Le 10 avril 2015, c’est une étrange procession qui s’est déroulée à Pékin. Derrière un portrait géant, ils sont quelques-uns à suivre un convoi funéraire. Dans les rues, aussi étrange que cela puisse paraître dans la Chine de Mao Zédong, certains osent l’impensable et se prosternent à son passage. Dans le cercueil, git le dernier frère de l’empereur de 10 000 ans, le prince AisinGioro Puren, décédé à l’âge de 96 ans. Parmi tous les membres de la maison impériale de Chine présents, le prince Jin Yuzhang. Âgé aujourd’hui de 79 ans, ce diplômé de l'université géologique de Pékin a peu connu les grandes heures du Mandchoukouo, cet état fantoche créé de toute pièce par les japonais pour son oncle, l’empereur Pu Yi. Si demain, la Chine devait restaurer sa monarchie, il serait le nouveau dragon jaune de l’empire du milieu. Portrait inédit.
Il a le sourire et la joie de vivre. Si le Parti communiste s’est longtemps battu contre la « vermine mandchou », accusée d’avoir assujetti durant 300 ans la Chine et d’avoir collaboré avec l’occupant japonais, il a toujours su choyer les membres de la maison impériale des Qing après sa prise de pouvoir et heureux d’en avoir fait des « hommes nouveaux » grâce à la pensée du « Grand Timonier, Mao Zédong. Lequel n’était pas en reste pour diner régulièrement avec les derniers témoins d’une ère disparue dans la tourmente de la révolution de 1911. Né en 1942, Jin Yuzhang est le petit-fils du régent Zaifeng, prince Chun, et le neveu de Pu Yi, le dernier empereur dont la vie a été portée sur grand écran en 1987. « Être empereur n'est pas une chose facile » s’amuse à dire celui qui est l’unique conseiller municipal du district de Chongwen, à Pékin. C’est dans le palais de son grand-père qu’il est né avant que sa famille n'en soit expropriée six ans plus tard. « Je n’ai jamais vraiment pensé que je serais un jour empereur » affirme-t-il tout en buvant son thé vert.
De l’état du Mandchoukouo, il n'en connaît que ce que les membres de sa famille lui ont rapporté, ce qu’il a lu dans les livres d’histoire, du moins ceux officiels que le gouverenement donne à ses élèves en classe. Il n'a pas souhaité adhérer au Parti communiste, préférant travailler en tant que « membre démocrate sans parti » au sein des comités locaux sur les affaires politiques et l'harmonie ethnique. Mais sa femme est membre du PCC et sa fille (employée comme informaticienne à Motorola China Electronics Co. Ltd) est inscrite à la Ligue de la jeunesse communiste. Il reste un AisinGioro dans le sang mais dans la réalité n'est qu'un modeste citoyen qui a fait ses études à l'université géologique de Pékin. Pourtant, il n’a pas oublié les origines mandchoues de sa famille et se bat pour que cesse cette xénophobie récurrente vis à vis de son ethnie dont il défend les droits avec son seul bâton de pèlerin. D’ailleurs, il est très fier de son mariage. « Sous la monarchie, il aurait été impensable pour un membre de la famille impériale d'épouser une personne d'origine Han » explique-t-il au DailyPeopleChina venu l’interviewer. Tout comme ses frères qui ont suivi son parcours, « c'est la meilleure manière de de montrer que nous vivons dans un état de cohésion ethnique dorénavant »
Il reçoit peu, on a oublié les descendants des empereurs de Chine. « Le souverain doit être choisi par le peuple. La succession héréditaire n'est pas bonne du tout » concède-t-il. « La plupart des membres de la famille ont trouvé un travail convenable pour s'élever dans la société grâce à leurs propres efforts. Comparé aux gens ordinaires, nos vies ont été meilleures » poursuit-il. Sur son bureau, un portrait de Puren. Dernier demi-frère de Pu Yi, il avait été emmené à Changchun, le palais impérial du Mandchoukouo où vivait le dernier empereur de Chine restauré dans ses droits au trône par les japonais. Véritable souverain fantoche, Pu Yi avait été obnubilé toute sa vie par l’idée de redevenir monarque de l’empire céleste (Empereur de Chine de 1908 à 1912, en 1917, président du Mandchoukouo de 1932 à 1934 puis empereur jusqu’en 1945) . De 12 ans son cadet, le prince Puren avait souvent affirmé que son frère n’était qu’un idéaliste, un naïf manipulé qui croyait tout ce qu’on lui disait, sans une once de clairvoyance face à l’occupant. Il aura été le dernier témoin d’une histoire violente, anarchique, sauvage et celui de la renaissance d’un pays sous la direction d’un dragon plus rouge.
« Le conservatisme fut la cause du sous-développement de la Chine et a rendu le pays vulnérable aux attaques des puissances étrangères » affirme le prétendant au trône impérial. « Par ailleurs, la corruption qui ne cessa de croître, porta atteinte à la puissance nationale et les descendants valeureux de cavaliers n'entreprirent plus rien, se contentant de mener une vie épicurienne » analyse Jin Yuzhang très critique, entre deux caresses à son chat. « Je regarde également la télévision tous les jours et je vais parfois au cinéma. J'aime regarder les téléfilms et ceux consacrés à la dynastie des Qing. Ce sont deux univers bien différents, je me divertis en regardant l'un comme l'autre ». Dans les années soixante-dix, il a visité la Cité interdite où a résidé jusqu’en 1924 l’empereur Pu Yi avant qu’il ne soit expulsé par les nationalistes. « C’est un peu chez moi, enfin il y a longtemps » dit celui qui n’y a jamais remis les pieds. Pour l'historien Jia Yinghua, la mort de Puren a enterré toutes perspectives de retour à l’ancien régime, la « fin d’une époque révolue ».
« Je suis aujourd'hui fonctionnaire et je poursuis mon idéal qui est de bien servir le peuple. Nous sommes tous nés dans l'ancienne société, nous avons grandi dans une nouvelle Chine, portant tous des foulards rouges et grandi sous le drapeau rouge. Nous devons dorénavant suivre le rythme du temps» dit en toute simplicité Jin Yuzhang en arrosant ses plantes. Un peu comme Pu Yi à la fin de sa vie qui finira jardinier au jardin botanique de Pékin , membre de l'Assemblée populaire du Chine et dont les restes reposent depuis 1995 aux « Tombeaux ouest des Qing », situés au sud-ouest de la capitale chinoise.
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