Zaher Shah et la condition féminine en Afghanistan
Zaher Shah et la condition féminine en Afghanistan
Le 17 juillet 1973, le roi Zaher Shah d’Afghanistan est renversé par un coup d’Etat orchestré par son cousin. Réformateur, le monarque avait largement modernisé sa monarchie, ouvert l’éducation aux femmes, permettant ainsi leur émancipation. Une monarchie citée en exemple par tout l’Occident, notamment la France avec laquelle l’Afghanistan entretenait d’excellentes relations diplomatiques. Soixante-dix ans plus tard, son œuvre a été martelée par le régime islamiste des Talibans qui a considérablement réduit tous les acquis accordés aux mères, aux filles de la nation par l’institution royale défunte.
Lorsqu’il monte sur le trône d’Afghanistan en 1933, le roi Mohammed Zaher Shah a tout juste 19 ans. Il entend insuffler un vent de modernisme dans son pays marqué par le tribalisme et l’omniprésence des traditions patriarcales. Plus vaste que la France (où le monarque a effectué une grande partie de ses études et auquel il était très attaché), ce pays situé dans l’Asie mineure est surnommé le « cimetière des Empires ». Il n’a jamais été conquis par des puissances étrangères. Très rapidement, Mohammed Zaher Shah va mettre en place les principaux grands chantiers de réforme auxquels il a songé, alors qu’il n’était encore un prince héritier. Il place l’Afghanistan au centre de la scène politique internationale en le faisant adhérer à la Société des Nations (ancêtre de l’ONU dont il sera également membre dès 1946) et signe successivement des pactes commerciaux avec l’Irak, l’Iran et la Turquie. Avec la Guerre froide, l’Afghanistan devient un enjeu pour les États-Unis et l’URSS qui tentent respectivement d’obtenir un ralliement officiel du monarque. Questionné sur le sujet, Mohammed Zaher Shah répond qu’il n’est pas plus un capitaliste qu'il n'était un socialiste. « Je ne veux pas d'un socialisme qui amènerait le genre de situation [qui existe] en Tchécoslovaquie. Je ne veux pas que nous devenions les serviteurs de la Russie ou de la Chine ou les serviteurs d'un autre endroit » précisera le monarque qui entend garder son indépendance.
Zaher Shah insuffle un vent de modernité dans son pays
En 1959, soutenu par la reine-consort Humaira, il signe un décret qui va révolutionner la condition féminine en Afghanistan. Il autorise ses compatriotes à retirer leur tchador si elles le désirent sans que leur mari ne puissent le leur ré-imposer. Il se place dans les pas d’un de ses prédécesseurs, le roi Amanullah Khan, qui avait interdit le mariage forcé et la polygamie. Lors d’un voyage en Europe, l'épouse de ce dernier, la reine Soraya, était même apparue sans voile islamique. Une souveraine qui n'avait pas hésité à « fonder plusieurs écoles pour jeunes filles, ainsi que Ershad-I-Niswan (Conseils pour les femmes), le premier magazine afghan destiné aux femmes » comme le rappelle le magazine Marie-Claire, Une politique libérale qui engendre de nombreux mécontentements. Une rébellion orchestrée par les tenants du conservatisme et qui menacera d'ailleurs le socle de la monarchie à cette époque avant que son autorité ne soit restaurée. Mohammed Zaher Shah va poursuivre les efforts entrepris par Amanullah Khan, notamment dans l’éducation scolaire des filles. Cinq ans plus tard, il fait voter une nouvelle constitution qui accorde le droit de vote aux femmes. Dès lors, elle peuvent être élues à des postes gouvernementaux (en 1965, les deux chambres comptent 4 députées et 2 sénatrices, une ministre au poste de la Santé Publique), être médecins, professeurs ou employées. Prise en 1972 par la photographe Laurence Brun, une photo représentant trois filles en mini-jupe illustre (encore aujourd’hui) ce souffle de démocratie auquel tenait tant le monarque. « Une partie de la société nous appelait 'les Occidentalisés'’ On s’habillait comme les Occidentaux, on vivait comme eux, on écoutait la même musique. C’était le mode de vie qui nous plaisait » explique d’ailleurs Zohra Youssouf, ancienne Miss Afghanistan 1972, qui évoquait récemment ce féminisme naissant sous la monarchie, lors d’un reportage sur la chaîne franco-allemande Arte. À bien des égards, l’Afghanistan est comparé à la Turquie de Mustafa Kemal et de l’Iran des Pahlavi. Malgré tout, le fossé persiste entre les villes et la campagne où on continue encore à « vendre » des jeunes filles.
La fin de la monarchie a signé la régression de la condition féminine en Afghanistan
La politique ne lui laissera pas le temps d’achever les réformes. En juillet 1973, en voyage en Italie, il est brutalement renversé par le prince Mohammad Daoud Khan (1908-1978). Ancien Premier ministre, Mohammed Zaher Shah avait fini par s’en débarrasser en 1963 après une décennie de pouvoir par son encombrant et ambitieux cousin. L’antagonisme entre les deux hommes n’avait cessé de croître. La monarchie est abolie, la république s’installe, les luttes politiques et idéologiques s’intensifient et c’est finalement un gouvernement procommuniste qui va s’installer. En exil, le roi Mohammed Zaher shah voit son Afghanistan sombrer peu à peu dans la guerre civile. Il reste encore une voix qui va compter et auquel on pensera à la chute du régime islamique des Talibans en 2001 (l’option monarchique sera finalement écartée sous la pression américaine alors qu’elle avait été plébiscitée lors d’une Loya Jirga, rassemblant tous les partis). Il reviendra en Afghanistan qu’en 2002, auréolé d’un bilan que ses successeurs n’avaient pas su pérenniser. Si le régime marxiste maintiendra les droits des femmes, ceux-ci seront drastiquement réduits sous celui des Talibans. Burqa imposée, victimes de la charia, les Afghanes perdent peu à peu leurs libertés fondamentales. Des droits qui ont régresseront drastiquement par la suite. La brève parenthèse démocratique (2000-2020) permettra aux femmes de retrouver leurs positions. Un rêve qui s’est achevé une nouvelle fois avec le retour des talibans au pouvoir après le départ des forces de Coalition.
Mohammed Zaher Shah, « Père de la nation », est décédé en 2007, emportant avec lui ses aspirations d’un Afghanistan moderne. Un combat que la princesse Noal Zaher Shah, a repris. « Nous ressusciterons, l’âme de l’Afghanistan est éternelle » n’avait pas hésité à écrire sa petite-fille sur ses réseaux sociaux au retour des Talibans. Un message adressé à ses compatriotes qui résonne comme une prophétie et aux femmes de son pays afin qu’elles gardent espoir.