étoile à cinq branches de différentes couleurs pour les différentes nationalités du pays : Manchou (rouge), Chinois (jaune), Mongol (bleu), Japonais (blanc) et Coréen (noir). Dans la pièce du Qinmin où Pu Yi recevait les diplomates en poste, les autorités ont pris la décision de mettre à la vue des visiteurs des documents divers de cette période, dont ceux attestant des crimes de guerre du Japon en Mandchourie. Des statues de cire de l’Empereur, enfant comme adulte, costumes d’époque censés représentés des pans de sa vie et photos agrémentent tout le long parcours d’un homme qui finira sa vie dans la peau d’un modeste jardinier en 1967, reconverti en « citoyen nouveau » après plusieurs mariages.

Le show est permanent et rencontre un vif succès puisqu’en 2003, il a remporté le prix d'excellence dans la sixième sélection nationale des dix meilleures expositions. On peut même désormais visiter le palais de Changchun virtuellement depuis son site officiel modernisé. Un pan de monarchie accessible à tous compris depuis l'étranger mais qui ne la réhabilite pas pour autant. A Chancghun, ce n'est pas la mémoire du dernier Empereur de Chine que l'on entretient mais celui d'un souverain fantoche,c oupable de trahison pour un sceptre. Dans cette partie reculée de la Chine, le souvenir de Pu Yi demeure avec ceux des fantômes d’un empire disparu qui chevauchent le dragon céleste pour l’éternité.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 14/08/2024

Ajouter un commentaire

Anti-spam