Un descendant du roi Sisowath nommé au Sénat cambodgien
Un descendant du roi Sisowath nommé au Sénat cambodgien
Privilège du monarque depuis le retour de la monarchie au Cambodge, le roi Norodom Sihamoni a nommé deux membres de la famille royale à des postes de sénateur. Parmi lesquels, un descendant du roi Sisowath Ier, longtemps opposant au Premier ministre Hun Sen.
Le prince Sisowath Thomico est doté d’une généalogie éloquente. Le 6 mars 2024, il a été nommé à un poste de sénateur par le roi Norodom Sihamoni à qui la loi constitutionnelle permet de nommer par décret deux élus de son choix. Descendant direct du roi Sisowath Ier, le prince Thomico n’est pas un inconnu. Ce francophile averti, épris de justice, va retrouver dans l’hémicycle de la Chambre haute du parlement celui qu’il a toujours combattu politiquement, le Premier ministre Hun Sen fraichement nommé Président du Sénat par le souverain.
Branches rivales pour un trône séculier
La maison royale des Sisowath a donné au Cambodge, trois monarques et plusieurs Premiers ministres qui ont tous marqué l’histoire de cette ancienne colonie française, partie intégrante de l’Indochine défunte. C’est en 1904 que cette branche rivale des Norodom est montée sur le trône Khmer. Les Français ont usé de leur influence pour que le prince Preah Bat Sisowath, né en 1840, succède à son demi-frère, le roi Norodom Ier dont le règne (1860-1904) n’a pas été de tout repos pour Paris. Les relations entre les deux frères n’ont d’ailleurs jamais été au beau fixe. Sisowath a même dû fuir au Siam voisin afin d’échapper au courroux royal avant de résider à Saïgon où il va s’entendre avec les autorités coloniales. La France trouve dans la figure de ce prince, un moyen de chantage contre Norodom Ier qui est menacé de régulièrement de déposition s’il n’applique pas les lois décidées par le gouvernement colonial. Peu à peu, le prince Preah Bat Sisowath devient l’allié incontournable des Français au grand dam du roi Norodom qui n’aura pas le temps de voir sa descendance être exclue provisoirement du trône.
Un monarque, star de la République Française
Cette harmonie entre le nouveau souverain et le gouvernement colonial va s’accompagner d’une série de récompenses pour le roi Sisowath Ier. La France n’hésite pas alors à lui construire un nouveau palais royal, lui acheter un Yacht et même le fournir en opium dont il appréciait particulièrement la volupté. En 1906, le roi Khmer vient en visite en France avec une forte délégation, accompagné par nombreuses danseuses qui vont captiver le public français tombé sous les charmes et les grâces de ces courbes asiatiques qui ondulent lascivement devant eux. Le sculpteur Auguste Rodin, fasciné, va même jusqu’à suivre tout le cortège royal qui pose ses valises à Marseille, là où a été ouvert la nouvelle exposition coloniale sensée montrer la puissance rayonnante de la France de cette époque. Les magazines de l’époque s’en donneront à cœur joie, les caricaturistes également. La visite n’en reste pas moins un véritable succès pour le roi Sisowath qui repart dans son royaume.
Une cérémonie fastueuse en guise d’adieu
Le 12 décembre 1921, le roi Sisowath accueille la maréchal Joffre, héros de la Première Guerre mondiale. Le souverain va déployer un faste resté dans les annales de l’Histoire comme en témoigne la Revue des Deux-Mondes. « (…) La longue route que nous devions suivre sur plus de 100 kilomètres était transformée en voie triomphale ; elle était décorée sur toute sa longueur de drapeaux tricolores, et au pied de chacun d’eux, distants de 50 mètres environ, un indigène posté s’inclinait, les mains jointes, au passage du cortège : dans tous les villages, des arcs de triomphe. Autour des notables, toute une population pittoresque : des petites danseuses fardées et coiffées d’une tiare, des jeunes filles, une fleur de lotus à la main, des bonzes tout rasés et magnifiquement drapés dans leurs toges jaunes, des musiciens naïfs et bruyants ; enfin, suprême honneur, les autels des ancêtres sortis sur le pas des portes parés d’offrandes et embaumés d’encens » peut-on lire dans le tome 8 daté de 1922. On y trouve même une description du roi Sisowath, « un vieillard vigoureux ; la tête nue, les cheveux drus et blancs séparés d’une raie, les yeux abrités derrière d’opaques lunettes noires, les sourcils étonnés et bienveillants, une large bouche qui sourit toujours ; il est vêtu d’une culotte et de bas noirs, d’une tunique de soie jaune ou or, barrée du grand cordon de la Légion d’honneur ». Des centaines d’éléphants des milliers de danseurs et danseuses achèveront cette visite chamarrée du maréchal qui s’arrête pour admirer les vestiges des temples d’Angkor. La dernière grande cérémonie du roi qui s’éteint paisiblement en août 1927.
