Kung Tsui-Chang, descendant de Confucius et duc de Yansheng

Le prince Kung Tsui-Chang en 2012Détenteur du titre de duc de Yansheng, aboli par la République de Chine en 1935, c'est un homme d’affaires de 45 ans qui réside dans l’île de Taïwan. Kung Tsui-Chang est le descendant direct du célèbre philosophe chinois à la 79ème génération. Nommé par le régime chinois au rang de « fonctionnaire sacrificiel de Confucius », il espère « que le confucianisme en Chine continentale non seulement se relancera, mais continuera également à se répandre pour l'intérêt d'un développement pacifique dans le monde». Du passé impérial de sa famille, pressentie pour occuper un trône fantoche durant la Seconde guerre mondiale, ce prince bleu n'en garde que peu de nostalgie.

ConfuciusC’est l’une des plus grandes figures philosophiques de son temps. Sa doctrine a été érigée en religion d'État sous le règne de la dynastie Han. Maître Kǒng Zǐ, plus connu sous le nom de Confucius, est né au VIème siècle avant Jésus-Christ au sein d'une famille de fonctionnaires impériaux et de guerriers. Un géant pour son époque, plus de deux mètres. Sa rencontre avec Lao Zhi, père du Taoïsme, va bouleverser ce lettré qui exercera brièvement une charge de ministre avant de se consacrer à l'enseignement de sa pensée, semant ainsi les graines du futur « Humanisme chinois » à travers tout l'empire céleste. Une philosophie dont son descendant à la 79ème génération est le gardien séculaire. « Peu de temps avant la mort de mon grand-père, c’est là que j'ai pris conscience de mon futur chemin. C’est une responsabilité et aussi un honneur » déclare Kung Tsui-Chang, actuel héritier du titre de duc de Yansheng et candidat potentiel au trône du dragon jaune.

Le duché de Yansheng, littéralement « honorable débordant de sagacité », parfois traduit par « Saint duc de Yen », était un titre chinois de noblesse octroyé aux descendants de Confucius (décédé à l'âge vénérable de 102 ans, en 449 av. JC) dont le destin va se mêler à celui de la Chine impériale, avec des privilèges importants comme celui de récolter ses propres impôts sur l'ensemble de leur seigneurie de Qufu, située dans la province de Shandong. Mais c’est uniquement au XIème siècle que le titre prend tout son sens au sein d’une famille, composée de deux branches, celle du Sud et du Nord. Fidèles serviteurs des Ming, ils sont la clef de voûte de négociations avec les Mongols qui menaceront la sécurité de l’empire durant plusieurs décennies. Conscients de leur importance dans la Chine contemporaine, la dynastie mandchoue des Qing confirme leur titulature de Yansheng en dépit des oppositions tenaces auxquelles les descendants de Confucius devront faire face, accusés de corruption.

Kong Lingyi deuxième à partir de la droiteUne puissance au sein d’une autre puissance avec laquelle les ducs de Yansheng n'allaient cependant pas tarder à entrer en conflit, notamment sous le règne de l’empereur Quialong (de 1711 à 1799) qui tente d’affaiblir leur influence sans y arriver. Lorsque éclate la révolution chinoise en 1911, on ne songe pas à abolir la monarchie mais à remplacer le dernier rejeton des Qing, l’enfant-empereur Aison Gioro Pu Yi. L’idée vient du journaliste Liang Quichao, un partisan de la monarchie constitutionnelle. Homme à abattre pour les conservateurs, en exil il rencontra un des futurs leaders de la révolution, Sun Yat- Sen, mais n'adhère pas à son concept républicain. Ce réformateur et conspirateur souhaitait avant tout mettre fin à une corruption qui régnait dans l’empire. Rien n’avait été plus détestable pour Liang Quichao que la terreur imposée par l’impératrice Ci Xi, ce « vieux bouddha » qui avait utilisé ses charmes pour accéder aux plus hautes marches du trône. Pour cet intellectuel, le pouvoir devait revenir aux Hans et nul autre que le prince Kong Lingyi de Yansheng (1872-1919) ne pouvait mieux incarner le prochain mandat céleste. Il avait même sondé des gouvernements occidentaux comme les États-Unis qui n’y trouvèrent rien à redire pourvu que le calme fût ramené en Chine. Le destin et la main du général Yuan Shikaï devait en décider autrement. Fidèle des mandchous, cet officier renommé abandonna Pu Yi, enfermé dans la Cité interdite et s’empara du pouvoir au grand dam de Liang Quichao, dépité et effaré de voir Yuan Shikai revêtir les attributs impériaux entre 1915 et 1916.