Le crépuscule d’une dynastie
Son quatorzième fils lui succède. Sosiwath Monivong (1875-1941) n’est qu’un roi sans autorité, un fonctionnaire de l’Empire colonial qui n’entend pas faire de vagues. Il a fait ses classes militaire à l’école de Saint-Maixent, entre à la Légion étrangère dont il sortira avec le grade de sous-lieutenant. Après trois ans, il retourne au Cambodge en 1909 et continue de servir militairement la France. D’ailleurs, c’est lui qui va s’occuper personnellement de recruter des volontaires cambodgiens lors de la Première Guerre mondiale. Quand il ne gère pas les affaires du royaume, Sisowath Monivong se rend dans son harem. On ne connaît pas exactement le nombre des femmes qu’il a entretenu mais une parmi toutes qu'il honore, a toutefois retenu l’attention des historiens. Roeung, concubine du roi, était la sœur d’un certain Saloth Sar que le monde connaîtra un jour sous le nom de Pol Pot, le dirigeant des Khmers rouges. Sous le règne de Monivong, l’idéologie communiste commence alors à faire son apparition et prend un essor considérable dans le royaume. Lors de l’invasion japonaise, il prend acte de l’occupation et n’oppose aucune résistance. C’est au même moment que la mort le surprend alors qu’il a décidé de s’exiler de l’intérieur. Contre toute attente, les Français décident de ne pas favoriser le prince Sisowath Monireth (1909-1975) et de nommer son petit-fils Norodom Sihanouk Ier, fils de la princesse (future reine) Sisowath Kossamak et (du futur roi) Norodom Surmarit, dont le destin sera lié étroitement lié à tous les tumultes contemporains du Cambodge.
Au service de la monarchie cambodgienne
Les Sisowath ne disparaissent de la vie politique cambodgienne pour autant. Ancien prince héritier, Sisowath Monireth sera nommé Premier ministre en 1945 et 1946, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale où il s’est illustré, ambassadeur du Cambodge indépendant de 1954 à 1955 avant d’être brièvement président du Conseil de Régence en 1960. Il espère alors monter sur le trône vacant mais c’est finalement Norodom Sihanouk qui est rappelé. Le monarque se méfiera toujours de cet ancien héritier et lui refusera tout commandement militaire en dépit de ses capacités certaines à diriger. Emprisonné de mars à mai 1973 par le régime de Lon Nol, lors de la prise de la capitale, Phnom Penh en 1975, il tente vainement de trouver asile à l’ambassade de France qui le lui refuse. Capturé par les Khmers rouges, il est passé par les armes. Le prince Sisowath Youtevong, son frère, sera lui aussi nommé Premier ministre de 1946 à 1947, considéré comme le « père de la Démocratie » au Cambodge. Proche de l’internationale socialiste, il n’aura pas le temps de mettre en place ses réformes puisqu’il décède en plein mandat. C’est le petit-fils du roi Monivong, le prince Sisowath Watchayavong (1891-1972) qui lui succèdera à ce poste jusqu’en février 1948 puis le prince Sisowath Sisowath Monipong (1912-1956), ancien de saint-Cyre et dernier rejeton de ce cette dynastie à occuper un poste d’importance.
Un opposant au gouvernement Hun Sen
Bien que la monarchie reste élective, elle n’en est pas moins héréditaire au Cambodge. La branche des Sisowath a peu de chances de retrouver le trône en dépit des rivalités dynastiques qui restent palpables. Le prince Sisowath Thomico (né en 1952) a pris le virus de la politique très tôt. Il décidé de rejoindre les rangs de l’opposition au gouvernement Hun Sen qui s’est emparé du pouvoir par la force en 1997 après avoir destitué son co-Premier ministre, le prince Norodom Ranarridh. Membre du Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), dissout en 2017, il n’hésite à pas à s’attaquer en direct à Hun Sen contraignant le Premier ministre à lui lancer un avertissement public ou lancer des poursuites judiciaires contre le prince Sisowath (2005). Loin d’abandonner la lutte, le descendant du roi Monivong entame une grève de la faim pour protester contre la réélection d’Hun Sen, l’accusant d’avoir truqué les élections. Ce dernier le forcera à mettre fin à ce geste, de crainte que cette protestation ne prenne de l’ampleur. Fondateur et leader du Sangkum Jatiniyum Front entre 2006 et 2007, il finit par rejoindre le parti royaliste Funcinpec dont il devient conseiller du prince Norodom Ranarridh. Père de 4 enfants, il est nommé au Conseil royal en 2008 et désormais sénateur. C’est là qu’il va retrouver, par une ironie de l'Histoire, Hun Sen, (ancien Premier ministre qui a aujourd'hui cédé sa place à son fils en 2023 ) nommé à la tête du Sénat par le roi.
Sur les bancs du Sénat, le prince Sisowath Thomico retrouvera également un autre membre de la famille royale. Depuis 2018, la princesse Norodom Arunrasmy, 68 ans, est la tante du roi Norodom Sihamoni qui l’a reconduit à son siège. Ancienne ambassadrice du Cambodge en Malaisie (2005-2008), elle a dirigé le parti royaliste Funcinpec entre 2013 et 2015.