K'ung te ch'eng, duc de YanshengPlongés dans une guerre civile, les nationalistes s'inquiètent de l'aura des descendants de Confucius qui apportent un soutien à Pu Yi lors de sa brève restauration en 1917. Fils du prince Kong Lingyi, K'ung Te-ch'eng (1920-2008) n'a que 15 ans lorsqu'il reçoit la visite d'un émissaire du gouvernement du Kuomintang qui lui annonce qu'il n'est plus question de reconnaître son titre mais qu'il sera en lieu et place un simple « fonctionnaire sacrificiel de Confucius ». Liang Quichao mort à Pékin en 1929, le prince K'ung Te-ch'eng perd tous les privilèges attenants à sa famille. Il en gardera un ressentiment profond (il fera publier une « Lettre aux compatriotes de tout le pays » afin de protester) mais accepte avec résignation la décision. Des regrets que vont tenter d’exploiter les japonais qui viennent de « violer » Nankin en 1937. Le pays du Soleil levant occupe déjà toute la Mandchourie donnée à Pu Yi, reconverti en président puis empereur du Mandchoukouo. Il manque donc un empereur à la Chine comme un souverain à la Mongolie. Si le prince Demchugdongrub accepte le second, K'ung Te-ch'eng n’entend pas devenir un monarque fantoche. Malgré l’insistance de Tokyo, il refuse le titre d’empereur que lui proposent les japonais. Au Times magazine, venu l‘interroger en janvier 1938, il se défendra d’avoir reçu toute proposition de ce genre. « Je n'ai jamais été approché par les Japonais ! Je me considère comme étant aux ordres du gouvernement chinois. Je suis un patriote, prêt à prendre les armes et à combattre les Japonais dès que j'aurai atteint l'âge du service militaire » déclare K'ung Te-ch'eng qui est placé sous la protection du gouvernement après qu’une de ses maisons ait été détruite dans des circonstances étranges. 

Kung Te ChengMembre de l'Assemblée nationale de la République de Chine Libre de 1946 à 1991, K'ung Te-ch’eng a contribué à la rédaction de la Constitution de 1947 de la République de Taïwan. De juillet 1956 à avril 1964, il occupe le poste directeur du musée national du palais à Taipei où lors d’une soirée très arrosée, il n'hésite pas à se faire prévaloir de son ancien titre de duc. Lors de la révolution culturelle, « les tombes de ses ancêtres sont profanées sans qu’il ne dise quoi que ce soit » révèle sa petite-fille au lendemain du massacre de Tiananmen. Conseiller principal du président de la République de Taïwan de 1948 à 2000, son décès fera les grandes lignes de la presse nationale mais sera ignoré des médias internationaux qui ignorent l’existence des descendants de Confucius. C’est aujourd'hui son petit-fils Kung Tsui-chang qui assure désormais le rôle de représentant de l’auguste lignée. « J'ai grandi avec trois générations sous un même toit, dans une maison pleine de livres. C'était ce qu'on pourrait vraiment appeler une famille d'intellectuels. Quand mon grand-père ne lisait pas, il écrivait. En grandissant dans un tel environnement, j'ai développé un respect total des connaissances » explique celui qui est aussi le président de l’association Confucius. Il entend se consacrer pleinement à l’enseignement de cette religion philosophique. « Le confucianisme est déjà le corps de la tradition chinoise depuis plus de 2000 ans et a profondément influencé l'Asie de l'Est et quelques autres pays. Le confucianisme est donc un bien culturel précieux du peuple chinois et un trésor pour la culture spirituelle de l’humanité » affirme ce prince bleu. « Ce sont des valeurs fondamentales qui peuvent aider à résoudre les conflits internationaux, la crise écologique et d'autres problèmes modernes graves » poursuit Kung Tsui-Chang. 

Kung tsui chang« Confucius est l'enseignant le plus accompli et le plus sacré. Ses descendants ne peuvent espérer atteindre son niveau de civilisation. Je suis fier d’être un descendant de Confucius, mais je n’oserais pas me considérer comme son premier représentant » explique ce père de deux enfants, nommé conseiller à la présidence de la République de Taïwan par le président Ma Ying-jeou lui-même en 2008.  Et s’il a effectué une visite à Qufu en avril 2012, entouré d'une écharpe aux couleurs impériales, Kung Tsui-Chang ne revendique pas le titre de duc de Yansheng. Bien qu’il en « serait honoré », celui-ci appartient désormais à un passé révolu et dont les heures de gloires ont peu de chances de rejaillir un jour.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 08/07/2022

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